Procès de Sosthène Munyemana à la Cour d’appel de Paris, Jour 9

Compte-rendu de l’audience du 26 septembre 2025, jour 9 

L’audience de ce vendredi le 26 septembre 2025 s’est ouverte à 9 heures par le témoignage, par visioconférence, de Jean-Marie Vianney Gashugi, partie civile

D’emblée, Jean Marie Vianney Gashugi a affirmé sa confiance en la justice et en la décision qui sera rendue par la cour d’appel de Paris. Il s’est ensuite présenté : né en 1959, il a grandi à Tumba, dans la province de Butare. Le 18 avril 1994, il s’est enfui pour le Burundi. Selon les membres de la Cour, il a déposé plainte le 11 août 1995, par une lettre manuscrite rédigée en français, et a été auditionné le 18 mars 2010. Jusqu’au 18 avril 1994, date à laquelle il a fui, il habitait à Tumba. Ses parents étaient déjà décédés et il vivait avec son grand frère, avec qui il travaillait comme commerçant. Ils étaient des commerçants importants de Butare. Jean Marie Vianney Gashugi a précisé avoir adhéré dès sa création au Parti libéral. Il a expliqué connaître Sosthène Munyemana, qui vivait à environ 300 mètres de chez lui. Il passait régulièrement devant sa maison pour se rendre en ville, pour travailler notamment. Lors de rassemblements familiaux, Sosthène Munyemana pouvait aussi être présent, mais Jean Marie Vianney Gashugi dit n’y avoir prêté qu’une attention limitée, notamment du fait qu’ils n’étaient pas du même rang social.

Selon lui, l’image qui se dégageait de Sosthène Munyemana était celle d’un militant actif pour le parti MDR. Il a en effet relaté avoir vu, lors d’une manifestation, devant un magasin et une station-service, Sosthène Munyemana lever le bras pour montrer une inscription « MDR Power » qu’il avait tracée sur son bras avec un stylo rouge. Il était aussi habillé en rouge et noir, aux couleurs du parti politique. Jean Marie Vianney Gashugi se trouvait à environ cinq mètres de lui à ce moment-là.

Concernant ses relations, il a affirmé avoir vu Sosthène Munyemana en compagnie de personnalités politiques, notamment du futur Premier ministre du gouvernement intérimaire, qu’il fréquentait avant même sa nomination, lorsque ce dernier travaillait encore pour la Banque Populaire de Kigali. Il a précisé avoir observé ces contacts à deux reprises en 1993. Kambanda avait un frère à Tumba et était géographiquement proche de chez Munyemana.

Interrogé sur sa prise de conscience du génocide, Jean Marie Vianney Gashugi a expliqué qu’il s’était rendu à Kigali le 6 avril 1994 pour des achats, et que le lendemain il avait appris, grâce au téléphone fixe d’un voisin, que le génocide y avait commencé. En raison de l’interdiction de regroupements de plus de 3 personnes dans son quartier, l’information circulait difficilement. Il n’écoutait que Radio Rwanda, qui ne donnait que peu d’informations, si ce n’est l’annonce de la mort du président. Dès le 7 avril, il évoque le fait que toute personne Tutsi se sentait menacée et avait un doute sur le positionnement des autorités.

Il est ensuite interrogé sur sa déclaration faite en 1995, dans laquelle il aurait affirmé avoir entendu Sosthène Munyemana appeler publiquement au massacre des Tutsi. Jean Marie Vianney Gashugi a contesté avoir tenu de tels propos. Il a expliqué que la plainte avait été rédigée par des personnes françaises, dont il ne connaissait pas l’identité, dans une langue qu’il ne parle pas, et ce dans un contexte d’instabilité au Rwanda. Il a néanmoins confirmé avoir vu, le 17 avril 1994, Sosthène Munyemana, ainsi que le conseiller de secteur et Félix Kubwimana, participer à une réunion au bureau de secteur, situé à une vingtaine de mètres de son domicile. Ce rassemblement, exclusivement composé de Hutu selon lui, l’a effrayé et l’a poussé à fuir dès le lendemain, le 18 avril. Certaines personnes reconnues dans cette réunion ont été traduites en justice et condamnées pour crime de masse à la fin du génocide. À son retour, il a appris l’ampleur des massacres, au cours desquels il a perdu trois membres de sa famille à Tumba, et environ trois cents au total. C’est aussi à son retour qu’il a pu comprendre l’implication de Sosthène Munyemana dans les événements après le 18 avril. Jean Marie Vianney Gashugi a ensuite raconté sa fuite vers le Burundi : il est parti avec l’épouse de son frère Laurent Kaberanya, surnommé “Somalie”, également commerçant, et leurs deux enfants en bas âge. Laurent Kaberanya, resté sur place, a été tué, ainsi que leur sœur. Son épouse, Umuhoza Marie Goretti, a survécu au génocide mais est décédée d’une mort naturelle en 2004 ou 2005 à Butare.

Il a également évoqué les signes avant-coureurs de sa fuite : l’arrivée de réfugiés Tutsi des communes voisines, les tensions perceptibles, la réunion du 17 avril.

La défense a souligné que certains témoins Tutsi affirmaient avoir été présents à ladite réunion, qui n’aurait alors pas été exclusivement réservée aux Hutu. Il a ajouté que les réfugiés Tutsi ne passaient pas devant chez lui, mais dès qu’ils arrivaient dans leurs familles, ils racontaient tout ce qu’il se passait à Kigali. Le président de la cour d’appel remercie Jean Marie Vianney Gashugi pour son témoignage.

Le deuxième témoignage entendu dans la matinée a été celui d’Espérance Gahongayire Patureau, également partie civile.

Née en 1955 au Rwanda, elle a raconté son parcours de vie marquée dès l’enfance par les persécutions subies en raison de son appartenance ethnique. Elle habitait à Butare. Avant de fuir avec sa famille à l’âge de 6 ans, elle a vu des maisons brûler, des voisins armés de lances et de gourdins. Certains chantaient même la mort des Tutsi en descendant de la colline, habillés de feuilles de bananiers.  Sa famille et elle se sont réfugiées à Goma. Elle a décrit une enfance marquée par l’exclusion et l’impossibilité de poursuivre des études universitaires. À 17 ans, elle travaille dans un magasin de fournitures scolaires fréquenté par les étudiants de l’université, dans la province de Butare, face à un hôtel Ibis. En 1973, la mise en place des “comités de salut” et de listes de personnes Tutsi à chasser a notamment conduit à l’exclusion des Tutsi des universités et du travail. Elle a perdu son emploi et a assisté au départ forcé de nombreux étudiants vers l’étranger. Un matin, elle a vu arriver un groupe d’étudiants de l’université à un rond-point, demandant une carte d’identité. Elle a dû rentrer chez elle.

En 1979, elle a perdu sa nationalité rwandaise en se mariant avec un homme français, devenant apatride avant d’acquérir la nationalité française. Partie en 1981, elle est néanmoins revenue régulièrement au Rwanda jusqu’en 1990. Elle a témoigné de la montée progressive de l’insécurité, se traduisant notamment par la mise en place de barrières, de contrôles de bagages et d’identité à la suite de l’attaque du FPR, lui rappelant les mesures prises sous la République de Kayibanda.  En 1990, ses proches lui ont demandé de ne plus revenir, afin de pouvoir au moins transmettre leur histoire. En 1993, ses parents habitaient Tumba et son frère Charles habitait Gikongoro. Son mari et elle habitaient en Guinée. Ils écoutaient les événements depuis la Radio Guinéenne ou RFI. Elle n’a plus jamais revu la majorité de sa famille.

À la fin du génocide, un prêtre lui a écrit pour lui annoncer que toute sa famille avait été tuée, à l’exception d’un frère et d’une sœur, alors qu’ils étaient dix enfants. Tous ceux qui habitaient Tumba sont morts. Après le génocide en 1995, elle est revenue à Tumba, elle a découvert des maisons détruites, dont la sienne criblée de balles. Les rescapés, dont son frère, lui ont raconté ce qu’ils avaient vécu. Elle raconte qu’avant le génocide, le docteur Munyemana avait une réputation solide. C’était une fierté pour tous d’avoir un jeune gynécologue. Espérance a affirmé que Sosthène Munyemana détenait la clé du bureau de secteur, par lequel passaient des Tutsi avant d’être exécutés. Ces informations lui ont été clairement exprimées par une voisine, Verediana, et une cousine, Rosata Malifaye.  Sa mère aurait été emmenée vers une fosse commune où elle a été tuée. Son frère, Laurent, aurait demandé à être caché chez le docteur Munyemana. Elle a aussi rapporté qu’Anne-Marie Kamanzi et Alfred Mageza lui avaient raconté une conversation entre Sosthène Munyemana et son frère Laurent au cours de laquelle il lui aurait demandé : « Où sont les autres ? ». Son frère, les bras liés et l’oreille coupée, aurait ensuite été emmené et tué à son tour. Les miliciens se sont appropriés la maison familiale et ont changé totalement la dépendance. Elle affirme ensuite que si l’un des membres de sa famille avait été vivant, il serait venu à la cour pour témoigner contre lui.

Grazia, la mère de Serge Gasana, a expliqué à Espérance l’implication du docteur Munyemana lors de la réunion du 17 avril à Tumba, mais aussi comment il enfermait des Tutsi dans le bureau de secteur. Au cours de son témoignage, Espérance a voulu faire passer des photos de familles pour rappeler l’importance d’humaniser les procès, et d’éviter que cela ne soit que des chiffres sans visage. Répondant aux questions de la cour, elle a confirmé que des périodes de bonne entente avaient existé entre Tutsi et Hutu, mais qu’elles avaient été ponctuées de crises récurrentes. Le Président de la cour a remercié Espérance Gahongayire Patureau pour son témoignage et a suspendu la séance à 13h00

Audition de Mr Mathias Nsanzabahizi, en visioconférence, détenu à la prison de Karubanda/HUYE.

Avant le génocide, il habitait à Ngoma et travaillait en tant que chauffeur policier. En 1987, il a été démobilisé par l’armée et donc il a été nommé chauffeur policier jusqu’en 1992. En 1994, le bourgmestre Kanyabashi l’a nommé policier et chauffeur de nouveau. Pendant le génocide, c’est le brigadier Jean-Baptiste qui lui a fourni son équipement. Il ne connaissait pas Sosthène Munyemana personnellement ; il savait seulement qu’il était gynécologue au CHU de Butare, et connaissait le lieu de son domicile. Il lui a seulement parlé le 25 avril 1994 à propos des massacres, moment au cours duquel Sosthène Munyemana aurait évoqué la fin des Tutsi avec ferveur. Le 21 avril, vers 15 heures, le bourgmestre avait eu l’information que des Tutsi avaient été tués et donc qu’il devait impérativement être conduit au bureau de secteur.  Lors de ce déplacement avec le bourgmestre, il a vu Sosthène Munyemana en compagnie du brigadier Jean-Paul et Ruganzu, devant la maison de ce dernier. Devant eux, gisaient 5 corps encore saignants. À cause de cela, il ne pouvait pas aller plus loin en voiture. Le préfet s’est adressé à Sosthène : « Pourquoi avez-vous tué ces gens, ne savez-vous pas qu’il y a des satellites ? » ; ce à quoi le docteur Munyemana aurait répondu « On a creusé une fosse pour eux ». Le bourgmestre s’est donc entretenu discrètement chez Sosthène Munyemana accompagné du brigadier, du préfet et du journaliste. Le directeur pénitentiaire Munyaragwe serait venu seul. Ils sont sortis au bout de 20 minutes, avant que le docteur Munyemana n’aille au bureau de secteur pour « répondre à l’appel du bourgmestre ». Le docteur avait un couteau de 40 centimètres enfoncé dans une gaine qu’il portait à la ceinture, ainsi qu’un chapeau de bananier. Il s’est souvenu de la date du 21 avril, puisque le lendemain il y a eu un massacre de Tutsi sur la colline voisine, auquel il a participé et plaidé coupable. Il s’accorde sur le fait que Sosthène Munyemana était présent aux réunions du MDR, qui a travaillé avec les membres du MRND. Munyemana y avait un rôle de supervision.

Il a indiqué à la cour avoir été condamné pour crime de génocide, ce qu’il a reconnu. Il avoue devant tous qu’il a tué 3 personnes avec un fusil, ce pour quoi il a été condamné à 24 ans. Au bout de 12 ans en prison, il ne lui restait que 6 ans. Ensuite, il a été condamné pour viol, a été blanchi en première instance avant d’être condamné à perpétuité sans possibilité de remise de peine, sauf grâce présidentielle.  Au sein de la prison, il a eu un rôle social d’auxiliaire de santé pour les prisonniers, puis il a été nommé capita pour diriger tous les détenus des blocs entre 250 et 300 personnes, mais il n’a eu aucun avantage. Il était simplement présent dans les comités de vérité, qui servaient à sensibiliser les détenus afin d’avouer les crimes.

La cour a remercié Mr Nsanzabahizi pour son témoignage et a appelé Madame Marie-Claire Dusabe, partie civile en visioconférence à venir témoigner.

 Anaïs LEPARC et Mattéo ANNE, Étudiants et Volontaires