Procès de Sosthène Munyemana à la Cour d’Assises de Paris, Jour 21

Retranscription de l’audience de mercredi 15 octobre 2025, Jour 21

Début – 14h34 (reprise audience après suspension) 

Le juge invite Munyemana à faire une conclusion et ce dernier répond qu’il préfère attendre.

 

 

Parties civiles

  • Question avocat : Avant le génocide, vous avez pris des congés du 21 mars au 21 mai et après, vous avez pris 10 jours supplémentaires. On sait que le génocide à Tumba commence à ce moment-là. Qu’est-ce qui fait que vous n’intervenez pas en qualité de médecin alors que vous saviez les tueries qui se produisaient à Tumba ?
  • Réponse de l’accusé : C’est vrai que j’ai pris des congés à ce moment-là. Mais si je n’interviens pas, ce n’est pas à cause de mes congés. Je ne peux intervenir qu’à l’hôpital et il n’y avait pas de redistribution ou d’organisation. Je ne suis pas intervenu car il n’y avait pas la possibilité de le faire hors cadre.
  • Question avocat : Donc vous ne sortiez pas de chez vous et vous ne sauviez pas des gens ?
  • Réponse de l’accusé : Non, même au 21 avril quand les tueries ont commencé, l’hôpital n’a pas restructuré son organisation.
  • Question avocat : Nous connaissons les situations dans les pays en guerre ou en grandes difficultés, nous savons que tout est bouleversé mais cela n’empêche pas les médecins d’intervenir ?
  • Réponse de l’accusé : Oui, je suis intervenu quand je le pouvais mais je ne pouvais pas créer à moi tout seul une structure. La situation était telle que je n’avais pas la possibilité de le faire en dehors du cadre public, et à l’époque, il n’y avait pas de cadre privé.
  • Question avocat : Mais vous n’apportiez même pas les premiers soins ?
  • Réponse de l’accusé : Il faut un minimum de structure. J’ai fait mes études ici et je connais bien la différence. Au Rwanda, il n’y avait pas de système d’urgence ou d’ambulances. J’ai essayé de mettre en place ça mais ça n’a pas été possible. Même en cas d’incendie, il n’y avait rien à faire. En 1992 déjà, j’ai convoqué une conférence pour essayer de mettre en place un système d’urgence, mais ça n’était possible qu’au niveau de l’aéroport. Dans un contexte de génocide, on ne peut pas tout réinventer.
  • Question avocat : Par rapport à votre formation, est-ce que pour avoir une bourse, votre dossier doit passer par les services de renseignements ?
  • Réponse de l’accusé : Le dossier passe par le Ministère de la Santé et par le Ministère des Affaires étrangères.
  • Question avocat : Le service de renseignement n’était pas opposé à votre départ ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai été empêché car les services de renseignement ne m’ont pas donné mon passeport. Mais je suis revenu vers eux. C’était un système fait pour que je renonce à partir mais j’ai bataillé. Je l’ai déjà expliqué.
  • Question avocat : Vous avez eu ces problèmes parce que vous venez du Sud ?
  • Réponse de l’accusé : Oui, je pense d’ailleurs que la personne qui est partie à ma place venait du Nord.
  • Question avocat : Vous considérez qu’une personne du Nord peut plus s’en sortir ?
  • Réponse de l’accusé : Il y avait des quotas de 15% face à 85%. Les Hutus et les Tutsis du Sud subissaient de la ségrégation, même au niveau des écoles. Il y avait au Rwanda une double ségrégation entre Hutu et Tutsi et entre Nord et Sud. Mais nous on s’entendait avec les Tutsi du Sud. Il y avait une coopération entre les gens du Sud, une solidarité, même plus qu’au Congo.
  • Question avocat : Vous pouvez situer les préfectures du Sud et du Nord ?
  • Réponse de l’accusé : Il y a 3 préfectures au Nord (donne le nom) et les 7 qui restent dans le Sud. Chacune a ses variabilités régionales. Donc la ségrégation entre le Nord et le Sud se fait à travers les 3 préfectures du Nord.
  • Question avocat : En 1973, il y a la prise du pouvoir du gouvernement de Kayibanda. Pouvez-vous confirmer la mort des membres du gouvernement précédent ?
  • Réponse de l’accusé : Je confirme
  • Question avocat : Ceux tués, dont le président, sont principalement issus du Sud, dont notamment votre professeur ?
  • Réponse de l’accusé : Je confirme
  • Question avocat : Est-ce qu’en 1991, vous adhérez au MDR ?
  • Réponse de l’accusé : En 1991, je commence à participer aux meetings et j’obtiens ma carte de membre dès 1992/1993. Mais je sens que je suis membre déjà depuis 1991.
  • Question avocat : Était-ce un choix en connaissance de cause, notamment en comparaison des autres partis ?
  • Réponse de l’accusé : Oui, j’admirais la diversité ethnique du MDR. Ce parti a levé l’ambiguïté socio-ethnique pour les Hutus. C’était un mouvement sans ségrégation ethnique qui voulait repartir à zéro sans ethnie et sans région. D’ailleurs, il n’y avait pas de mention de l’ethnie sur la carte des membres. Il prônait également la démocratie.
  • Question avocat : Le manifeste de Bahutu du 24 mars 1957 a-t-il été modifié ou revu par le MDR ?
  • Réponse de l’accusé : Le mot « racial » ne datait pas de ce document mais de 1929. Ça remonte loin, à Monseigneur Léon-Paul Classe.
  • Question avocat : Est-ce que cela se rattache au mouvement « Hutu Power » qui a été conceptualisé par le vice-président du MDR et qui a motivé le génocide de 1994 ? Est-ce la même idéologie ?
  • Réponse de l’accusé : Ce sont deux choses qui n’ont rien à voir. Le manifeste de 1957 n’a rien à voir. Le rattachement aux choses du passé vous empêche d’avancer. Moi je ne vois pas le rattachement et je ne le vois pas comme ça. Les Hutus y ont vu le retour de la monarchie car ils rattachent des choses qui n’ont rien à voir.
  • Question avocat : En 1992, vous avez rappelé qu’il fallait “renvoyer les Tutsis d’où ils viennent, c’est-à-dire dans la rivière” ce qui fait référence au texte de 1990 des Dix commandements du Hutu de Hassan Ngeze. L’ennemi est défini à Tumba en 1992, ce sont des éléments qui jouent en votre défaveur.
  • Réponse de l’accusé : Je parle du MDR et son objectif de supprimer la distinction raciale sur la carte d’identité et vous me parlez de ce document. Son rédacteur en chef a été arrêté et incarcéré car ses textes sont de nature à inciter la haine ethnique, il s’est exilé au Canada.
  • Question avocat : Le gouvernement de transition après la mort du président est composé d’un président du sud, d’un premier ministre du sud, votre ami et de beaucoup de ministres du sud.
  • Réponse de l’accusé : Je n’étais pas à cette réunion mais pour nous, quand nous devions écrire un texte ou un rapport pour les Nations Unies, nous ne voulions pas que les gens présents soient avec un coup d’Etat militaire
  • Question avocat : Est-ce que la stratégie qui a fait basculer les choses a été de mettre des gens du Sud ?
  • Réponse de l’accusé : ça ne commence pas par ces gens mais par la fragilisation des partis. Progressivement, les partis ont été fragilisés par la nomination de personnes qui ne peuvent pas s’exprimer. La stratégie utilisée dans la polarisation Nord et Sud. C’est une stratégie qui s’est rajoutée aux autres. Dans le gouvernement qui a négocié les accords, il était question d’idéologie des partis qui voulaient résister à l’extrémisme. Mais c’est le bloc politico-militaire qui a remporté.
  • Question avocat : Quels sont les éléments qui composent le statut de « notable » ?
  • Réponse de l’accusé : Il y a la notion de richesse, de respect inspiré, d’accès à des milieux où tout le monde n’a pas accès. Il faut un ancrage, la notabilité est méritée. J’ai appris que j’étais un notable dans une région en lien avec la question de sagesse.
  • Question avocat : Vous considérez le notable comme quelqu’un d’influent ?
  • Réponse de l’accusé : Bien sûr. Mais l’influence peut aller dans le sens positif ou négatif. Ça dépend de la personne.
  • Question à l’accusé : Vous étiez notable car vous étiez entouré de personnalités ? Vous connaissiez le président, le premier ministre et le ministre de la Santé.
  • Réponse de l’accusé : Le ministre de la Santé avait fait ses études en Belgique, là où ma femme étudiait. Mais en 1994, ce n’était plus le même ministre de la santé. Je le connaissais car il m’enseignait la pédiatrie. Mais je ne lui ai pas parlé après. Il est venu chez moi et c’est tout. Quand je passais la barrière de Tumba, c’était plus facile car ils me reconnaissaient. Le fait de me reconnaître était important mais c’était juste une connaissance locale. Le Président ne vivait pas au même endroit que moi, mais il lui arrivait de venir chez moi jusqu’en 1993.
  • Question avocat : Quels rapports aviez-vous avec Dismas Nsengiyaremye ?
  • Réponse de l’accusé : Avant, on ne se connaissait pas. Mais après on était devenus très proches. Je suivais toujours ses conseils, il était de bon conseil.
  • Question avocat : Est-ce que vous considérez que Dismas a changé ?
  • Réponse de l’accusé : Non.
  • Avocat parle d’une image du livre de Jean-Pierre Chrétien et demande : comment réagiriez-vous à une photo de Dismas avec des extrémistes ?
  • Réponse de l’accusé : Ça dépend de quand date l’image. Avant le génocide, c’est normal, mais après, ce n’est pas possible.
  • Question avocat : Vous étiez notable car vous connaissiez le Premier ministre, qui pour vous, avant avril, était un homme bien mais qui est devenu génocidaire après ?
  • Réponse de l’accusé : J’étais notable seulement à Tumba.
  • Question avocat : Durant la période avant le génocide, quelle était la réaction au massacre de 1991 ?
  • Réponse de l’accusé : Oui, j’en avais connaissance et le MDR les a condamnés à l’époque. Tout le pays en a souffert. C’était du fait des extrémistes que nous étions en train de combattre.
  • Question avocat : C’était des massacres implémentés par l’appareil d’Etat ?
  • Réponse de l’accusé : Ils ont été dirigés par des extrémistes d’un parti politique. Donc les branches d’un mouvement et pas l’Etat qui y était opposé.
  • Question avocat : Il y a eu une systématisation des massacres avec notamment l’usage militaire. Quelle distinction faites-vous ?
  • Réponse de l’accusé : des personnes se sont rebellées contre leurs chefs.
  • Question avocat : Selon vous, le génocide est la résultante d’un plan concerté ?
  • Réponse de l’accusé : Je ne sais pas. Je ne connais pas de plan concerté. Dans mon cas, il y a un dossier, le D/20/173, où on parle de plan concerté mais qui n’a rien à voir avec moi. Tout ça c’est loin de moi et du MDR.
  • Question avocat : Il y a des feuilles de motivations qui disent que le génocide est dû à un plan concerté donc pourquoi vous dites ça ?
  • Réponse de l’accusé : Je n’ai pas dit que le plan n’existait pas. Je dis que je n’en connais pas l’existence.
  • Question avocat : Quelles étaient vos activités lorsque vous partiez tous les matins ?
  • Réponse l’accusé :J’ai continué à m’appliquer dans une formation en informatique à l’université. Ma formation a été arrêtée vers le 6, et je suis resté chez moi car tout le monde y était obligé. J’avais un contrat avec l’OMS, il y a eu une période où je pouvais travailler chez moi et pas à l’hôpital lorsque j’étais convoqué.
  • Question avocat : Vous êtes allé à l’hôpital 3 fois entre le 21 avril et le 9 mai ?
  • Réponse de l’accusé : Je suis allé pour l’accouchement de Mme Béata, la femme de l’ambassadeur du Burundi. 
  • Question avocat : La grossesse arrivait à terme vers le 19 avril, vous l’avez interné et elle a accouché en césarienne, mais vous avez continué à y aller un jour sur deux. C’est ce que vous avez déclaré à l’OFPRA.
  • Réponse de l’accusé : Je vois l’erreur. J’ai déclaré à l’OFPRA que j’y allais un jour sur deux, mais je pense que c’était une réponse automatique. Je n’étais pas concentré. J’ai répondu comme s’il s’agissait de la procédure en temps normal.  Mais je n’y suis allé que trois fois.
  • Question avocat : Vous êtes donc allé 3 fois à l’hôpital. Je veux vous faire réagir à un extrait du livre « Aucun ne doit survivre ».
  • Réponse de l’accusé : Moi, je n’ai rien vu de ça parce que ça se faisait surtout la nuit lorsque j’étais chez moi.
  • Question avocat : Vous parliez beaucoup de silence alors que beaucoup de témoignages évoquent des odeurs et des cris.
  • Réponse de l’accusé : Il y avait une période de silence inquiétant, mais parfois il y avait des périodes de recrudescence.
  • Question avocat : Qu’en est-il des odeurs ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai une confession à vous faire. Je n’ai pas d’odorat. Même lorsqu’avec ma femme, quelque chose brulait, je ne le sentais jamais.
  • Question avocat : En 2008, devant la CNDA, vous avez dit n’avoir vu que deux cadavres.
  • Réponse de l’accusé : Entre le 22 et le 24 avril, j’ai vu 1 cadavre entre ma maison et le bureau de secteur. Il a été enlevé vite puis un deuxième cadavre, celui de mon ami qui a été emmené chez moi.
  • Question avocat : Vous avez dû emprunter pour acheter votre maison à Tumba en 1991 ? Avec votre épouse, vous avez fait le choix des remboursement anticipées, est-ce que pendant le génocide, le prêt a été remboursé ?
  • Réponse de l’accusé : Non pas encore.
  • Question avocat : Aviez-vous un remboursement résiduel ?
  • Réponse de l’accusé : Non, la banque a fermé.
  • Question avocat : Vous expliquez, dans le cadre de votre procédure d’asile, que vous allez pendant le génocide à l’hôpital un jour sur deux. Là, vous dites que c’était une réponse automatique, mais en lisant le document d’audience de 2006, ça n’a pas l’air. C’est un point qui a fait l’objet de discussions avec l’OFPRA. On dirait aujourd’hui que vous essayez de minimiser votre présence à l’hôpital.
  • Réponse de l’accusé : À l’époque, j’ai dû parler rapidement de manière automatique. Mais en réalité je n’ai pas fait autant de visites. Je corrige sur la fréquence.
  • Question avocat : L’accoucher de la femme de l’ambassadeur du Burundi n’apparait pas dans votre audience. L’avez-vous caché ?
  • Réponse de l’accusé : Oui, j’ai bien fait l’accouchement, mais c’est un détail oublié, pas caché. J’ai surement dû l’évoquer.
  • Question avocat : Le 9 mai, c’était la reprise de vos activités, avez-vous pu faire autre chose ? Par exemple rester avec vos enfants ?
  • Réponse de l’accusé : je me suis comporté comme si le génocide n’existait pas. Je n’ai pas prolongé mes congés, j’ai préféré reprendre le travail.
  • Question avocat : Vous n’avez pas peur de laisser vos enfants seuls dans une grande maison avec une domestique tutsi alors que vous dites après que vous aviez tellement peur pour eux que vous les avez envoyés en campagne, et la situation était catastrophique à l’hôpital, MSF l’a dit et vous êtes le seul à ne pas le voir ?
  • Réponse de l’accusé : L’hôpital était un moment isolé où j’allais pour l’accouchement de la femme de l’ambassadeur. Je ne restais pas après 16 heures à l’hôpital. Je n’y étais pas le soir. Quand je reprends le travail, je laisse mes enfants mais j’habite dans une concession où je loue à des gendarmes qui reviennent le soir et moi je suis de retour le soir, il n’était pas seul car il y avait aussi d’autres enfants. Vous savez dans le contexte de génocide, on n’en peut pas être parfait. Bien sûr j’avais peur pour mes enfants, mais ils n’étaient pas seuls. Beaucoup de choses de cette époque peuvent sembler irrationnelles aujourd’hui.
  • Question avocat : Étiez-vous rassuré car vous saviez que vos enfants ne craignaient rien, puisqu’ils étaient les enfants de Sosthène Munyemana ?
  • Réponse de l’accusé : Je n’ai jamais dit ça, sachant que ma fille a déjà été agressée. Heureusement que j’étais là à ce moment-là.
  • Question avocat : Vous avez dit que vous n’aviez jamais vu de médecin responsable d’un génocide. Vous êtes dans le déni total puisque l’on sait que 4 ou 5 médecins y ont participé.
  • Réponse de l’accusé : Je peux vous dire que j’ai porté plainte pour diffamation contre cet article auquel vous faites référence. Certains des médecins cités étaient morts au moment du génocide.
  • Question avocat : Il y a un journal belge qui a rendu compte d’une conférence de MSF. Cet article fait état de plusieurs médecins et vous y êtes cité au deuxième rang comme participant au génocide. Niez-vous totalement ?
  • Réponse de l’accusé : Est-ce qu’il a été témoin ou pas ? Est-ce qu’il a dit d’où il a entendu ?
  • Question avocat : Vous niez donc le génocide dans l’hôpital ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai porté plainte contre ce journal pour diffamation. J’étais scandalisé car parmi les médecins cités, il y en avait qui étaient morts. Vous avez cité une lettre que j’ai envoyée au docteur Karemera ?  Pouvez-vous la lire en entier ?
  • Question avocat : Entre le 14 Nov 1994 et le 12 août 1994, l’article est publié et malgré tout vous avez apporté votre soutien au Dr Alphonse Karemera.
  • Réponse de l’accusé : J’étais en contact avec lui car j’étais inquiet de la situation.
  • Question avocat : Au discours du PM, il dit que « c’est une parole que je prends au nom du groupe des intellectuels du MDR présents à l’hôpital de Butare ». Donc, c’est en votre nom ? Karemera répond que « Le calme est revenu avec le retour du gouvernement, mais la sécurité n’a pas été rétablie dans les villes, contrairement aux campagnes, et on entend parler de « cafards », mais pas de Butare parce que c’est une ville d’instruits ».  C’est ce qu’on doit comprendre ? Vous défendez sa moralité ?
  • Réponse de l’accusé : Je n’ai réagi que sur les déclarations que sur les sorties des médecins, je n’avais les en tête ces propos.
  • Question avocat : Vous avez échangé avec Karemera sans être au courant de ce discours ?
  • Réponse de l’accusé : Je ne me rappelle pas ce discours. En novembre, quand j’envoie la lettre, je n’ai pas en mémoire le discours de mai. On parlait de ce qu’on allait devenir.
  • Question avocat : pas de mot de condamnation ? D’accord. Le doc n’est pas rédigé à la troisième personne et s’adresse au gouvernement pour le féliciter, pour demander le départ des casques bleus et de l’ONU, mais jamais à la première personne comme un courrier normal ? Vous n’aviez pas conscience qu’il serait publié ?
  • Réponse de l’accusé : C’est un courrier de transmission, c’est pour cela.
  • Question avocat : Le document passe sous silence le massacre des Tutsis sans mentionner le mot Tutsi, alors qu’il est destiné à l’ONU. C’est donc un aveu, que vous saviez qu’il serait lu et public ?
  • Réponse de l’accusé : Je savais que ça serait publié, mais si on voulait que ce doc soit adressé au peuple, il n’aurait pas été écrit en français.
  • Question avocat : C’est votre avis ? Car le texte que nous avons est une retransmission d’une émission francophone, donc on ne sait pas si dès l’origine il était en français. Vous n’en avez jamais parlé avant 2016.
  • Réponse de l’accusé : Si, j’en ai parlé deux fois.
  • Question avocat : A la page 510 du livre d’Alison Des Forges, on nous parle du complot pour l’assassinat du préfet et contre le gouvernement. Le 12 avril, la radio diffuse que le gouvernement intérimaire est d’accord pour l’orchestration du génocide. Le préfet refuse. Mais vous continuez à dire que vous n’étiez pas au courant le 16 avril ?
  • Réponse de l’accusé : Le Ministère de la défense était rempli d’extrémistes. Ce n’était pas des personnes à suivre.
  • Question avocat : 4 jours après la prise de conscience par le préfet du massacre, vous continuez à soutenir le gouvernement ? Pendant le discours du gouvernement devant l’université, Kambanda remercie le groupe des intellectuels du MDR pour lui avoir communiqué les informations. Qu’en pensez-vous ?
  • Réponse de l’accusé : On parlait juste d’un gouvernement de transition. Nous n’avons pas donné de conseils au gouvernement, mais nous avons seulement demandé à stopper le sang qui coule.

Remarque avocate de la défense : L’accusé a bénéficié d’un non-lieu concernant tous les actes à l’hôpital.

  • Question avocat : Dans les documents lus, le mot « inyenzi » est évoqué plusieurs fois. Est-ce que l’accusé peut confirmer que c’est un mot dégradant pendant le génocide ?
  • Réponse de l’accusé : Le mot signifie cancrelats et je l’ai dit hier que c’était un mot dégradant. Il est vrai qu’historiquement, il servait aussi à désigner les assaillants de la milice royale, et signifiait “vaillant” avec la dimension d’”être le meilleur”. Est-ce que cette étymologie est une réalité ou une invention ? Je ne le sais pas. Mais c’est un terme qui a une évolution.
  • Question avocat : Mais pendant le génocide c’est dégradant ?
  • Réponse de l’accusé : Ça le désigne comme cible à tuer.
  • Question avocat : Le MDR était le parti de votre père ?
  • Réponse de l’accusé : Oui.
  • Question avocat : Vous souvenez-vous de l‘incendie de la maison de votre père par des miliciens ?
  • Réponse de l’accusé : Oui, j’avais 4 ou 5 ans, je m’en souviens, j’y étais.
  • Question avocat : La maison a été incendiée parce que votre père était militant ?
  • Réponse de l’accusé : Non, c’étaient des miliciens du Roi qui lançaient des attaques et brûlaient les maisons sur leur passage.
  • Question avocat : Est-ce que la violence politique vous a marqué ?
  • Réponse de l’accusé : Non, vous faites un raccourci, ce n’est pas le cas de tous ceux qui ont subi de la violence. Cela peut aussi être source de sagesse. Les Tutsi nous ont aidés avec la maison.
  • Question avocat : Est-ce que l’accouchement de la femme de l’ambassadeur n’était pas pour vous l’opportunité parfaite pour partir ?
  • Réponse de l’accusé : Non, car l’ambassadeur habite au Rwanda.
  • Question avocat : Oui, mais n’était-ce pas l’occasion de lui demander une faveur pour protéger vos enfants ?
  • Réponse de l’accusé : Non, j’ai juste fait accoucher sa femme et rien demandé. Peut-être qu’il pouvait m’aider à partir, mais comment aurais-je vécu au Burundi ? En plus, je n’étais pas encore dans une situation trop compliquée, et un départ a se prépare sauf si vous êtes sous les cartouches, ce qui n’était pas mon cas.
  • Question avocat : Dès 1993, Dismas fuit et vous êtes très proche de lui. Alison Des Forges en parlait dans son livre qu’il en savait peut-être plus sur les massacres à venir. Alors, pourquoi en 1993 vous n’étiez pas dans les dispositions à fuir ?
  • Réponse de l’accusé : Les exemples qui vous avez donnés sont des hommes politiques de haut niveau, moi je suis un citoyen comme les autres, je ne suis pas un homme politique.
  • Question avocat : Dans vos interrogatoires, vous dites que dès avril vous prenez conscience de ce qui allait se passer. Scandalisé, pourquoi vous n’avez pas fui en avril 1994 ?
  • Réponse de l’accusé : Peut-être que j’ai eu des échos de son discours en avril, et peut être que j’ai réagi à ça. Par rapport à fuir, il faut toujours se demander si maintenant est le moment. Mais moi, je suis une personne qui a tendance à se dire que ça va toujours s’améliorer. C’est ma femme qui a pris l’initiative de nous envoyer les billets d’avion, mais seul je ne l’aurais pas fait.
  • Question avocat : L’escalade de violence arrive à Butare dès avril. Et aux alentours du 17 et 18 avril, nous savions que la situation était horrible. Pourquoi vous ne partez qu’en juin si vous ne voulez pas vous faire associer à un plan concerté ?
  • Réponse de l’accusé : Je reste car je sens que l’on peut encore résister. Tumba avait résisté à toutes les attaques, cela ne pouvait pas arriver. On ne savait pas que les militaires interviendraient. J’ai toujours été optimiste jusqu’au jour où le ciel m’est tombé sur la tête.
  • Question avocat : Est-ce que dans les autres préfectures, il y avait des cercles des intellectuels du MDR ?
  • Réponse de l’accusé : Je ne sais pas, le nôtre était à Butare, ce n’est pas inter-préfectoral. J’ai précisé avant qu’il y avait un autre cercle que je connaissais.
  • Question avocat : On peut donc dire qu’il n’y a aucun autre cercle qui a soutenu le gouvernement ?
  • Réponse de l’accusé : Je ne sais pas. Pas d’appel aux tueries. Je ne contrôle pas les écrits des autres intellectuels. Il n’y avait rien d’incitant dans notre texte.

Suspension à 16h52. 

Reprise à 17h18

Parties civiles 

  • Question avocat : L’accusé dit toujours qu’il n’est pas un homme politique, alors qu’il a adhéré au MDR qui est un parti politique. Est-ce que les activités décrites sont celles d’un homme politique ?
  • Réponse de l’accusé : Ce sont les activités d’un militant, pas d’un homme politique. Je ne suis pas un politicien.
  • Question avocat : Vous participiez à des meetings en comité très restreint et vous avez signé des mentions. Vous n’étiez pas un simple spectateur.
  • Réponse de l’accusé : Nous étions membres d’un parti politique. Nous appartenions à un cercle restreint du parti politique. Mais pour être un homme politique, il faut être dans des organes du parti politique. Nous n’étions que des militants. Ça ne fait pas de nous des hommes politiques. Nous réfléchissions à la situation politique du parti et du pays.
  • Question avocat : Confirmez-vous avoir participé au meeting au stade de foot à Butare en janvier 1993 ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai participé à 2 meetings du MDR mais je n’ai pas de souvenir des dates.
  • Question avocat : Si vous n’êtes que militant, que faites-vous pendant un meeting du MDR en 1993 ?
  • Réponse de l’accusé : Je n’ai jamais tenu de discours pendant les meetings. J’écoutais et je suivais. Je suis un participant, j’écoute et je rentre chez moi sans jamais parler.
  • Question avocat : Quand il y a eu une fracture de votre parti, les deux tendances s’exprimaient pendant le meeting ou juste une ?
  • Réponse de l’accusé : Depuis août 1993, je n’ai plus participé aux meetings car je n’étais plus à Butare mais en mission avec l’OMS.
  • Question avocat : Je reviens sur le point n°5 : Le 19 juin qu’avez-vous dit à Kambanda ?
  • Réponse de l’accusé :  Il n’est resté chez moi que 30 minutes, il me disait : “la guerre, on va la gagner bientôt”.
  • Question avocat : Concernant Providence, vous avez dit que le plus précoce est le plus précis. Donc je reviens sur ce que vous avez déclaré devant l’OFPRA pendant votre quatrième entretien le 20 septembre 2006, à savoir que vous avez reçu “comme un ami, avec de la bière un Burundais de qui j’avais accouché la femme”. Est-ce que c’est le même discours ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai dit qu’il est resté 30 minutes mais j’ai dit la même chose sauf sur la bière.
  • Question avocat : ces relations étaient fréquentables au début. Alors, pourquoi boire de la bière avec eux s’ils étaient de confiance. Est-ce que vous deviez voire pour être identifié comme non partisan.
  • Réponse de l’accusé : Non, je buvais pour que les gens du bar ne remarquent rien d’étrange.
  • Question avocat : Kambanda s’est radicalisé en avril 1994. Or, l’accusé a dit qu’il a laissé ses enfants à KOMANDA. Comment c’est possible.
  • Réponse de l’accusé : Même si Kambanda était génocidaire, à ce moment précis je savais qu’il pouvait faire fuir mes enfants donc je me suis dit pourquoi pas. Quand on a peur pour ses enfants, on est prêt à tout.
  • Question avocat : C’était quand il était en activité ?
  • Réponse de l’accusé : premier ministre.
  • Question avocat : Étiez- vous au bord de la mort ?
  • Réponse de l’accusé : j’étais menacé par des militaires qui avaient tué mon ami. Et quand vous savez que vous êtes seul avec vos enfants, j’ai écrit à Kambanda et d’autres personnes.
  • Question avocat : Votre belle famille était sur place. Pourquoi ne pas leur confier les enfants ?
  • Réponse de l’accusé : Ma femme était en France et ma belle-famille n’avait pas beaucoup de moyens, c’était des paysans. Or, on a contacté des personnes qui avaient des contacts avec l’occident.
  • Question avocat : Vous dites prendre le verre pour ne pas vous faire remarquer au bar. Concernant les ronds installés, c’est dans cette même logique que vous les faites, donc quand vous êtes face à une situation extrême vous vous adaptez toujours ?
  • Réponse de l’accusé : j’ai déjà dit qu’il y avait une rumeur selon laquelle quand une personne boit du « jus » ou autre c’est parce que c’est un espion. Je veillais à ce que mon verre ne soit pas trop rempli pour ne pas être remarqué. Pour les rondes, je les faisais vers le 17 car j’étais convaincu que les rondes étaient de l’auto-sécurité nécessaire pour le quartier car plus rassurante.
  • Question avocat : Cette capacité à se fondre confirme-t-elle ce qu’appelle la psychologue le clivage ?
  • Réponse de l’accusé : Non, pour la psychologue, un clivage c’est devenir un monstre. Et moi, ça ne s’applique pas.
  • Question avocat : Êtes-vous un homme de conviction ? C’est à dire vous vous maintenez à une idée même quand elle est contre les autres ?
  • Réponse de l’accusé : Quand je suis convaincu de quelque chose, je reste attaché mais si on me prouve que j’ai tort, je change d’avis.
  • Question avocat : Pendant plusieurs périodes vous avez pris les mêmes dispositions dans des circonstances différentes pour ne pas être vu. Est-ce que ces prises de décisions étaient pour ne pas être vu ?
  • Réponse de l’accusé : Non, mais j’étais quelqu’un qui prenait ses dispositions et qui était prudent.
  • Question avocat : Mais les rondes n’étaient pas obligatoires ?
  • Réponse de l’accusé : J’y participais pour ne pas être le seul à ne pas le faire. La collaboration servait à prouver qu’on était un “bon Hutu”.
  • Question avocat : Straton est allé en Europe en tant que ministre de l’agriculture, il a rencontré votre femme, lui a donné votre lettre et lui a donné les billets pour vous. Quand vous les a-t-il remis ?
  • Réponse de l’accusé : Pendant l’enterrement d’un confrère chef desservie, vers le 10 juin.
  • Question avocat : Quand le gouvernement a été nommé, vous avez félicité Straton, avez-vous félicité Kambanda ?
  • Réponse de l’accusé : Non.
  • Question avocat : Vos épouses sont proches avec Kambanda, on a l’impression que quand des choses importantes arrivent dans votre vie, Kambanda est toujours là. Est-ce que c’est vrai que Kambanda va se cacher chez vous quelques jours car il était menacé à Kigali.
  • Réponse de l’accusé : Quand Kambanda vient chez moi, il me parle des menaces. Ces parents habitent tous proches, donc il alternait entre chez moi et chez ses parents. On parlait surtout du MDR.
  • Question avocat : En juillet 1993, était-il extrémiste ?
  • Réponse de l’accusé : Non, sinon il n’aurait pas été menacé.
  • Question avocat : Est-ce que le 7 avril, avez-vous eu une communication téléphonique avec Kambanda ?
  • Réponse de l’accusé : Oui.
  • Question avocat : Vous avez dit l’avoir perdu de vue.
  • Réponse de l’accusé : Oui seulement de vue.
  • Question avocat : Donc vous savez qu’il est extrémiste depuis 1993 mais en mars vous lui apportez votre soutien ? Le 7 avril lors de l’assassinat vous parlez avec Kambanda ?
  • Réponse de l’accusé : Je ne l’ai pas vu. On s’est appelé. Je n’étais pas au courant.
  • Question avocat : Quand des choses arrivent dans la vie de Kambanda, il se rapproche toujours de vous. Le 7 avril, vous dites qu’il a peur pour sa vie mais après il est nommé ministre. Vous donnait-il des nouvelles ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai appris sa nomination à la radio comme tout le monde.
  • Question avocat : Le 14 mai, il vient à l’université de Butare, vous n’avez pas discuté les deux, mais est-ce vrai qu’il vous a fait un clin d’œil qui a mis mal à l’aise.
  • Réponse de l’accusé : Non. Je n’étais pas mal à l’aise car il disait qu’il ne fallait pas attaquer son voisin et m’a cité comme exemple pour l’illustrer. Ce n’était pas un clin d’œil.
  • Question avocat : le 19 juin, il est venu à l’improviste. Vous avez dit que vous ne savez pas pourquoi. Pendant votre audience en 2012, vous avez reconnu lui avoir écrit quand vous étiez réfugié chez vos parents. Vous lui avez écrit pour qu’il s’occupe de vos enfants. Pourquoi avoir attendu 2025 pour dire que c’est vous qui lui avez écrit ?
  • Réponse de l’accusé : Vous ne donnez qu’une partie de ma déclaration.
  • Question avocat : Pourquoi avoir répondu ne pas avoir pensé à contacter Kambanda ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai du mal à répondre parce que ça ne correspond pas à la chronologie. Les documents dont vous parlez, j’en ai déjà parlé.
  • Question avocat : Vous dites que Kambanda tient un discours génocidaire puis vous lui confiez vos enfants. Comment un père peut-il faire ça ?
  • Réponse de l’accusé : Je me suis adressé à la seule personne qui pouvait les sauver.
  • Question avocat : Durant la réunion du 17 avril, vous avez eu des gens qui ont fui et qui se sont cachés chez vous ?
  • Réponse de l’accusé : Oui.
  • Question avocat : C’était Kamanzi seulement ?
  • Réponse de l’accusé : Non, il y avait aussi Bonaventure et sa femme.
  • Question avocat : Ils étaient tous Hutu ?
  • Réponse de l’accusé : J’ai appris plus tard que Kamanzi était Hutu. Pour Bonaventure, je ne le savais pas. Par contre, sa femme avait les papiers Hutu mais disait qu’elle était Tutsi. Je les ai accueillis comme fugitifs, Kamanzi a toute sa famille qui a été tuée.
  • Question avocat : Après vous dites qu’il y a des gens qui ont fui chez vous et que cela représentait un justificatif de plus pour faire des rondes.
  • Réponse de l’accusé : C’était une façon de dire que des mesures de prudence devaient être prises.

Zeineb KHEMIRI & Gwenola AUGUSTO-SCIAMA, étudiantes