Procès de RWAMUCYO, Cour d’Assises de Paris – 20ème jour

Compte rendu de laudience de lundi 28 octobre 2024, Jour 20

Cette dernière semaine d’audience a débuté par la suite des plaidoiries des conseils des parties civiles. Les avocats de la LDH et la FIDH ont pris la parole en premier.

Me Sebbah a d’abord insisté sur le fait que l’accusé à l’époque n’était pas n’importe qui. Il était un médecin, un professeur, qui n’avait pas peur d’exprimer ses opinions politiques en tant que fondateur de la CDR à Butare. Si le FPR n’avait pas pris le pays en juillet 1994, il aurait pu prétendre aux plus hautes responsabilités.

Me Vinet a parlé de la question de l’opportunité de juger Eugène Rwamucyo aujourd’hui, même 30 ans après. Elle a insisté sur l’importance et la gravité du crime de génocide, qui est un crime qui touche l’humanité tout entière. Eugène Rwamucyo s’est entêté durant ce procès à nier l’évidence, en jouant la carte du « petit fonctionnaire ». Elle cite Hannah Arendt : « Un adulte consent là où un enfant obéit ».

Me Baudoin, qui a rappelé avoir été le secrétaire général de la FIDH en 1993 pendant la mission d’enquête, a commencé par expliquer comment le rapport de cette mission démontrait déjà la mécanique génocidaire. Il a également rappelé l’importance de ce genre de procès dans la lutte contre l’impunité. Car si on ne juge pas ce qu’il s’est passé dans ce pays, c’est la mémoire qui se perd et l’impunité qui prévaut. Sans la compétence universelle des juridictions françaises, il n’y aurait pas de justice.

Me Epoma a débuté sa plaidoirie en affirmant que Rwamucyo est un homme qui, par ses idées et ses actions, est intrinsèquement lié à ce génocide. C’était un homme très ambitieux à l’époque, baigné depuis petit dans l’idée que le peuple Hutu devait à tout prix s’émanciper. Par les relations qu’il va se faire notamment en devenant le responsable de la jeunesse du MRND, véritable « pépinière » du régime, il va finir par devenir un intellectuel très important. Il va jouer un rôle très important dans la préparation du génocide, pour convaincre la population Hutu à s’en prendre aux Tutsi. Car Eugène Rwamucyo voit dans le FPR un obstacle à la réalisation de ses ambitions. Il ne supporte pas la concurrence. Cette ambition transparait d’ailleurs dans ses rapports et dans son intérêt pour les médias. Dans ses articles, ses documentaires et ses rapports, il incite toujours davantage à l’horreur. Il aime parler, il aime les cadavres. En tant qu’idéologue, il a tué par ses idées, ses discours, mais aussi par ses actions. Il a lui-même porté un fusil, qui à l’époque était une sorte de récompense pour les personnes considérées comme importantes. Me Epoma a également parlé des activités de Rwamucyo après le génocide. Il a notamment parlé de ses anciens amis de l’époque, qui sont les mêmes que ceux qui le défendant, qui ont les mêmes idées négationnistes.

Me Tapie a notamment parlé de la RTLM dont plusieurs fondateurs et contributeurs ont été condamnés pour génocide. Rwamucyo, même s’il a affirmé le contraire, connaissait la ligne éditoriale de cette radio. Il a également rappelé l’histoire d’Angélique UWAMAHORO. À aucun moment l’accusé n’a exprimé de la compassion pour les victimes ou les survivants du génocide des Tutsi. Et d’ailleurs, si c’était à refaire, il le referait.

Dans la même lignée, Me Karongonzi a rappelé que les parties civiles à ce procès était tout sauf des combattants, ce sont des victimes innocentes. Il a également exprimé sa surprise lorsqu’il a appris les témoins que Rwamucyo avait choisi de faire citer : Jean Kambanda, Charles Onana… Il termine par demander à la Cour de ne pas laisser Rwamucyo perpétuer le génocide par son négationnisme.

Me Martin s’est dit convaincue de la culpabilité de Rwamucyo. Elle rappelle plusieurs faits : son exclusion du Grand Séminaire dont il est le seul à donner cette version, la date de son retour au Rwanda qui est extrêmement floue, sa forte promiscuité avec les fortes têtes de l’extrémisme dès son arrivée, ainsi que sa campagne virulente contre Abel Dushimimana qu’il estimait complice du FPR. Elle a également rappelé le témoignage de Rony Zakaria qui exprimait l’urgence de la situation, et pourtant Rwamucyo s’est enfermé dans son bureau. Il dit n’avoir jamais donné d’instructions relatives au traitement des corps, alors qu’à ce moment-là c’était la population qui s’en occupait. Me Martin a terminé en affirmant que les activités de l’accusé après le génocide démontraient que son rêve d’un règne des Hutus se poursuive encore aujourd’hui.

Me Ladu a parlé du rôle des intellectuels dans le génocide, tel que l’avait d’ailleurs expliqué Eric Gillet à la barre. Ces intellectuels, qui ont mis leur savoir au service de la haine raciale, ont participé à la construction d’un vocabulaire extrémiste. Le double sens de chaque mot est utilisé pour cacher l’horreur mais aussi pour valider le message génocidaire et le faire rentrer dans la « vie normale » de la population. Me Ladu a également cité deux figures extrémistes très proches d’Eugène Rwamucyo : Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza, tous deux condamnés devant le TPIR. Rwamucyo n’était pas qu’un simple jeune médecin qui rédigeait des rapports, il était un homme ambitieux et engagé sur le plan politique.

Un autre conseil représentant 32 parties civiles a expliqué le « parcours du combattant » de ces personnes face à la volonté de certains de faire taire les victimes. Il s’est également adressé aux jurés, en ce qu’ils ont une mission aussi importante qu’extrêmement complexe. Les victimes ont besoin de réponses et de reconnaissance de leur statut. Elles ne demandent pas une condamnation par vengeance, mais pour leur reconstruction.

Me Gisagara a expliqué que la CRF n’aurait jamais existé si des personnes comme Eugène Rwamucyo n’avait pas entretenu la division raciale. La France ne doit pas devenir un havre de paix pour les génocidaires. Il cite des parties civiles physiques qu’il représente. Il est ici pour rappeler les morts et leurs proches, dont la dignité a été bafouée. Les fosses communes sont d’ailleurs l’expression ultime de ce mépris. Il ne fait aucun doute que Rwamucyo avait un lien fort avec le cercle des intellectuels à Butare et au niveau national. Il s’est associé à un projet mortel. Le condamner ne serait pas seulement un acte de justice mais aussi un acte d’humanité.

Me Laval est le dernier à s’avancer à la barre. Représentant le CPCR et 530 parties civiles physiques, il a commencé par expliquer le parcours du CPCR pour faire entendre aux victimes qu’ils pouvaient se constituer parties civiles. Il a ensuite affirmé que ce qu’il s’était passé ici était en réalité un combat, une lutte très ancienne entre l’ordre humain et l’ordre de la barbarie, entre le droit et la violence, la vraie paix et les auteurs de massacres. Il s’est adressé à la Cour : vous n’êtes pas un tribunal politique, vous êtes des juges libres, qui ne servent personne d’autre que la justice. Vous n’êtes pas non plus un « tribunal des vainqueurs ». Il n’y a pas de vainqueurs, uniquement des bourreaux et des victimes. Si d’habitude vous jugez au nom du peuple français, ici vous jugez au nom de l’humanité. La décision que vous prendrez fera le tour de la terre. Il a continué en parlant des enfouissements, qui sont des actes de barbarie. Ce sont dans ces gestes que l’effacement s’accomplit. C’est le dernier service rendu aux criminels, et cela vous fait aussi devenir des criminels. Rwamucyo a affirmé qu’il n’aurait rien pu faire d’autre, mais il aurait simplement dû dire non, comme d’autres l’ont fait.

Après une suspension d’audience, les réquisitions du ministère public ont débuté vers 14h30. Les deux avocats généraux ont structuré leurs propos en plusieurs parties : le contexte général des faits, le rôle des influences de l’accusé, les faits qui lui sont reprochés, la poursuite de ses engagements politiques après le génocide, et enfin la peine requise.

Dans un propos introductif, ils ont expliqué dans un premier temps le rôle du PNAT ainsi que ce qu’est la compétence universelle en France. La question de la preuve testimoniale a ensuite été abordée assez longuement. En effet, ces affaires sont très complexes car les preuves scientifiques sont rares. On parle souvent de témoins « professionnels » car souvent ce sont les mêmes qui témoignent dans ces procès. Mais la raison est qu’il n’y en a pas d’autres, ce sont les seuls. Toutefois, la preuve testimoniale est à prendre avec prudence, car parfois les récits peuvent être incomplets, transformés, notamment dans les affaires liées au génocide des Tutsi au Rwanda. L’exemple typique de cela est le viol des femmes pendant le génocide, dont on ne parle que depuis quelques années. Ces récits incomplets ont parfois abouti à des témoignages incohérents. D’autres récits peuvent être mensongers, mais c’est le quotidien des magistrats. L’avocat général a également parlé des pressions qui peuvent être exercées sur les témoins au Rwanda. Il soupçonne notamment Emmanuel Birasa d’en avoir fait les frais de la part de l’accusé. Puis il poursuit en citant les différents types de témoins que l’on a vu passer à la barre : les hauts responsables, les « grands tueurs », les subalternes, les exécutants, les victimes du génocide et les témoins purement extérieurs. Rwamucyo a choisi d’être là sans être là. Il a utilisé son procès comme une tribune politique, tout en maniant l’art de l’esquive. L’avocat général voit trois arguments dans la défense de l’accusé :

  • La manipulation des témoins
  • Le procès politique d’un opposant
  • Une justice française instrumentalisée

Les avocats généraux ont ensuite rappelé le contexte général dans lequel les faits se sont déroulés. Ils ont notamment évoqué la situation géographique et démographique du Rwanda à l’époque, les dates essentielles de l’histoire du pays, ainsi que les constats judiciaires du TPIR relatifs au conflit armé et du génocide. Ensuite, ils ont parlé de comment la guerre était devenue une justification à la radicalisation des esprits, même avant le génocide. Après l’attentat, qui était d’ailleurs davantage un aboutissement que la cause du génocide, les faits à Butare se sont passés différemment que dans le reste du pays.

S’agissant des influences intellectuelles d’Eugène Rwamucyo, le ministère public s’est attaché à développer quatre pensées qui l’ont amené à devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. L’avocat général a d’abord mentionné la pensée raciste, dont Rwamucyo s’est imprégné toute son enfance, et qui est la matrice commune de tout génocide. Mais l’accusé a aussi été imprégné de la pensée régionaliste. Originaire de Gatonde dans le nord-est du pays, Rwamucyo considère les Hutu du Nord comme l’élite aristocratique, comme les « gagnants ». Ayant passé dix années en URSS pour ses études, l’influence du communisme marxiste-léniniste sur Rwamucyo a également été centrale pour l’avocat général. Il a notamment mentionné deux éléments. Tout d’abord, la lecture dialectique de l’histoire, avec des dominés contre des dominants, et dont le conflit ne peut se terminer que par la Révolution. A l’époque, les classes sociales étaient très marquées au Rwanda, et il n’y avait pas vraiment de « culture démocratique du compromis ». Rwamucyo lui-même a parlé de « chasse ». Cette pensée légitime tout : les Tutsi nous ont chassés donc nous devons chasser les Tutsi. Deuxième élément, l’idée de l’avant-garde éclairée du prolétariat. Cela signifie que la Révolution ne peut venir que d’un petit groupe déterminé et éduqué.  L’URSS a par ailleurs été la meilleure école de la propagande. L’avocat général affirme que Rwamucyo et sa femme y ont certainement appris beaucoup de choses.

Enfin, Rwamucyo a été très influencé par la pensée chrétienne. Il dit d’ailleurs que ce n’est pas anodin si le père Murenzi et lui ont été au même Grand Séminaire à la même époque.

L’avocat général a ensuite abordé l’engagement politique de Rwamucyo au sein du Cercle des Républicains à Butare et la Coalition pour la défense de la République et de la démocratie, ainsi que ses liens avec les médias extrémistes que sont la RTLM et le journal Kangura. Eugène Rwamucyo a ainsi été un « précurseur » au sens chimique du terme, c’est-à-dire l’un des ingrédients nécessaires à la « réaction », au génocide. Mais il a aussi été un précurseur au sens militaire : celui qui est projeté avant les autres. L’avocat général s’est finalement interrogé sur les conditions et les raisons de la venue de Rwamucyo à Butare. En effet, la ville de Butare était connue pour être une « terre à risque » pour les extrémistes. Pourtant, Rwamuyco s’y est parfaitement intégré (UNR, CUSP, ONAPO)

Après une courte suspension d’audience, les avocats généraux ont repris leurs réquisitions afin d’aborder les faits reprochés à l’accusé. Eugène Rwamucyo a eu une implication à la fois théorique et matérielle dans le génocide. Une implication théorique tout d’abord par les nombreux rapports qu’il a produits que ce soit avant ou pendant le génocide. S’agissant des enfouissements, les avocats généraux parlent d’un dispositif à trois temps : un premier temps où la population est mise à contribution, puis avec l’augmentation du nombre de cadavres, les réquisitions de prisonniers, et finalement la contribution d’un Caterpillar. Les avocats généraux ont mis en avant le fait que ces enfouissements était une mise en pratique de la volonté du gouvernement intérimaire de nettoyer les villes des cadavres. Pour eux, les intentions de Rwamucyo durant ces opérations ne font pas de doute. Il n’y avait aucune assistance médicale sur les lieux en cas d’éventuels survivants, même après qu’il ait vu de ses propres yeux une jeune fille survivante à Taba..Personne ne devait survivre. Le traitement des corps et l’invisibilisation administrative des enfouissements en étaient aussi révélateur. Rwamucyo aurait pu répertorier les fosses et le nombre de victimes. Helene Dumas l’a dit, c’était un génocide entre voisins, il était possible d’identifier les victimes. Le ministère public s’interroge également sur l’absence de comptes rendus de ces opérations et l’absence d’images de cadavres en 1994 alors que c’est quelque chose qu’il s’était précipité de filmer en 1993.

Rwamucyo a également eu une implication idéologique dans le génocide. Les avocats généraux évoquent deux traces de ce soutien : le discours du 14 mai 1994 et la convocation à la réunion du 23 juin 1994. Ces deux événements s’inscrivent dans le cadre de la mise en place de l’auto-défense civile, qui était à cette période la priorité du gouvernement et de l’administration rwandaise. Il s’agit de « finir le travail ».

Les avocats généraux ont poursuivi par étayer les activités politiques de l’accusé après le génocide. En effet, Rwamucyo a clairement poursuivi son engagement politique en attendant la « victoire » à laquelle il n’a jamais cessé de croire. Il se place dans le camp des vaincus, ce qui ne laisse pas de place à une pleine reconnaissance du génocide des Tutsi et à une condamnation des génocidaires. Il s’est impliqué dans de multiples groupes, cercles et association, notamment en Côte d’Ivoire.

Enfin, les avocats généraux ont procédé à une traduction en droit de ces faits. Ils ont commencé par rappeler les définitions de génocide, de crimes contre l’humanité et d’entente en vue de commettre l’un de ces crimes. Après avoir traduit les faits matériels juridiquement, le ministère public a insisté sur le fait que si l’accusé n’a pas véritablement de sang sur les mains, il a tué par ses mots. En tant qu’intellectuel à Butare, il n’a pas hésité à mettre son intelligence au service de la politique génocidaire. Pour les avocats généraux, il n’y a aucun doute à avoir sur l’intention génocidaire de l’accusé.

Le ministère public requiert finalement la peine de 30 ans de réclusion criminelle au regard des peines prononcées dans les précédents procès relatifs au génocide des Tutsi au Rwanda.

La prochaine journée d’audience sera consacrée aux plaidoiries de la défense.

Par Léna Jaouen, Stagiaire Commission Justice Ibuka France