Procès de Sosthène Munyemana à la Cour d’appel de Paris, Jour 12
Compte-rendu de l’audience du 1er octobre 2025, Jour 12
L’audience de ce mercredi 1er octobre 2025 s’est ouverte à 9 heures par le témoignage de Vincent Habyarimana, partie civile dans ce procès. Avant son intervention, les avocats de la défense ont exprimé leurs réserves quant au respect de la procédure, estimant que la transmission et la lecture de nombreux documents n’en permettent pas un examen serein. Ils ont demandé davantage de temps, ce que le président de la Cour leur a accordé.
Vincent Habyarimana commence par se présenter : il est âgé de cinquante ans et est commerçant au Rwanda. Né à Tumba, il y réside encore aujourd’hui et s’y trouvait au moment du génocide. Le 20 avril 1994, il a entendu des coups de feu et des attaques visant les Tutsi. Craignant pour sa vie, il a tenté de fuir et de se cacher. Son domicile a été attaqué : son père et son grand frère ont été arrêtés, tandis que lui réussissait à s’échapper. Il a exhorté son grand frère, Innocent Hategekimana, surnommé Kirushya, à fuir également. Celui-ci a couru en direction de la maison de Sosthène Munyemana, qu’il connaissait puisqu’il avait déjà effectué des travaux de maçonnerie pour lui. Arrêtés et attachés, Innocent et d’autres furent confrontés à un homme prénommé Mambo, responsable de l’attaque. Selon Vincent, Sosthène Munyemana est alors sorti de chez lui pour s’entretenir avec Mambo. À l’issue de cette discussion, les prisonniers ont été relâchés de nuit. Cependant, la plupart d’entre eux ont été tués dans la nuit. Vincent Habyarimana a affirmé qu’il était visible que Sosthène Munyemana avait le pouvoir de donner des ordres à ceux qui menaient ces attaques. Le témoin a également évoqué la présence de barrières érigées dans Tumba, où les passants étaient contrôlés. Les Tutsi arrêtés y étaient retenus. Lui-même a été arrêté avec trois autres hommes. Il a aussi évoqué le rôle du bureau de secteur, situé à proximité de son domicile, dont Sosthène Munyemana aurait détenu les clés. D’après lui, ce bureau servait de lieu de transit : les Tutsi pensaient y trouver refuge, mais il s’agissait en réalité d’un passage avant leur exécution. Il a affirmé avoir vu Sosthène Munyemana ouvrir et fermer ce bureau. Une fois les personnes conduites vers les fosses, ils étaient tués, parfois à coups de hache. Vincent Habyarimana a raconté avoir échappé à la mort en fuyant.
Le président de la Cour a remercié Vincent Habyarimana pour sa déclaration, puis a ouvert la phase des interrogations, d’abord en lui posant des questions, avant de laisser la parole aux autres juges, aux avocats des parties civiles, à l’avocat général, puis aux avocats de la défense.
Vincent a ainsi précisé qu’il avait dix-huit ans au moment des faits, qu’il n’appartenait à aucun parti politique, et qu’il était le septième d’une fratrie de huit enfants. Son père était Tutsi et sa mère Hutu. Il a expliqué avoir vu à plusieurs reprises Sosthène Munyemana participer à des réunions au bureau de secteur ou chez des personnes comme Christophe Foro et Joseph Ruganzi. Selon lui, ces réunions concernaient la préparation des massacres : des listes de Tutsi y circulaient avec leur nom et leur adresse, les victimes étant rayées au fur et à mesure de leur exécution. Il a également évoqué les moments où, réfugié chez des voisines comme son ancienne camarade de classe Alice, il pouvait observer discrètement les allées et venues de Sosthène Munyemana vers le bureau de secteur. Il a aussi raconté avoir accompagné une personne qui apportait de la bouillie aux réfugiés au bureau de secteur, estimant qu’ils étaient alors une cinquantaine. Ce geste, fait au début du génocide, lui a permis de mesurer l’ampleur de la tragédie. Le témoin a décrit la présence de nombreuses barrières à Tumba et affirmé avoir vu des fosses communes contenant un nombre considérable de cadavres, dont celle où reposait le cadavre de son père, où il comptait plus de trois cents corps. Il a également fait état de son frère Innocent, qui avait survécu au génocide mais, marqué par les traumatismes, avait tenté de se suicider par voie médicamenteuse. Ayant pu fuir, il est décédé après le génocide.
Interrogé sur le rôle de Sosthène Munyemana, qui soutient avoir simplement cherché à protéger des personnes menacées de mort, Vincent Habyarimana a affirmé que c’était tout le contraire : selon lui, le bureau de secteur servait de lieu de regroupement avant les exécutions, et que Monsieur Munyemana ne pourrait pas parler de survivants parmi les personnes qu’il prétend avoir protégées.
La défense a ensuite souligné plusieurs contradictions, en particulier sur le rôle présumé de Vincent Habyarimana en tant que juge dans une Gacaca ayant jugé Sosthène Munyemana au Rwanda. Les avocats ont produit un jugement comportant son nom et sa signature, ce qu’il a contesté en affirmant ne pas en être l’auteur, ne pas en avoir de souvenirs. Il est accusé par les avocats de la défense d’avoir eu connaissance des faits seulement à travers cette procédure, et de ne pas en avoir été réellement témoin. Vincent Habyarimana a rejeté ces accusations.
L’audience s’est poursuivie avec le témoignage de Vincent Sibomana, également partie civile. Âgé de quarante-cinq ans, il est aujourd’hui agriculteur et éleveur au Rwanda. Il a grandi avec ses parents, ses cinq frères et plusieurs membres de sa famille élargie, dont sa tante Alfonsine, étudiante à Butare, chez qui il vivait. Il a relaté les attaques subies dès les premiers jours : leur maison a été prise d’assaut, et lui, sa tante et sa sœur ont été emmenés à l’école ER, où d’autres personnes s’étaient réfugiées. Le troisième jour, une femme a donné l’ordre de « nettoyer la saleté », expression désignant les Tutsi. Sa tante et sa sœur ont alors été conduites chez un certain Pascal, où elles ont été violées, avant d’être ramenées à la préfecture de Butare et exécutées dans une fosse proche du bureau de la préfecture et du rectorat de l’université. Vincent Sibomana a décrit cette scène comme son premier contact avec la mort. Son petit frère a ensuite été tué devant l’hôtel Faucon. Lui-même a tenté de survivre en fuyant dans les forêts, dans des conditions précaires, marquées par la faim, le froid et les pluies. Il a ensuite cherché à rejoindre Tumba, où vivait une autre tante, voisine de Sosthène Munyemana. Après une marche éprouvante de nuit, il est arrivé à une barrière proche de la statue de la Vierge Marie, près du domicile de Sosthène. Celui-ci est arrivé avec ses clés et les a conduits, lui, ses proches, et d’autres personnes Tutsi, vers le bureau de secteur. Peu après, ils ont été dirigés vers une fosse où les hommes et les femmes furent séparés, et alignés. Alors que les victimes commençaient à être ligotées pour être exécutées, Vincent Sibomana a perdu connaissance sous le choc. En reprenant connaissance, il a pris la fuite. Dans sa course, il est tombé et s’est cassé le bras. Il s’est réfugié dans une forêt de pins. Un jour, il a croisé un autre Tutsi, qui l’a convaincu de quitter la forêt à cause des traques menées avec des chiens. Revenu chez sa tante, il a été recueilli par un voisin, qui l’a caché dans le faux plafond de son logement, d’où il ne sortait que pour ses besoins essentiels.
L’audience reprend à 14 heures par la suite de l’interrogatoire de Vincent Sibomana, accompagné d’un interprète. Le président revient sur son témoignage et lui demande de rappeler les gestes et paroles de Sosthène Munyemana. Vincent Sibomana mentionne de nouveau le bureau du secteur où lui et d’autres Tutsi ont été enfermés sur ordre de Monsieur Munyemana.
À la question portant sur les ordres précis émis par Monsieur Munyemana, le président reformule une seconde fois et Vincent Sibomana précise que Sosthène Munyemana a bien utilisé le terme de « fosse » et a ordonné aux Interahamwe d’y emmener les Tutsi.
Le président l’interroge ensuite au sujet des personnes de sa famille tuées lors du génocide. Le témoin mentionne sa tante Rose, ainsi que sa cousine, et indique aussi que « d’autres sont tombés dans les fosses, d’autres sont tombés en ville, d’autres sont tombés chez nous ».
Les avocats de la partie civile prennent ensuite la parole. Ils rappellent que Vincent Sibomana avait 14 ans au moment du génocide et l’interroge donc au sujet de sa vie après. Vincent Sibomana répète alors qu’il a perdu tous les membres de sa famille, à l’exception de sa petite sœur qu’il a pu retrouver à la suite de l’arrivée du FPR. Il déplore le fait qu’il fut obligé d’arrêter ses études afin de subvenir à leurs besoins, et dit s’être consacré à élever sa petite sœur.
Vincent Sibomana est ensuite de nouveau interrogé par rapport à son témoignage. À la question de l’avocat, il confirme que le bureau du secteur n’était pas conçu pour protéger les Tutsi mais qu’il consistait en une prison pour ces derniers avant de les conduire au lieu d’exécution. Il est également demandé à Vincent Sibomana des précisions sur le lieu de domicile de sa tante Rose, chez qui il est allé chercher réfuge, et la distance entre celui-ci est le lieu d’habitation de Sosthène Munyemana.
L’avocat le questionne ensuite de nouveau sur l’impact qu’a eu le génocide sur sa vie. Le témoin évoque l’aide et le soutien du gouvernement. Il mentionne toutefois sa sœur, le rôle de parent qu’il a dû endosser, ainsi que la tristesse qu’il ressent face à ses trois enfants lorsque ces derniers lui demandent où sont leurs grands-parents (les parents de Vincent Sibomana – tués durant le génocide).
L’avocat général prend la parole. Il demande notamment des précisions quant aux dates, à la fuite du témoin et la manière dont celui-ci s’est retrouvé à Tumba. Il l’interroge également sur les actions du Docteur Munyemana. Le témoin dit avoir été surpris de la présence de Sosthène Munyemana aux barrières, ce dernier « étant supposé donner la vie or, il ravissait celle des autres ». Vincent Sibomana confirme que Monsieur Munyemana n’a apporté aucun soin aux Tutsi présents dans la zone.
La parole est ensuite donnée aux avocats de la défense, qui insistent particulièrement sur l’acte de notoriété, document tenant lieu d’état civil de Vincent Sibomana.
Les avocats soulèvent la question de sa date de création le 13 novembre 2023, soit un jour avant l’ouverture du procès en première instance de Monsieur Munyemana. La défense pointe l’attestation du document réalisée par trois membres d’Ibuka et demande au témoin de rappeler le rôle de l’association. Ce dernier rejette l’idée selon laquelle Ibuka l’aurait incité à participer à cette procédure judiciaire, et l’avocat annule finalement la question. Les avocats des parties civiles clarifient également la position d’Ibuka.
Les avocats de la défense reprennent la parole et questionnent le témoin sur la raison le poussant à témoigner 25 ans après le début d’instruction du dossier, ce à quoi Vincent Sibomana répond qu’il n’est pas question de temps pour donner son témoignage. Une dernière question lui est posée au sujet de sa fuite, les avocats de la défense remettant en cause le fait qu’aucun milicien ne se soit aperçu de celle-ci. Le témoin réitère son témoignage et le président de la cour met fin à son audition.
Audition d’Espérance Kanyange – partie civile
Espérance Kanyange est invitée à décliner son identité par le président de la cour. Elle est âgée de 51 ans et habite à Butare, au Rwanda. Elle dit être agricultrice et éleveuse. Le président précise qu’elle n’a jamais été entendue précédemment.
Déclaration spontanée d’Espérance Kanyange : Espérance déclare être la seule survivante d’une famille de 9 frères et sœurs. Au début du génocide à Butare, elle dit être partie chercher de quoi manger avec des membres de sa famille. Ils sont passés devant plusieurs barrières notamment celle située près de la Statue de la Vierge, également évoquée par d’autres témoins, dans le secteur de Tumba.
Ils se sont alors fait arrêter par les Interahamwe qui ont demandé à voir leur carte d’identité. Espérance Kanyange qui était alors la plus âgée du groupe a déclaré ne pas l’avoir afin qu’ils ne puissent voir la mention ethnique entourée. Elle et les membres de sa famille ont ensuite été amenés au bureau du secteur, là où d’après sa déclaration, Monsieur Munyemana amenait les tutsi destinés à être tués. La témoin, cachée dans un endroit du bureau, raconte aussi avoir vu Sosthène Munyemana ouvrir la porte aux Interahamwe afin qu’ils emmènent les tutsi dans les fosses. Espérance Kanyange décrit les violences subies, elle dit avoir été insultée, moquée car étant tutsi et violée. Par la suite, elle décide de fuir sa cachette pour revenir là où elle habitait avant. Toutefois, en chemin elle rencontre un domestique qui lui apprend la mort de toute sa famille. Elle déclare alors avoir perdu toute envie de vivre et de s’être présentée aux miliciens présents devant le domicile de Théodore Sindikubwabo, le président intérimaire du Rwanda durant le génocide dont Esperance confirme l’identité lors de l’interrogatoire. Elle retrouve finalement une de ses sœurs avec qui elle reste cachée dans les champs de sorgho jusqu’à une attaque menée par les Interahamwe l’obligeant à fuir de nouveau. Elle est de nouveau violée et ses cheveux sont brûlés par un milicien. La témoin raconte la manière dont elle réussit ensuite à franchir les barrières, habillée en paysanne hutu avec des herbes dans son pagne. Elle est cependant arrêtée, et les miliciens lui demandent de montrer certaines parties de son corps notamment ses côtes et ses jambes afin de prouver son appartenance hutu. Elle est ainsi ramenée à la préfecture, où elle raconte avoir été témoin d’une réunion visant à envoyer les tutsi dans « l’enclos des frères » afin qu’ils n’y en aient plus dans la préfecture, réunion où Monsieur Munyemana était présent. Elle termine sa déclaration en parlant de la libération du pays par les inkotanyi.
Le président de la cour prend la parole. Il interroge Espérance Kanyange sur les miliciens dont le nom a été mentionné dans sa déclaration. Elle déclare que la plupart n’ont pas été jugés mais sont réfugiés au Burundi ainsi qu’en Ouganda.
Le président l’interroge sur Sosthène Munyemana, son habileté à le reconnaître et les connaissances du témoin à son sujet. Il demande également si les actions de Monsieur Munyemana dans le bureau pouvait laisser à penser qu’il souhaitait protéger les tutsi présents dans le bureau du secteur. La témoin ne répond qu’aucun hutu ne voulait voir un tutsi survivre et que le bureau servait de zone de transition. Le président de la cour revient ensuite sur la vie d’Esperance Kanyange depuis la fin du génocide. La témoin déclare que la première chose nécessaire pour elle après le génocide a été d’enterrer dignement les membres de sa famille décédés, elle mentionne ensuite les sites mémoriaux créés au cours des années. Il lui est ensuite demandé par un des assesseurs des précisions quant à la chronologie des événements dans le bureau du secteur, ce à quoi Espérance Kanyange répond qu’il lui est compliqué de répondre.
La parole est donnée aux avocats des parties civiles. Ces derniers la questionnent surtout quant aux soins reçus après le génocide. La témoin évoque ses hospitalisations, un suivi régulier par un docteur et l’aide importante du FARG, le Fond d’Assistance aux Rescapés du Génocide.
L’avocat général prend la parole. Il revient également sur la chronologie des événements et sur la manière dont Espérance Kanyange est parvenue à se cacher dans le bureau. L’audience est ensuite suspendue pour une durée de 10 minutes.
À la reprise de l’audience, les avocats de la défense prennent la parole. Ils demandent confirmation de certains points du témoignage de la témoin ainsi que des précisions quant à sa fuite. Ils soulèvent par ailleurs le fait qu’elle ne se soit pas enfuie dès que l’occasion s’est présentée. La témoin rappelle que les miliciens ne l’ont pas tué lorsqu’elle s’est présentée devant eux car ils ne voulaient pas « gâcher leur balle avec une tutsi ». Elle ajoute également des précisions quant à la réunion où elle déclare avoir vu Sosthène Munyemana participé, celle-ci s’étant tenue dans le palais du MRND d’où l’intérieur était visible facilement. De même que pour l’interrogatoire de Vincent Sibomana, les avocats évoquent l’acte de notoriété d’Espérance Kanyange établi à la même date (13 novembre 2023). L’audience est toutefois interrompue à 17h en raison de la visioconférence de Providence Mukandoli, également partie civile.
Elle reprend à 19h37 par une brève question portant toujours sur l’acte de notoriété que la témoin déclare n’avoir jamais demandé et affirme n’avoir rencontré aucun membre d’Ibuka contrairement aux insinuations de la défense.
Audition de Providence Mukandoli – partie civile : se déroule en visioconférence depuis les États-Unis La témoin est invitée à décliner son identité, elle se nomme donc Mukandoli Providence. Elle est née en 1974 et habite dans l’Iowa aux États-Unis. Le président de la cour précise que la témoin a déjà été entendue notamment lors d’une plainte et d’une confrontation directe face à Sosthène Munyemana.
Déclaration spontanée de Providence Mukandoli : Elle raconte qu’à Butare le génocide a commencé le 21 avril 1994. Au bruit des balles, elle quitte sa maison afin de se réfugier dans le centre. Elle évoque ensuite un lieu où, avec d’autres tutsi, elle reste durant trois nuits avant que des miliciens viennent les tuer. Les hommes présents avec elle l’encouragent à courir et elle atteint ainsi le secteur de Tumba où elle retrouve son père. Ils sont ensuite rassemblés dans le bureau du secteur. C’est alors là qu’elle voit Monsieur Munyemana qui, accompagnés d’Interahamwe prenaient les personnes qu’ils allaient tuer. Le père de Providence qui travaillait au laboratoire annexe de l’hôpital où travaillait Sosthène Munyemana lui demande alors de l’aide. Ce dernier répond qu’il ne peut rien pour lui mais qu’ils vont être raccompagnés dans leur cellule. La témoin dénonce la prétendue période de pacification aux alentours du 6 mai qui a entraîné à la mort près de 600 personnes dont ses parents. Elle déclare que tout le monde a été tué à la maison des frères, ainsi que dans le village Tumba et Kabakobwa. Elle mentionne des rapports remis régulièrement à Monsieur Munyemana concernant les tutsi du secteur. Providence Mukandoli se dit avoir été protégée par un homme prénommé Cassien qui la respectait du fait de son père James Bitira. Elle reste toutefois cachée jusqu’à l’arrivée du FPR. Le président prend ensuite la parole et demande des précisions concernant la vie de Providence Mukandoli. Il s’appuie par ailleurs sur les anciens procès-verbaux de la témoin. Certaines réponses notamment relatives à son mari et à son fils, Roger, apparaissent confuses. Il revient ensuite sur la manière dont elle se retrouve à Tumba, et la questionne sur le sentiment de sécurité qu’elle ressentait dans le bureau du secteur. Providence Mukandoli déclare qu’elle pensait potentiellement l’être mais que son père était inquiet et ne cessait de répéter que de nombreuses personnes en partaient mais ne revenaient pas.
Il est ensuite demandé à la témoin de revenir sur les liens entre son père et Monsieur Munyemana. Elle explique donc la proximité entre le laboratoire et l’hôpital universitaire et prend l’exemple des commémorations du génocide qui lient les deux endroits. En s’appuyant sur un ancien procès-verbal (cote 1092), l’avocat questionne la témoin sur la réaction de Sosthène Munyemana quand le père de Providence le sollicite. Elle souligne le fait qu’il ne la remarquait pas, elle ajoute ensuite que Monsieur Munyemana a fini par les laisser partir en déclarant à son père « sors, va mourir ailleurs, ne meurt pas dans mes bras. »
Elle est ensuite questionnée sur les rapports remis à l’accusé. Providence Mukandoli affirme que Monsieur Munyemana donnait l’ordre de tuer les tutsi, qu’il était chargé du secteur et le dirigeait. La témoin parle d’un échange de rapports journaliers.
À la question de savoir si Monsieur Munyemana donnait des ordres aux Interahamwe, Providence Mukandoli déclare qu’il faisait partie de l’autorité et que les militaires, eux, tuaient. L’interrogatoire se poursuit et les conditions de vie dans le bureau sont abordées. La témoin décrit des personnes entassées, privées d’eau, de nourriture et dans l’impossibilité de se déplacer afin de se soulager si nécessaire.
Son avocat Maître Foreman prend ensuite la parole. Il commence par projeter les photos du père et d’un des frères disparus de Providence et insiste sur l’importance de son témoignage en tant que seule survivante du bureau du secteur. Il mentionne le surnom donné à Providence Mukandoli par Sosthène Munyemana, qui l’a ainsi nommé « la témoin qui a 6,7,8 versions » et rappelle que les faits remontant d’il y a 30 ans les oublis et confusions sont donc normaux lors des témoignages. Après deux brèves questions sur le témoignage de Providence Mukandoli, Maître Foreman déclare que Sosthène Munyemana l’a livré aux Interahamwe qui ont tué son père quelques jours après.
La parole est ensuite donnée aux avocats de la défense.
Ces derniers s’appuient sur deux dépositions de l’accusé à l’encontre de Monsieur Munyemana datant respectivement du 16 juillet 2001 et du 23 mai 2002. Ils dénoncent des réponses identiques et demandent à la témoin de confirmer l’existence de la deuxième déposition. L’avocate Maître Bourg remet en question le témoignage de Providence Mukandoli soulignant notamment la traduction du procès-verbal réalisée par une des membres du CPCR. Elle interroge aussi l’existence de son témoignage tôt dans la procédure judiciaire à l’encontre de Sosthène Munyemana. L’avocate poursuit en relisant différents extraits des anciennes déclarations de Providence Mukandoli et en lui demandant de confirmer ou non les faits décrits. Maître Bourg rappelle également les paroles de Monsieur Munyemana à l’égard de la témoin : « Ce qu’elle décrit n’a jamais existé et est totalement faux ». Providence Mukandoli dénonce ses paroles et son avocat, Maître Foreman précise les faits soulevés par la défense en apportant des précisions notamment par rapport à l’apparition du nom et témoignage de Providence Mukandoli dans les rapports d’African Rights en 1995. Il ajoute également que la traduction du procès-verbal réalisée par des membres du CPCR est dû à un manque de moyen tout comme la similitude des documents n’est vraie que pour les quatre premières questions.
Anaïs LEPARC et Nina Bugnot-Appino, Étudiantes volontaires