Procès de Sosthène Munyemana à la Cour d’Assises de Paris, Jour 16
Compte-rendu de l’audience du procès de mardi 07 octobre 2025, Jour 16
L’après-midi de cette audience s’est articulé autour de quatre auditions.
1. Parole de l’accusé Mr Sosthène Munyemana
« Il n’est pas simple de prendre la parole après une semaine », dit-il
Moi, ma femme et mon fils n’ont jamais cultivé de différences ethniques ou de ségrégation. Parmi tous les témoignages, je mentionne le témoignage de Laurien Ntezimana qui avait mis ensemble les enfants dans un local fermé en connaissant le risque qu’il prenait pour les mettre à l’abri en attendant Terre des Hommes. Ces orphelins étaient objet de massacre donc pour lui. L’intention est plus importante que tout et il avait l’intention de sauver.
Je retiens aussi le témoignage de Josepha Mujawayezu qui était une voisine et amie.
On faisait des rencontres familiales et on se demandait quoi faire pour les réfugiés du bureau de secteur. Elle n’habitait pas loin du bureau de secteur qui était à côté des fosses. Les milices venaient prendre les réfugiés du bureau pour les y jeter.
J’assume d’avoir accepté une solution temporaire de Bwanakeye qui était de mettre les réfugiés dans le bureau avant que lui vienne les chercher pour les amener dans un endroit plus sûr.
Une autre solution aurait été de les amener dans les marais mais ici où on était il n’y en avait pas. Que devais-je faire ?
Un héros c’est quelqu’un prêt à mourir pour la cause qu’il défend. J’ai eu peur, j’ai fui deux fois, je ne revendique pas d’héroïsme et je suis un homme tout à fait ordinaire. Mukandamage et moi avons passé la plupart de notre temps avec les enfants. J’ai retenu un autre témoignage qui montrait que même pendant le génocide, les Hutus et les Tutsi pouvaient s’entraider.
2. Comparution de la témoin Mme Gaudiose Ntakirutimana, partie civile
- Témoin : J’ai 67 ans, j’habite à Tumba, je suis agricultrice.
- Président de la Cour : Vous dites 67 ans. Vous avez indiqué être née en 1971. Donc vous avez 67 ans?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Vous êtes partie civile?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Nous vous écoutons puis nous vous poserons des questions.
- Témoin : Le génocide a commencé, j’habitais à RANGO. Je me suis réfugiée à Kabakobwa. À mon retour, la maison avait été pillée. Nous avons continué à vivre une vie difficile.
Mon mari qui se cachait dans notre maison, a été arrêté et enfermé dans la maison 60. Puis il a été amené dans le bureau de secteur, il a passé la nuit, puis, il a été amené à la préfecture. Un homme appelé Shinani m’a raconté que mon mari était à la préfecture. Quand je m’y suis rendue, j’ai trouvé qu’il avait été tellement battu qu’il ne pouvait manger, il ne pouvait pas non plus bouger. Mon mari m’a dit de ne plus jamais revenir. A mon retour à la maison, j’ai dit à Nikuze Rose l’état dans lequel je l’avais trouvé. Lorsqu’elle est revenue à la préfecture, le même Shinani lui révèle que son mari, comme les autres hommes, ont été emmenés à Kinanira où on a jeté leurs corps dans une fosse. Un certain Rurangwa lui apprend que ces hommes étaient tués et qu’elle devait donner de l’argent pour payer les fossoyeurs. Je leur ai dit qu’il n’y avait plus rien, et ils m’ont violée. Ils m’ont demandé si j’avais de l’argent pour qu’on ne tue pas mes enfants. J’ai dit que celui qui a tout pillé avait un matelas et un vélo, ils ont pris cela et non pas tué mes enfants. J’ai demandé qui ordonnait de prendre nos biens. Ils ont dit qu’il revenait d’une réunion où Munyemana a dit de prendre tous les biens des Tutsi. J’ai continué de vivre une vie horrible. À cause de ces viols, j’avais des maladies incurables, j’ai beaucoup souffert jusqu’à qu’on puisse trouver où me faire soigner. C’est tout ce dont je me rappelle, mais si vous me posez des questions je pourrais vous répondre.
- Président de la Cour : Vos deux parents étaient des Tutsis comme vous l’avez dit lors de votre premier témoignage ?
- Témoin : Ma mère est Hutu, mon père Tutsi. Mais, ma mère était Tutsi car on avait changé d’ethnie
- Président de la Cour : Quel âge avaient vos enfants au moment du génocide ? Comment s’appelait votre mari ?
- Témoin : Mon mari s’appelait Innocent Rutayisire. Mes enfants avaient un an et huit mois mais la témoin ne souvient plus de leurs noms ne sachant pas écrire ni lire
- Président de la Cour : Vous aviez dit trois ans et neuf mois
- Témoin : Je vous ai dit que je ne sais ni lire ni écrire.
- Président de la Cour : Donc ils étaient en bas âge ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Vous ne savez ni écrire, ni lire, vous ne savez que faire votre signature ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Vous n’étiez dans aucun parti politique ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Vous habitiez à Rango ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : À combien de temps du bureau ?
- Témoin : Pas très loin, un enfant pouvait y aller pour un homme adulte, c’était peut-être 10 minutes.
- Président de la Cour : Vous avez dit que votre mari a été torturé et tué à la maison 60. Savez-vous qui a fait ça et étiez-vous là ?
- Témoin : Le responsable Emile est venu à la maison plusieurs fois pendant que mon mari se cachait dans les faux plafonds. Il a sonné et mon mari a répondu. C’était une grande attaque de ce responsable. Il l’a amené dans la maison 60, puis déplacé dans le fossé
- .Président de la Cour : Vous aviez dit que votre mari se cachait pour pas qu’on le trouve, qu’ils vous violaient tous les jours et que votre mari n’en pouvait plus d’entendre, cela donc il est sorti pour vous aider c’est là qu’on l’a attrapé. Vous aviez dit que Rurangwa a dit qu’ils vous avaient assez violée et que lui ne passerait pas après. Ils ont pris votre mari et l’ont emmené dans la cuisine de la maison 60.
- Témoin : Oui c’est ça qui s’est passé
- Président de la Cour : Ce que vous avez déclaré en 2011 est vrai ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Lorsqu’il a été amené, est-ce que vous l’avez suivi ?
- Témoin : Non, je suis restée à la maison avec les enfants.
- Président de la Cour : Pouvez-vous donner des noms ? Rurangwa et Émile ? Qui avait-il d’autres ?
- Témoin : Karamereye Japonais, Rugira, Maniraho et d’autres dont je ne me rappelle plus
- Président de la Cour : Étiez-vous présente au bureau ? Avez-vous pu constater la présence de votre mari au bureau de secteur ? Avez-vous vu comment on le traitait ?
- Témoin : Non, je ne m’y suis pas rendue, sinon ils allaient prendre mes enfants.
- Président de la Cour : Vous dites que vous avez revu votre mari à la préfecture vous confirmez avoir vu son état à ce moment là ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Comment avez-vous eu les informations concernant le nombre de jours passés par votre mari dans le bureau de secteur de même ? Comment avez-vous connu le traitement et les conditions dans lesquelles il était ?
- Témoin : Oui j’ai eu les informations de la part de Rurangwa car il y avait un lien de parrainage dans la famille. Ils étaient nombreux très serrés et ils ne laissaient pas la famille amener à manger. Les voisins avaient cassé les vitres pour qu’on les laisse partir.
- Président de la Cour : Vous parlez d’un lien de parrainage pouvez-vous nous éclairer. À quelle occasion vous apprenez cela de la part de Rurangwa ?
- Témoin : Je ne me rappelle pas de la date, mais c’était sûrement au mois de mai.
- Président de la Cour : Je voulais dire à quel moment il vous a dit ça, est-ce que c’était à un moment particulier ? Un évènement particulier ?
- Témoin : Quand il quittait la réunion, il venait me le dire il me disait de cacher les enfants.
- Président de la Cour : Est-ce que vous avez entendu cela aux Gacacas ? C’est ce que vous avez dit dans votre témoignage au juge d’instruction.
- Témoin : Oui je confirme, ça s’est passé comme ça.
- Président de la Cour : Vous ajoutez que les Interahamwe cherchaient les clés du bureau de secteur auprès de Sosthène Munyemana pour enfermer votre mari. Vous confirmez cela
- Témoin : Oui, il a donné ces infos dans les Gacaca.
- Président de la Cour : Les Interahamwe avaient chargé les maris pour les amener à la préfecture de Butare. Vous souvenez-vous avoir entendu dire ça ?
- Témoin : Oui ce sont les informations qu’il nous a données.
- Président de la Cour : Savez-vous pourquoi ils ont été transférés à la préfecture de Butare
- Témoin : Je pensais que comme il y avait trop de Tutsi, il fallait faire un transfert pour les tuer.
- Président de la Cour : Vous aviez donné une autre explication. Que Rurangwa disait que c’est, parce qu’il ne savait plus où mettre les cadavres car les fosses étaient pleines.
- Témoin : Je confirme.
- Président de la Cour : Est-ce que vous vous en souvenez ou vous dites cela parce que je vous ai dit que c’était écrit dans votre procès-verbal ?
- Témoin : Oui je m’en suis rappelée ça fait longtemps.
- Président de la Cour : Comment avez-vous su que des personnes tapaient sur les portes et les fenêtres ? Est-ce que c’était dans l’intention de les libérer ou pour d’autres intentions ?
- Témoin : Rurangwa avait dit ça. C’était les personnes de l’intérieur qui tapaient pour sortir
- Président de la Cour : Vous avez évoqué de mauvaises conditions d’enfermement au bureau de secteur, notamment concernant l’aspect de la privation des soins et de la nourriture, qui vous l’a dit ?
- Témoin : Il n’avait rien, on ne leur avait rien donné, même pas de l’eau à boire.
- Président de la Cour : Vous avez indiqué que les Interahamwe avaient pris les clés chez Munyemana. Avez-vous entendu qu’il a ouvert lui-même ou fermé le bureau ?
- Témoin : Toutes les informations venaient de Rurangwa qui disait que Munyemana ouvrait pour les gens qu’on allait enfermer et il ouvrait pour ce qu’on allait les tuer. Et il l’a dit également au moment de la collecte des Gacaca.
- Président de la Cour : Vous avez indiqué que vous avez revu votre mari à la préfecture. Comment vous vous y êtes rendue ?
- Témoin : J’avais pris ma carte d’identité, j’avais demandé au voisin de m’en faire une car il était policier. C’était 5000 francs rwandais et une photo pour faire une carte d’identité
- Président de la Cour : Vous avez évoqué les blessures de votre mari, notamment au niveau des articulations et des difficultés. Vous avez dit qu’ils étaient très nombreux, qu’ils étaient dehors gardés par des militaires, que votre mari était blessé de partout, qu’il n’avait plus de force, qu’il ne pouvait plus manger, ni se tenir debout et que c’était la seule fois que vous aviez pu le voir.
- Témoin : Oui, je confirme.
- Président de la Cour : Avez-vous témoigné aux Gacaca de Munyemana ?
- Témoin : Les informations étaient relatées par Rurangwa.
- Président de la Cour : Donc vous n’avez pas témoigné ?
- Témoin : Non, les informations étaient données par Rurangwa.
- Président de la Cour : Avez-vous retrouvé le corps de votre mari ?
- Témoin : Non, pas encore.
- Président de la Cour : Combien de personnes sont mortes dans votre famille suite au génocide ?
- Témoin : Beaucoup environ 40 membres, sans compter les enfants
- Président de la Cour : Vos enfants sont-ils toujours en vie ?
- Témoin : Oui, mes enfants sont vivants.
- Président de la Cour : Vos violeurs ont-ils été jugés ?
- Témoin : La plupart ont fui.
- Président de la Cour : Vous êtes restés chez vous pendant tout le génocide ?
- Témoin : Oui, il n’y avait pas de chemin pour fuir.
- Président de la Cour : Pourquoi vous pensez que vous n’êtes pas morte ?
- Témoin : À cause des gens qui me violaient. Ils ne savaient pas que mes enfants étaient encore vivants.
- Procureur général : De façon plus générale concernant ce que vous avez vu, et entendu après le génocide. Pourquoi vous pensez que les femmes au mois de mai n’ont pas systématiquement été tuées, mais ont été épargnée contrairement aux hommes ?
- Témoin : Ils avaient dit de ne pas nous tuer que les femmes allaient mettre au monde pour eux de beaux enfants.
- Avocat de la défense : Toutes les informations concernant Sosthène Munyemana venait de Rurangwa lors des Gacaca. Rurangwa était-il détenu lors des Gacaca ?
- Témoin : Non, il n’était pas en détention,
- Avocat de la défense : Connaissez-vous les dates des Gacaca?
- Témoin : Non puisque je vous ai dit que je ne sais ni lire ni écrire.
- Avocat : Êtes-vous certaine qu’il n’était pas détenu ? Vous aviez indiqué que depuis qu’il a été libéré, il a fuit donc cela donnait l’impression qu’il était détenu lors des Gacaca. Vous en souvenez-vous bien ?
- Témoin : Pendant cette Gacaca il n’avait pas encore fui.
- Avocat : Il devait être considéré comme un grand tueur, un Interahamwe, vous souvenez-vous d’une condamnation ?
- Témoin : Non, il n’a jamais été condamné car il avait disparu.
- Avocat : Pour l’information de la Cour, selon le rapport les Gacaca au niveau national ont été mis en place le 15 janvier 2005.
- Autre avocat : Vous avez parlé d’une personne dénommée Shinani. Pouvez-vous dire qui c’est ?
- Témoin : C’était un Interahamwe assez important qui travaillait à la préfecture là où étaient détenus les hommes.
- Avocat : Donc il devait avoir des informations exactes ?
- Témoin : Oui.
- Avocat : Lors de votre audition, vous avez dit la façon horrible dont votre mari et les autres étaient traités et vous avez dit que Shinani avait dit qu’ils avaient passé trois jours-là. En avez-vous le souvenir ?
- Témoin : Souvent il nous disait juste cela pour nous faire du mal pas parce que c’était vrai.
- Avocat : Il aurait dit que ça s’était passé le 23 mai qu’ils avaient tous été tués. Vous en rappelez-vous ?
- Témoin : Peut-être que c’était vrai car il travaillait à la préfecture.
- Avocat : Est-ce qu’il n’aurait pas pu vous dire où se trouve le corps de votre mari ?
- Témoin : Non il n’a rien dit, il voulait que ça reste caché.
- Autre avocat : Rurangwa était présent à sa propre Gacaca ?
- Témoin : Oui, il a reconnu les faits et a accepté de rendre les biens pillé.
- Avocat : Avez-vous assisté aux Gacaca ?
- Témoin : J’y avais assisté, j’étais perturbée durant les Gacaca donc je ne suis pas tout le temps allée.
3. Comparution du témoin Mr Onesphore Kamanzi
Le témoin prête serment et se présente. Il y a eu de grandes difficultés avec ce témoin dû à son âge. Il y a eu des problèmes de compréhension, des problèmes d’expression, des problèmes de fatigue. Par conséquent l’audition a été écourtée au bout d’une heure.
- Témoin : Je suis né le 1er janvier 1946.
- Président de la Cour : Vous n’avez pas de lien d’alliance avec les parties civiles ou l’accusé ?
- Témoin : Aucun lien
- Président de la Cour : Vous n’avez jamais travaillé à leur service?
- Témoin : Non, je suis magistrat. Là où je travaillais, il y avait le grand frère de Munyemana c’est là que nous nous sommes connus.
- Président de la Cour : Que s’est-il passé pendant le génocide en lien avec Munyema ?
- Témoin : Si j’ai bonne mémoire, toute chose, et grand-chose que j’ai vu de lui et qu’il est actif dans tout.
- Des personnes de la salle : Non ce n’est pas ça !
- Président de la Cour : Veuillez répéter la traduction
- Témoin : Son implication dans le génocide n’est pas un mensonge. Il était à l’époque, médecin et était un leader influent de l’opinion.
- Président de la Cour : Où habitez-vous durant le génocide ?
- Témoin : Kigembi à 20 kilomètres de Butare
- Président de la Cour : Quel était l’ethnie de ses parents ?
- Témoin : Nous avons dépassé ce stade d’ethnie, c’est l’héritage de la colonisation
- Président de la Cour : Il a dit que son père était Hutus et sa maman Tutsi
- Témoin : Je crois que c’est vrai.
- Président de la Cour : Le 26 mars 2010, on retient cette réponse de vous que vous étiez mariés et aviez 8 enfants.
- Témoin : Mettez témoignage passé, reste les mêmes. Veuillez vous y référer, ça m’évitera de me fatiguer.
- Président de la Cour : Quel était votre profession ?
- Témoin : Je vous l’ai déjà dit tout à l’heure.
- Président de la Cour : Pouvez-vous le répéter ?
- Témoin : J’étais magistrat, et aujourd’hui je suis magistrat à la retraite.
- Président de la Cour : En avril 1994, votre maison est détruite au moment du massacre de votre famille, Pouvez-vous nous en dire plus et la date des évènements ?
- Témoin : Munyemana n’a rien à faire avec la mort de ma famille.
- Président de la Cour : Pourquoi votre maison était détruite et votre famille massacrée ?
- Témoin : Ils sont morts de la même façon que les autres victimes du génocide.
- Président de la Cour : Vous dites que ce que vous disiez suscite de la colère, parce que vous étiez un juge modéré. Est-ce vrai ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Vous avez quitté chez vous et vous êtes retrouvés chez Munyemana à Tumba ? Avec qui ? À quelle date ?
Suspension (5 min)
- Témoin : Je ne peux pas me souvenir de la date, mais j’ai fui parce que je devais sauver ma peau.
- Président de la Cour : Qui sont les autres ?
- Témoin : Je ne sais pas, une foule. Je ne peux m’en souvenir, mais vous pouvez vous appuyer sur mes témoignages antérieurs.
- Président de la Cour : Vous avez dit que c’était le 17/18 avril à fin mai 1994, vous confirmez ?
- Témoin : Ça a été inscrit.
- Président de la Cour : Vous souvenez-vous des personnes présentes ?
- Témoin : Je ne me souviens pas c’était, il y a longtemps. Référez-vous à mes témoignages antérieurs.
- Président de la Cour : Vous rappelez-vous des ethnies qui fuyaient chez Munyemana ?
- Témoin : Je ne m’en rappelle pas.
- Président de la Cour : En résumé, quel rôle joué par Munyemana quand vous étiez chez lui ?
- Témoin : Un réfugié se trouve dans sa cachette.
- Président de la Cour : Vous voulez ajouter quelque chose ?
- Témoin : On ne voit rien dans sa cachette.
- Avocat de la partie civile : Est-ce que vous vous rappelez la personne Bonaventure NKUNDABAKURA, le chauffeur qui conduisait le véhicule qui amenait les gens chez Munyemana ? Pouvez-vous nous dire qui est-ce ?
- Témoin : Il était à la tête des massacres.
- Avocat : Vous aviez dit qu’il était à la tête du MDR et ne recevait des ordres de personne. Il battait sa femme qui se réfugiait chez vous. Vous confirmez ?
- Témoin : Je reste juge, je n’ai aucun intérêt à mentir.
- Avocat : L’implication de Munyemana n’est pas un mensonge. Pouvez-vous confirmer ce que vous veniez de dire ?
- Témoin : Pourquoi a-t-il été condamné ?
4. Comparution de la témoin Mme Claire Uwababyeyi, partie civile
Pas d’enquête d’audition concernant ce témoin. Elle a été appelée dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du juge.
Témoin : Je suis née en 1977, j’habitais dans le secteur de Mukura quand le génocide a commencé, j’avais 17 ans. Avant je ne savais pas ce que c’était qu’un génocide. En 1990, il y avait eu des rafles de gens qui venaient dans les domiciles pour prendre les hommes. Ça a continué jusqu’au génocide. Ils les emprisonnaient, les battaient puis les relâchaient. Souvent, il y avait des cas où on racontait que tel avait été retrouvé mort sur le chemin de la route. On disait que c’était sûrement un Tutsi qui était sorti et l’affaire s’arrêtait là. Au début du génocide, nous avons vu des réfugiés de Nyaruguru, de Gishambu, ils venaient se réfugier dans Ngoma. Il disait que des gens avaient été tués et des maisons incendiées. Les réfugiés venaient dans le secteur Sahela. Nous, les enfants suivions les hommes qui allaient pour barrer la route. Au niveau de la rivière, il y avait des gens qui passaient, et on les secourait, afin qu’ils ne soient plus en danger de mort. Beaucoup de gens traversaient.
Le premier cadavre, que j’ai vu, était celui d’une dame du nom de Cécile, qui était enceinte presque à terme, ce qui nous a montré que la situation était grave car on la connaissait c’était une voisine. À un moment, le conseiller du secteur est un bourgmestre Kanyabashi. Ils ont fait une réunion et dit qu’il ne fallait plus porter secours aux réfugiés, mais de veiller à notre propre sécurité dans notre domicile. Les gens qui portaient secours devaient arrêter et rester chez eux, il y avait des patrouilles envoyées pour leur dire cela.
Le 19 avril, nous étions dans nos habitations et nous avions peur, car les réfugiés ont dit que c’était les Tutsis qui étaient tués. Ils nous ont fait sortir de nos habitations et ils nous ont dit d’aller à Karabonga que c’était là que les Tutsis se réfugiaient. C’est ce qu’a dit Biziyaremye. Le 20 avril, certains commençaient à fuir. Il y avait des réunions, disant que les Tutsi ne devaient plus fuir, mais rester là-bas et que le secours leur serait apporté. Certains ont fui au Burundi ; beaucoup de jeunes avaient réussi à fuir, mais on a appris qu’ils ont été tués plus loin à une grande rivière.
Le 20 avril est une date assez importante pour moi car on a été encerclé par des Interahamwe avec des armes traditionnelles et par des militaires armés. Il y a eu des réunions dirigées par les militaires, les bourgmestres, les conseillers de plusieurs secteurs qui ont décidé que personne ne devait fuir, ils ont commencé à nous tirer dessus. Ils ont commencé à machetter et ceux qui couraient, on leur tirait dessus. À la tombée de la nuit, on essayait de fuir du milieu des cadavres. On avait été frappé. On nous avait jeté des pierres. Des femmes nous avaient déshabillées. Certains ont essayé de se glisser du milieu des cadavres jusqu’aux rivières car il pleuvait. Plus tard, ils sont revenus chercher ceux qui respiraient encore. Des bébés tétaient encore leurs mères qui étaient mortes. Les bébés aussi avaient été blessés à la machette.
Ils ont mis de côté les vivants en disant que c’était la pacification, donc ils ne tuaient plus. Ils ont dit qu’ils allaient nous emmener au bureau du secteur pour nous protéger. Ils nous y ont conduits, puis ont violé les jeunes filles et les ont mises dans le secteur dehors. Les Interahamwe voulaient nous lancer des grenades. On est resté là en attendant d’être tuées à la grenade.Vers 15 heures des militaires sont venus dans des camions de la commune. Ruhumbangegera a dit qu’il n’était pas question de nous lancer des grenades, car les grenades étaient réservées au front. Ils ont pris la décision de ne pas nous tuer avec des grenades, mais ils nous ont menées à une fosse creusée dans la journée à notre insu. Vers 18 heures, il ne faisait pas encore totalement sombre : ils nous ont réunis en disant à chacun de préparer son cœur car beaucoup ne reviendraient pas. L’interahamwe Kadundeze a voulu me violer en disant qu’il allait me prendre chez lui, mais j’ai refusé.
- Président de la Cour : On va avoir une Visio afférents dans 15 minutes. Pouvez-vous nous dire des éléments sur Munyemana ?
- Témoin : Oui. J’ai dit au général que je ne partais pas seule qu’il devait m’emmener avec mon frère.
Ils ont tué toutes les personnes qui étaient avec nous à la fosse. Je suis partie avec mon frère chez lui. On y est resté pendant trois jours et le troisième jour on est parti pendant qu’il était parti chasser des Tutsi. Je suis retournée chez moi à Sahera. J’ai emprunté des chemins de forêt, et je suis passée par des maisons. Jusqu’à arriver chez un des amis de mes parents en passant par la clôture, j’ai trouvé dans la cour, le neveu de sa femme et sa belle-mère découpé à la machette. Quand il nous a vus, il nous a demandé pourquoi on était revenu ici qu’on l’avait tabassé pour avoir amené un blessé à l’hôpital. Je lui ai dit que je voulais juste qu’il m’accompagne chez le conseiller pour avoir des papiers afin d’aller dans un endroit où se cacher les Tutsi. Il m’a dit qu’il ne s’était pas encore remis du fait qu’il avait été tabassé, mais que puisqu’il était contre ses massacres, il allait m’accompagner.
- Président de la Cour : Nous allons devoir arrêter pour la visioconférence avec le Rwanda. Confirmez-vous que vous avez des éléments en lien avec Munyemana ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Avez-vous vu ou parlé de Munyemana dans ce que vous avez vécu ?
- Témoin : Quand je suis allée, demander l’attestation de secteur, j’étais accompagnée de Fred (l’ami des parents). Le conseiller nous l’a refusée et nous a dit de partir qu’il nous la donnerait le lendemain. Quand je suis retournée, le lendemain, il a dit qu’il me la donnait, parce que ce n’était même pas sûr que j’arrive jusqu’à la préfecture des réfugiés.
J’ai trouvé que l’attestation allait plutôt me faire tuer car elle mentionnait que mon père et mon grand-père étaient des Tutsi. Je suis passée par des chemins. Mon frère et mon cousin m’ont rejointe pour se réfugier dans un endroit accueillant les Tutsi. On est parti traverser Rango pour aller à Tumba. On est arrivé à une barrière sur la propriété de Sindikubwaba où on nous a refusé le passage. Ils ont dit qu’on était des Tutsis. J’ai dit non qu’on veut juste se rendre en ville. Ils se sont mis sur le côté pour discuter. Un véhicule avec Munyemana est arrivé et s’est mis à parler avec eux. À ce moment ils ont tué mon frère et cousin.On m’a pris moi et une fille qui était là, on nous a fait passer par une gendarmerie. On nous a fait monter vers la ville et tous ces chemins par lesquels on passait étaient remplis de barrières où on tuait des gens. Je suis allée dans une mosquée pendant un temps, puis, j’ai été déplacée à l’EER, on m’a amenée dans une cave avec d’autres filles violées, on est resté à l’EER. On n’avait pas mangé, ils venaient pour nous violer et nous frapper. Les militaires nous maltraitaient au point d’en avoir des séquelles encore aujourd’hui. Aujourd’hui, j’ai des séquelles à la tête, aux jambes et je dois prendre des médicaments. Quand on a quitté l’EER, c’était pour nous amener à la préfecture, on nous a frappé tout le long.
Ma tante a fait envoyer son violeur avec qui elle était restée pour qu’il vienne me chercher. Ce fut une période de tranquillité parce que je n’étais ni violée, ni frappée, mais on nous amenait à la fosse et son violeur venait nous chercher. À la fin du génocide ce militaire nous a emmené dans un autre endroit et ce fut à nouveau une période de tranquillité, grâce à lui et nous gardait. Puis il nous a laissées à un endroit en disant de retourner dans le secteur d’où on venait.
- Président de la Cour : Vous avez dit qu’à la barrière, vous avez vu un véhicule avec Munyemana. Aviez-vous déjà entendu parler de lui avant le génocide ?
- Témoin : Non.
- Président de la Cour : Comment saviez-vous que c’était lui ?
- Témoin : Parce que ces Interahamwe ont dit que leur chef était Munyema. Pour moi il faisait une réunion pour savoir ce qu’ils allaient faire de nous et notamment ils ont tué mon frère.
- Président de la Cour : Avez-vous entendu leur discussion ?
- Témoin : Tout ce que je sais, c’est que directement après ils ont tué les hommes qui étaient là dont mon cousin et mon frère.
- Président de la Cour : Vous rappelez-vous de la couleur de la voiture ?
- Témoin : Non je ne m’en rappelle pas.
- Président de la Cour : Lors de la conclusion de l’enquête, il a été déterminé qu’il n’y avait pas d’éléments attestant de son implication aux barrières. Êtes-vous sûre que c’était lui ?
- Témoin : Oui je l’ai vu et reconnu mais il a changé, il a vieilli, ce n’est pas comme avant.
- Président de la Cour : Depuis l’auriez-vous vu ou entendu parler de lui ?
- Témoin : Non, je ne l’ai plus revu.
- Président de la Cour : Qui avez-vous perdu dans ce génocide ?
- Témoin : Des membres de ma fratrie et mes parents.
- Président de la Cour: Avez-vous fait l’objet d’un soutien psychologique ?
- Témoin : Oui.
- Président de la Cour : Pouvez-vous expliquer?
- Témoin : Oui j’ai été violée, j’ai eu des enfants dont, je ne connais pas le père, je les ai élevés toute seule ce qui était très difficile puisque, j’étais jeune et j’avais besoin de parents mais je n’en avais plus. Et je n’avais pas de domicile, ça a eu des séquelles sur moi, je trouve que c’est une honte de ne pas connaître le père de mes fils.
- Magistrat : Combien de personnes garder la barrière ?
- Témoin : Plus de trois, mais je n’ai pas compté.
- Magistrat : Vos frères ont été tués à la barrière?
- Témoin : Oui.
- Magistrat : Munyemana était là ?
- Témoin : Oui.
- Magistrat : Et cette scène s’est passée combien de temps à peu près ?
- Témoin : Elle a duré un temps où on disait qu’on n’était pas des Tutsi mais par la suite ils les ont tués quand même après les avoir amenés d’un côté de la barrière.
- Magistrat : Munyemana est parti à quel moment ?
- Témoin : Après un moment.
- Magistrat : Il était armé?
- Témoin : Non, je n’ai rien vu sur lui.
- Magistrat : Combien de barrières avez-vous franchies ?
- Témoin : Tellement que je ne pouvais pas les compter.
- Magistrat : Pouvez-vous donner un ordre d’idée ?
- Témoin : Environ tous les 20 à 30 mètres.
- Magistrat : À chaque barrière, vous voyiez des gens se faire tuer ?
- Témoin : Oui il y avait des cadavres.
- Avocat de la partie civile : Concernant vos frères, sont-ils des frères de sang ? Pouvez-vous préciser votre relation ?
- Témoin : J’ai un frère du même père et de la même mère et l’autre c’était le fils de mon oncle.
- Procureur général : Quelle heure était-il quand Munyemana est arrivé à la barrière ?
- Témoin : Je ne peux m’en rappeler.
- Procureur général : Était-ce le matin ou l’après-midi ?
- Témoin : Ça ne me revient pas.
- Procureur général : Portait-il une tenue militaire, civile, professionnelle ?
- Témoin : Une tenue civile.
- Procureur général : Vous ne le connaissez pas, il a été désigné comme chef par les Interahamwe. Est-ce que pour vous il avait une autorité visible ?
- Témoin : Non, j’ai compris que c’était leur chef car il les dirigeait
- Procureur général : Pouvez-vous apporter des précisions?
- Témoin : Je me base sur ce qu’ils ont dit, je n’ai pas compris si c’était le chef des tueries ou des barrières.
- Avocat de la défense : Connaissez-vous la date de cette rencontre ?
- Témoin : Je ne peux pas dire la date. Le génocide a commencé chez nous le 22 mai, j’ai erré très longtemps.
- Avocat : Il y avait des cadavres aux barrières militaires. Comment passez-vous à ces barrières ?
- Témoin : Moi quand je passais, je n’avais pas l’âge d’avoir une carte d’identité, donc je disais que je n’étais pas une Tutsi mais que j’étais une musulmane qui va à la mosquée.
- Avocat : Pourquoi on vous a arrêtée ?
- Témoin : Pour demander la même chose.
- Avocat : Et vous avez dit la même chose ?
- Témoin : Oui, sauf que là ils ont tué mes frères.
- Avocat : Donc vous n’aviez pas de carte, vous disiez juste que vous étiez musulmanes et on vous laissait passer.
- Témoin : Oui.
- Avocat : Vous reconnaissez donc que vous ne l’aviez jamais vu ?
- Témoin : Oui.
- Avocat : Comment saviez-vous qui il était ?
- Témoin : Parce qu’ils ont dit que c’était leur chef.
- Avocat : Y a-t-il eu une interaction avec lui ?
- Témoin : Non, il a parlé qu’avec eux.
- Avocat : Puis vous ne l’avez plus vu?
- Témoin : Non je suis entré à la mosquée, il n’y avait personne, j’ai fermé derrière moi et j’y suis restée.
- Avocat : Comment avez-vous survécu alors que tout le monde est mort ?
- Témoin : Pendant le génocide il y a des gens qui ont été tués et d’autres qui ont survécu c’est pour ça qu’on est là pour témoigner.
- Avocat : Les accusations que vous portez sont graves, vous ne pouvez même pas dire la période de la journée à laquelle ça s’est passé ?
- Témoin : Je ne m’en souviens pas.
- Avocat : Comment son nom sort ?
- Témoin : Les Interahamwe ont dit son nom
- Avocat : Munyemana vous a-t-il poursuivie ?
- Témoin : Non, je ne vais plus revu.
- Avocat : Y avait-il plusieurs personnes dans le véhicule ?
- Témoin : Je n’ai vu sortir que Munyemana.
- Avocat : Du côté passager ou conducteur?
- Témoin : Conducteur.
- Avocat : Quel était son véhicule ?
- Témoin : Je ne sais pas.
- Avocat : Avant le procès, on vous a montré une photo de lui ?
- Témoin : Non la première fois que je l’ai vu, c’est au premier procès.
- Avocat : Vous n’avez pas vu de photos de lui au Rwanda ?
- Témoin : Non.
- Avocat : Avez-vous assisté aux Gacaca de Tumba ?
- Témoin : Une fois.
- Avocat : Ce n’était pas celle de Munyemana ?
- Témoin : Non.
Carla-Ylan Doualla-Esso, Étudiante et Volontaire