Procès de Sosthène Munyemana à la Cour d’Assises de Paris, Jour 24
Compte-rendu de l’audience de lundi 20 octobre 2025, Jour 24
Programme du jour : Les plaidoiries des avocats des Parties Civiles
- Avocat de l’association FIDH (Fédération Internationale pour les Droits Humains):
L’avocat parle de la traduction judiciaire du génocide. Il dit que ce génocide n’est pas une catastrophe naturelle, mais une catastrophe humaine qui a causé la mort des Tutsi.
Le caractère planifier du génocide est à l’échelle locale et nationale avec la mobilisation de toutes les autorités. Il mentionne un rapport du FIDH de 1995. La FIDH s’est toujours battue aux côtés des parties civiles. L’association insiste sur le devoir et la nécessité pour la France de ne pas laisser les personnes qui se réfugient sur son territoire soient impunis. Il parle du traitement équitable et juste qu’a reçu l’accusé. Il mentionne, notamment le fait que l’instruction a écartée auparavant un faux document, qu’il y a eu des non-lieux, une épuration des éléments impertinents. Le génocide est une vérité judiciaire. Le comportement de l’accusé s’est inscrit dans cette période. Il donne pour définition du génocide ; l’exploitation de lieux de pouvoir, de lieux sacrés qui sont instrumentalisé pour des tueries. Il y a eu les tueries dans les bureaux, dans les préfectures, dans les églises, dans les écoles et dans d’autres lieux de rassemblement. La troisième semaine de 1994, l’accusé est détenteur des clés du bureau et il va inciter tout le monde à se mettre au travail, cela incluant tous les intellectuels. L’accusé admet les éléments matériels qui lui sont reprochés notamment la rétention des réfugiés dans le bureau. Il dit avoir laissé entrer les miliciens, car ils n’étaient pas agressifs. L’accusé se faisait l’allié des tueurs en rassemblant les Tutsis raison pour laquelle il n’a pas été tué. Il ne reverra jamais ces réfugiés. Il existe plusieurs faits matériels pour lesquelles personne ne nie l’existence, le bureau était entouré de fosses. L’accusé ne porte pas sur ses épaules, toute l’horreur du génocide, mais il y a participé en connaissance de cause. L’avocat dit ne pas nier les témoignages de l’entourage de l’accusé, mais insiste sur la participation de ce dernier au génocide.
2. Avocate de l’association LDH (La Ligue des Droits de l’Homme) :
L’accusé est dépeint comme un homme banal, ignorant l’exécution du génocide. Selon la définition de la Cour de cassation, un complice n’a pas besoin d’adhérer, il suffit qu’il en ait la connaissance. Il était l’un des seuls gynécologues du Rwanda, il participait à la vie politique, il était un intellectuel. Pourtant, il soutient qu’il ne savait pas ce qui se déroulait.Il n’a donc pas vu les blessures des réfugiés, il ne leur a pas apporté ne serait-ce que le moindre soin. Il n’était pas un politicien, mais il était très intégré. Jean Kambanda le remercie, notamment pour son soutien indéfectible au gouvernement. Il avait connaissance du génocide, ce qui le rend complice du génocide. Mais il était aussi auteur, pour être auteur, il suffit d’adhérer à la conception du plan. Comment celui qui dit vouloir sauver les Tutsi une fois que la porte du bureau est fermée n’a plus aucun égard pour eux. Il ne s’inquiète pas de leur sort, il ne demande pas quel est leur devenir que ce soit aux réunions ou autour d’un verre au bar. Les fausses sont débordantes, il y a une odeur de mort. Il a participé à l’exécution du plan génocidaire, en étant convaincu que son parti gagnerait. C’est la seule raison pour laquelle il a fui parce que le FPR (Front Patriotique Rwandais) est réapparu.
3. Avocat de l’association Survie et de l’association Cauri ainsi que de 15 personnes physiques:
Survie dénonce les massacres systématiques des populations Tutsi depuis 1993. Le génocide est le combat fondateur pour cette association. La conclusion de la commission des historiens est de dire que la France porte une aide accablante aux actes du génocide. La présidente de l’association Cauri est une rescapée du génocide de Butare. Elle a traversé les frontières, elle est une ancienne patiente de l’accusée. Elle est celle qui a traduit les premiers témoignages figurant dans les rapports à Kigali. C’est un récit vieux de 31 ans de personnes traumatisées. On ne peut s’attendre à ce que les témoignages soient superposables et s’emboîtent parfaitement. Ce n’est pas possible, ce sont des personnes qui racontent leur presque mort. Il n’est pas possible d’avoir des preuves aussi pures quand les preuves ont été effacées, les corps ont été enseveli et des années sont passées. L’accusé a été vu en train de boire de la bière avec les génocidaires. Le génocide n’est pas une fureur spontanée, une fureur d’une nuit. Le génocide a une structure très cohérente, une planification. Concernant le programme du génocide, la défense dira qu’il n’y a pas d’indices de planification, qu’il n’y a pas de plan du génocide établit antérieurement. L’avocat parle des différences de situations judiciaires entre le TPIR (Tribunal Pénal International pour le Rwanda) et la justice française qui ne sont pas les mêmes. L’avocat mentionne les restrictions et obstacles auxquelles le TPIR fait face, obstacles qui n’existent pas pour la justice française. L’avocat parle de la double planification du génocide. Une planification sur le long terme avec la définition du Tutsi notamment celle de l’étranger. L’avocat parlait également d’une planification à l’échelle locale avec la mise en œuvre du génocide. La justice française peut se référer aux évènements antérieurs à ceux délimitant le génocide de 94. Les évènements qui prouvent qu’il y a bien eu l’exécution d’un plan concerté, ce qui est une reconnaissance juridique. Il y a des massacres depuis 91, les Bagogwe sont massacrés en 91 et l’armée, couvre ces tueries. Il y a également le massacre des Bagesera qui sont des Tutsi déportés dans un endroit marécageux. L’avocat évoque les massacres à l’église de Nyamata. L’avocat évoque le fait que Radio Rwanda, diffuse de fausses informations concernant la liste des personnes à abattre et des faux documents qui aurait été faits par le FPR. Ils attribuent au camp opposé, ce qu’ils s’apprêtent à faire. Tous ces évènements antérieurs au génocide sont comme des galops d’essais du génocide pour reprendre les mots de certains auteurs. L’avocat insiste sur l’inscription de différents éléments dans la motivation, afin que cela aide à comprendre ce qui se passe dans la tête des victimes. Il insiste sur le fait que la Cour sera la juridiction française qui aidera à la reconnaissance d’autres crimes contre l’humanité.
4. Autre avocat de l’association Survie et de l’association Cauri :
Il y a une exigence un devoir de justice. Les témoignages des victimes sont fragiles et sont soumis à la clairvoyance de la Cour concernant les charges qui pèsent sur l’accusé. Lorsqu’il a été demandé à l’accusé s’il était satisfait de la façon dont il a agi, il a répondu oui. La difficulté pour la Cour et de trier entre ceux qui relève du fantasme et ce qui relève de la réalité dans le récit de l’accusé. Il faut que les témoignages des victimes soient examinés en rapport avec le récit de l’accusé. Concernant le positionnement de l’accusé, il ne remet jamais en cause le génocide néanmoins cela soulève des interrogations sur ses paroles. La réalité du génocide du Rwanda, et de sorte que la zone géographique où cela se passe, tout le monde se connaît. Pourtant, selon l’accusé, il n’y avait pas de bruits, c’était très silencieux, il ne sentait pas grand-chose, il n’entendait pas les massacres. Il n’a vu que deux corps, alors qu’à cette période, il y avait des massacres et les fosses étaient débordantes de cadavres, on parle d’une puanteur de mort. L’accusé parle de rondes, de veillées de sécurité et se serait la première fois que les Hutu et les Tutsi auraient patrouillés ensemble sans armes. Le monde décrit par l’accusé ne correspond pas du tout à la réalité du génocide. Il dit être un simple citoyen mais on note sa participation à la motion de soutien au gouvernement. Dans cette lettre, il n’y a pas de condoléances pour les victimes. Il est tout, sauf un personnage lambda. Lorsqu’on lui demande s’il a assisté au discours du président, il dit que non à ce moment-là il faisait des rondes, il n’a donc pas pu assister et entendre son discours.
Concernant la remise des clés, on se demande pourquoi c’est lui qui les récupère et pas les autorités administratives, pourquoi personne ne lui réclame ces clés, pourquoi c’est lui qui gère tout. Cette remise de clés à l’accusée est une véritable marque de reconnaissance et d’autorité.Selon lui, les bureaux étaient une improvisation temporaire. Tandis que d’autres dans leur déclaration les décrivaient comme des camps de concentration. Une personne ayant aidé les Tutsi explique lorsque la question lui est posée que ce serait à condamner à mort les Tutsi que de les rassembler dans un bureau entouré par des Interahamwe. Pourquoi a-t-il fui si tard ? Et lorsqu’il fuit, il part avec le ministre de l’Agriculture et des militaires. L’accusé a écouté les témoignages des victimes avec beaucoup de suspicion et peu de compassion ce qui ne colle pas avec la compassion et la bienveillance dont ont témoigné son entourage. L’expert psychologue témoigne d’une personnalité plus complexe que ce qu’il a montré jusqu’à présent. Elle conclut qu’il a deux personnalités coexistantes. Celle bienveillante, patiente et une autre qui est encadré par des mécanismes de défense, qui peuvent tomber dans des circonstances très particulières. Quoi de plus particulier qu’un génocide. La défense rappellera qu’ils ont demandé une contre-expertise qui dit des choses différentes. Cependant, pas si différente que ça, parce qu’on retrouve dans la nouvelle expertise des éléments mentionnés dans l’expertise précédente.
5. Avocat de l’association CPCR (Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda) :
Cette association a été beaucoup mise en cause par la défense. De même, la défense a beaucoup mis en cause mes clientes. L’avocat parle d’une vilénisation par la défense des associations d’aide aux victimes rwandaises. L’avocat rappelle la définition d’une association et que c’est légal. L’avocat ajoute que les associations sont encouragée par les pouvoirs publics en prenant l’exemple des événements du Bataclan où les victimes ont été encouragées à se constituer et à former une association afin de se défendre. Tandis que pour les associations qui aident les victimes Rwandaises, il semblerait que cela pose problèmes et soit fallacieux. Il relate les faits historiques qui ont amené à la compétence française de juger les actes de torture, peu importe où ils ont eu lieu. L’avocat mentionne le fait que le nom de l’accusé est connu. L’accusé dit que toutes ces actions contre lui sont le fruit d’une machination d’un ancien ami, qui était Tutsi, qui a rejoint le FPR et qui lui en voulait de faire partie du MDR. Pourtant, le nom de l’accusé était déjà connu à Butare comme faisant partie des auteurs suspectés du génocide.
De même, son nom était connu en Belgique, avec un warning mentionnant son nom et celui d’autres personne prévenant de leur possible arrivée pour se réfugier. Il y avait également déjà des articles de journaux le mentionnant.L’avocat parle du travail fourni par le CPCR. L’avocat parle de l’ironisation que fait la défense concernant les traductions des procès-verbaux des Gacaca fournis par la femme du président du CPCR Mme Dafroza Gauthier. L’avocat parle de la transparence du CPCR.
L’avocat mentionne le fait que 36 témoins ont été proposés par les plaignants (dont une dizaine relevait du CPCR) lors de la première instruction chiffre auquel a été ajouté 178 témoins que l’instruction a trouvé seule au travers de ses enquêtes. Les autorités rwandaises ont donné carte blanche aux enquêteurs Français, là où en Belgique, ils étaient tenus à la culotte. Le fait que l’accusé soit auteur du génocide est de notoriété publique à Butare. Les victimes n’ont pas besoin de la justice pour cela. Les écrivains, les journalistes, les historiens, le reconnaissent. Mais cela ne suffit pas face au déni, notamment celui de l’accusé concernant ce que les victimes ont vécu. C’est la raison pour laquelle les victimes persistent après 30 ans. Le déni par l’accusé et d’une violence très fort, de même pour les accusations de mensonges ainsi que le gommage de l’histoire. Ils n’ont pas besoin d’historiens mais d’une parole de la justice.Ils ont besoin que la justice dise qui est le menteur et qui est la victime. Contrairement à ce que la défense, essaye de faire croire, ce n’est pas parole contre parole. Le dossier est bien plus que les témoignages des victimes. Ceci est une simplification de la défense. Il y a ce que l’accusé reconnaît. Il y a les écrits. Il y a les archives. Il y avait le cercle des intellectuels à Butare. Il y a plusieurs éléments objectifs qui s’ajoutent, ce n’est pas parole contre parole. De plus, concernant la défense de l’accusé, il se défend aux compte-gouttes. Il n’a pas fait de grandes interventions utiles. Il n’a donné aucune explication sur le fond du dossier avant la cinquième semaine où on l’interroge sur cela. Il est dans la nuance permanente. Notamment lorsqu’il parle des patrouilles, qui deviennent des veillées de sécurité et qu’un homme est tué devant lui par un militaire. Il dit avoir tenté de sauver cet homme en risquant de se mettre à dos les militaires. L’évènement qui est raconté différemment par un témoin qui dit que lorsque l’homme a appelé au secours Munyemana, celui-ci a répondu qu’il ne pouvait rien pour lui. L’accusé ne parle pas de la motion jusqu’à ce que le document soit sorti des archives du TPIR et soit versé au débat. Il ne dit pas un mot sur la détention de la clé du secteur jusqu’à ce qu’il découvre des dossiers de l’OFPRA qui mentionnent la clé. Vincent Kageruka qui a survécu en se cachant sous un camion, donne une chronologie qui ne colle pas avec celle de Munyemana. Il dit que la remise de la clé s’est faite le 9 mai puis il finira par dire qu’elle a été rendue autour du 18/19 mai. Jean Kambanda a été évoqué vaguement par l’accusé. Kambanda le mentionne dans un de ses discours, lorsque l’accusé est interrogé la première fois, il dit que cela l’a gêné cependant quand je lui repose la question il dit qu’il n’était pas gêné, simplement surpris.
Puis par la suite, on découvre qu’ils ont des relations et que ce dernier se cache chez lui, quand il a peur des représailles. Lorsqu’il se cache à la campagne, il stipule que s’il meurt, il aimerait que Kambanda s’occupe de ses enfants. Il y a une accumulation de témoignages, une apparition de choses qui font que l’accusé ajuste son récit. Quelqu’un qui pensait être menacée par les miliciens, ne retourne pas à Tumba. Comme preuve de ce qu’il résidait dans un hôtel lors de sa fuite, il apporte un reçu de l’achat d’un Fanta au bar de l’hôtel où il était censé demeurer pendant plusieurs jours. Il a donc gardé ce reçu de l’achat d’un Fanta dans le bar d’un hôtel pendant plus de 20 ans. Cela ressemble à une préparation de son dossier à l’avance par peur des représailles Il est parti de façon très organisée. Cela ne ressemble pas au départ de quelqu’un qui fuit sous la peur. Il participe au génocide comme un intellectuel comme un donneur d’ordre ce qui lui permet de dire qu’il n’a pas participé au génocide puisqu’il n’a tué personne de ses propres mains. Le Cercle d’intellectuels qui n’existait qu’au MDR et nulle part ailleurs au Rwanda.L’avocat mentionne un document dans lequel l’accusé dit qu’agir contre lui (Munyemana), c’est allé à l’encontre du Rwanda qui a besoin de son aide et qu’il est un intellectuel donc qu’il devait être traité comme tel. L’avocat relève un certain orgueil de la part de l’accusé. Il mentionne également le fait que l’accusé en parlant à ses enfants a fait un parallèle entre le génocide et la Révolution française en disant à ses enfants de ne pas s’en mêler. Ce qui est un parallèle curieux. Il y a donc cette notion qu’il faut parfois se salir les mains pour arriver à la Révolution. Il se prenait comme des Robespierre et des Danton de la Révolution.Je pense que ses amis lui ont demandé de se salir les mains ; Je pense que la pièce manquante du puzzle est la symbiose du cercle d’intellectuels et du gouvernement de Kambanda qui passe par l’accusé.
Carla-Ylan Doualla-Esso, Étudiante