Compte-rendu de l’audience de vendredi 3 octobre 2025 , Jour 14

L’audience du 3 octobre 2025 s’est ouverte à 9 heures par le témoignage d’Emmanuel Ufiteyezu, partie civile.

Âgé de 44 ans, il est né en 1981 à Tumba, où il réside toujours. Fils de François et de Christine, il a précisé qu’il ne connaissait pas personnellement Sosthène Munyemana avant les événements de 1994.

Emmanuel a relaté avec émotion le parcours de sa famille durant les premières semaines du génocide. Le 20 avril 1994, son père, veilleur de nuit, est parti travailler mais n’est jamais rentré. Selon les informations rapportées, il aurait été tué à lentrée de l’université. Le lendemain, sa mère, Christine, a rejoint son fils à Rango pour fuir les violences. La famille a d’abord trouvé refuge à l’école de Rango, avant de suivre le conseil d’une personne leur proposant de se diriger vers Kabakobwa censé être un lieu plus sûr.

Le vendredi 22 avril, des militaires sont arrivés et ont ouvert le feu. Le lendemain matin, un véhicule muni d’un haut-parleur a sommé les Hutus de sortir, promettant qu’ils ne risquaient rien. Immédiatement après, les assaillants ont lancé des grenades. La mère d’Emmanuel a été tuée. Le jeune garçon, alors âgé de 13 ans, a réussi à fuir à travers les collines, avant de regagner la maison familiale, puis le domicile de sa grand-mèrere maternelle à Tumba. Quelques jours plus tard, à l’aube, des hommes sont venus chercher Emmanuel et les siens. Ils ont été conduits au bureau de secteur de Tumba, situé à environ 800 mètres de la maison de sa grand-mère. Dans la cour, de nombreuses personnes étaient déjà rassemblées. Sa grand-mère, âgée de plus de soixante-dix ans, a été épargnée et autorisée à rentrer chez elle. Vers 14 heures, Sosthène Munyemana serait arrivé avec plusieurs hommes et une liste en main. Il aurait commencé à lire des noms, principalement ceux d’hommes, qui furent séparés du reste du groupe.

Sosthène Munyemana a ensuite ouvert la porte du bureau de secteur pour y faire entrer certaines personnes, dont Emmanuel. Pris soudainement d’un malaise, le jeune garçon a été conduit aux toilettes, a été soigné et a pu quitter le bureau de secteur pour regagner le domicile de sa grand-mère. Dans la nuit, toutes les personnes enfermées ont été massacrées. Trois ou quatre jours plus tard, Emmanuel et sa grand-mère ont de nouveau été arrêtés. Sur le chemin menant au bureau de secteur, ils ont croisé une barrière où se trouvaient notamment Sosthène Munyemana et un porteur d’un fusil. Sosthène aurait alors déclaré: «Où amenez-vous ces gens ? C’est plein ! ». Il aurait également dit : « Nous avons donné des armes, vous les utiliserez à tour de rôle ».

Par la suite, il a réussi à s’enfuir et, avec l’aide de soldats français, a pu gagner le Congo.

 Devant la cour d’appel et répondant aux questions des juges, Emmanuel a confirmé que ses parents étaient Tutsis. Il a indiqué qu’il n’avait jamais rencontré Sosthène Munyemana avant les faits, et qu’il n’avait entendu son nom qu’après coup. Il a reconnu ne pas figurer sur la liste que tenait Sosthène. Il a également expliqué qu’il n’était resté que quelques minutes dans le bureau de secteur avant d’en sortir, peu avant que les autres détenus soient tués. Interrogé sur les conséquences du génocide dans sa vie, Emmanuel a eu beaucoup de peine à s’exprimer. En larmes, il a déclaré que sa vie après le génocide avait été plus difficile encore que les événements eux-mêmes. Devenu orphelin, il a dû assumer très jeune la responsabilité de ses frères et sœurs survivants. Aux questions des avocats de la partie civile, Emmanuel a précisé que son nom, « Ufiteyezu », signifie « être avec Jésus ». Il a ajouté qu’il n’avait reçu aucune aide après le génocide malgré ses blessures, et qu’il plaçait toute sa confiance dans la justice française pour rendre justice aux victimes.

Répondant à lavocat général, il a indiqué qu’il n’avait pas pu poursuivre ses études au-delà de la deuxième année du secondaire, ayant dû subvenir aux besoins de sa famille. Il n’exerce aujourd’hui aucun emploi. Une suspension d’audience a été prononcée avant la reprise des questions des avocats de la défense dans l’après-midi.  

Le reste de la matinée a été consacré au témoignage d’Eraste Nyilimana, entendu en visioconférence depuis l’Afrique du Sud. Âgé de 68 ans, enseignant et pasteur, Eraste Nyilimana réside actuellement en Afrique du Sud. Il a expliqué avoir connu Sosthène Munyemana à Butare, où ce dernier exerçait en tant que médecin à lhôpital. Eraste y vivait également, avant de se rendre à Tumba chez son beau-frère, également médecin et collègue de Sosthène. Les deux hommes, voisins, se fréquentaient régulièrement. Lorsque les massacres ont commencé, le beau-frère d’Eraste est mort à lhôpital, sans lien avec le génocide. Eraste décrit Sosthène comme un homme raisonnable, soucieux d’aider les autres, et affirme qu’il a lui-même trouvé refuge chez lui. Il se souvient que Sosthène Munyemana avait demandé à ses proches de ne pas participer aux tueries.

Selon son témoignage, Sosthène Munyemana aurait également protégé certaines personnes recherchées, allant jusqu’à convaincre leurs poursuivants de les épargner. Il aurait aussi cherché à obtenir l’ouverture du bureau de secteur pour abriter des réfugiés qui passaient la nuit dehors, mais certaines ont été tuées avant de pouvoir y parvenir. Eraste a ajouté que Sosthène s’était inquiété de sa propre sécurité et avait quitté le Rwanda en juin 1994.

Le président de la Cour l’a interrogé sur une lettre datée du 9 juillet 1996, envoyée depuis Nairobi à un journal qui avait publié un article intitulé « Le boucher de Tumba ». Eraste a confirmé en être l’auteur, précisant qu’il avait voulu témoigner en faveur de Sosthène Munyemana, dont il affirmait connaître le comportement.

Interrogé sur la mort de son beau-frère, il a indiqué quil s’agissait d’une mort naturelle, et non d’un assassinat. Il a également confirmé être lui-même Hutu, tout comme son beau-frère, et a expliqué quil s’était rendu à Tumba pour des raisons professionnelles. Il a déclaré ne pas se souvenir d’une réunion tenue le 17 avril au bureau de secteur, bien qu’il l’ait évoquée dans son courrier, et a précisé ne pas se rappeler de l’existence d’une barrière près du domicile de Sosthène. Il a toutefois affirmé s’être déjà rendu au bureau de secteur, où il avait vu une vingtaine de personnes enfermées, sans blessés apparents. Ces personnes, selon lui, n’avaient pas vocation à y rester longtemps. Enfin, il a déclaré n’avoir jamais entendu Sosthène Munyemana tenir de propos anti-Tutsis, ni avoir eu de contact avec lui après son départ du Rwanda, si ce n’est à l’occasion d’une cérémonie en ligne. Eraste Nyilimana a conclu en rappelant qu’il avait quitté le Rwanda en juin 1994 et qu’il n’y était retourné qu’à deux reprises, en 2000 et en 2004.

La Cour a remercié M. Nyilimana pour son intervention et appelle Mme Elvanie Mukandamage, domestique de Sosthène Munyemana.

Mattéo ANNE et Anaïs LEPARC, Étudiants

 

 

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