Procès Sosthène Munyemana à la Cour d’assises de Paris, Jour 13

Compte-rendu de l’audience du 02 octobre 2025, Jour 13

L’audience de ce jeudi 2 octobre débute à 9h10. Le président commence par faire un point sur le planning : une des personnes qui devait être entendue le 8 octobre est gravement malade. Il sera confirmé dans les prochains jours si elle est en capacité de témoigner.
L’avocat de la défense réclame un justificatif médical si jamais sa comparution s’avère impossible.

Audition de madame Josépha MUJAWAYEZU, amie de la famille de l’accusé.

L’huissier fait entrer la témoin. Elle précise qu’elle n’a pas besoin d’interprète.
Elle se présente : Josépha Mujawayezu, 61 ans, infirmière, résidant à Bruxelles

Le président indique qu’elle ne prêtera pas serment, la procédure se tenant dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. Il l’invite d’abord à s’exprimer librement et avec franchise. « En 1994 j’habitais à Butare, dans le secteur de Tumba. La famille de Munyemana était mes voisins, je les connaissais très bien. Ce qui s’est passé en 1994 fut un choc, on a vu des voisins, des connaissances être tués ou devenir des tueurs.
Munyemana lui n’a jamais été un anti-tutsi, il n’a jamais participé à des tueries et n’a jamais eu de propos haineux envers les Tutsi. Au contraire, il a tout fait pour protéger les gens avec les moyens qu’il avait en tant que simple citoyen. Quand l’avion transportant le président a été descendu, nous l’avons appris par la radio et nous avons découvert que les gens commençaient à s’entretuer à Kigali.

A Butare, la situation était encore calme. Quand les massacres ont commencé à Butaré, c’étaient des gens d’autres communes qui venaient attaquer dans Tumba, les attaques venaient de l’extérieur. Le 17 avril une réunion du conseil de secteur a eu lieu au bureau de secteur. Toutes les personnes qui voulaient y participer ont pu entrer. Il y avait des Hutus et des Tutsi. Durant cette réunion il fut décidé d’organiser des rondes de protection afin d’empêcher les assaillants venus de l’extérieur de tuer la population de Tumba. Ces rondes relevaient d’une pratique traditionnelle au Rwanda, qui perdure encore aujourd’hui.
Munyemana a participé à des rondes aux côtés de Hutus et de Tutsi. Mais ensuite, les militaires ont commencé à massacrer les Tutsi. Les gens ont commencé à avoir peur, les Tutsi devaient se cacher pour survivre. Beaucoup de personnes qui fuyaient Kigali se sont réfugiés à Butare, notamment dans la Cour du bureau de secteur. Par ailleurs les survivants de Tumba qui avaient été pillés et n’avaient plus de maison se sont également regroupés dans cette cour. Mais le danger était toujours présent puisque chaque soir les miliciens venaient chercher des personnes dans cette cour, notamment des jeunes enfants et des filles, pour les tuer.
Les personnes comme Munyemana essayaient de protéger les personnes réfugiées dans la cour du bureau de secteur. Le conseiller du bureau de secteur a remis une clé de ce bureau à Munyemana pour qu’il puisse y faire entrer les réfugiées présents dans la cour. Ce n’était pas une obligation, seules les personnes qui le voulaient se réfugiaient dans le bureau. Il fallait fermer le bureau à clé, sans cela les miliciens auraient pu entrer librement et capturer les personnes réfugiées comme ils le faisaient dans la cour. Munyemana, considéré comme une personne de confiance s’est vu confier cette responsabilité.

Il y avait également des réfugiés cachés chez Munyemana. Ce n’est pas évident de se cacher en permanence, psychologiquement c’est dur. Une des personnes cachée chez Munyemana, Innocent HATEGEKIMANA (surnommé Kirusha), a voulu mettre fin à sa vie en buvant l’acide présent dans les piles électroniques, ce qui lui a gravement brûlé l’estomac. On ne pouvait pas l’emmener à l’hôpital car franchir les barrières avec un tutsi était trop risqué. Sosthène Munyemana et mon mari sont alors allés chez la famille de Kirusha chercher du lait pour essayer de le soigner. On a finalement pu le sauver et on lui a conseillé de rester chez lui et de faire le mort. Il a été sauvé grâce à Munyemana.
En sortant de chez lui, on a croisé des miliciens qui nous ont menacés, mais nous leur avons répondu que nous cherchions seulement à soigner les gens. Il fallait avoir le courage de les protéger. Des inconnus faisaient régulièrement des fouilles chez nous pour vérifier qu’on ne cachait personne. On avait donc convenu avec Monsieur Munyemana que si la fouille commençait par sa maison, il nous préviendrait pour qu’on puisse déplacer les personnes cachées.
Chez moi il y avait des Tutsi cachés notamment une mère venue de Kigali. Nous étions 15 dans une maison de trois chambres. Cette mère a un jour été arrêtée par des miliciens qui l’ont emmené pour la tuer. Ils lui ont enfoncé une épée mais elle n’est pas morte. Les miliciens ont accepté de la ramener chez elle en échange de 20 000 francs. Nous avons appelé Munyemana qui nous a apporté l’argent alors même qu’il ne connaissait pas cette femme, et on a pu payer les miliciens. On a pu soigner cette femme car Munyemana nous a donné les antibiotiques qu’il avait chez lui.
Si on déteste quelqu’un, on ne donne pas son argent pour la sauver. C’est dur de me dire que Munyemana est considéré comme un génocidaire. Il ne devrait pas se retrouver derrière les barreaux. Je ne l’ai jamais entendu dire du mal de quelqu’un parce qu’il est Tutsi.

Le président de la Cour commence les questions.

Il l’interroge sur son ethnie et celle de ses parents. Elle répond que ses parents étaient Hutu et elle aussi. Elle affirme que cela ne la dérange pas d’être encore aujourd’hui considérée comme une Hutu. Le président lui demande si le fait que l’ethnie figure sur les cartes d’identité depuis 1931 l’avait choquée. Josepha Mujawayezu répond qu’à cette époque très peu de personnes savaient lire ou écrire de sorte que cette mention ne changeait pas grand-chose pour les Rwandais. Elle ignore pourquoi les dirigeants ont pris une telle décision.
Elle ajoute que « dans tous les cas les gens du village savaient si on était Hutu ou Tutsi car ils connaissaient ton père, ta mère ».

La président continue en lui demandant si son mari, également médecin, travaillait avec Munyemana. Elle répond qu’ils donnaient des cours ensemble mais ne travaillaient pas dans le même hôpital. Les questions suivantes concernent l’affiliation politique de Munyemana ainsi que celle de la témoin et son mari. Mujawayezu affirme que Munyemana faisait partie du MDR. Elle et son mari aussi, mais ils n’avaient pas de carte de parti. 
Elle ne se souvient pas avoir vu Munyemana manifester avec le parti.

Le président indique ensuite que selon plusieurs autres témoignages Munyemana aurait eu des propos contre les Tutsi, mais la témoin dit ne l’avoir jamais entendu en prononcer. 
Le président l’interroge ensuite sur les différents courants du MDR. Mujawayezu distingue les modérés, favorables au FPR, et les power opposés au FPR et devenus hostiles aux Tutsi. Selon elle, Munyemana n’était pas du tout power. Revenant aux évènements d’avril 1994, le président lui demande si après l’attentat contre l’avion présidentiel le 6 avril et le début des massacres à Kigali, elle suivait la situation depuis Butare. La témoin explique qu’au début elle se tenait informée grâce à la radio et aux téléphones, mais que les lignes furent rapidement coupées. 
Ce sont ensuite les réfugiés arrivés de Kigali qui racontèrent ce qu’ils avaient vu. 
Le président lui demande si la radio fonctionnait bien en avril 1994, elle indique qu’elle n’a jamais capté la radio RTLM mais qu’elle captait radio Rwanda même pendant le génocide.

Le président de la Cour questionne ensuite Mujawayezu sur la réunion du 17 avril. Mujawayezu confirme la présence de Tutsi à cette réunion et indique que la séance était présidée par François Bwanakeye, conseiller de secteur. 
À la question de savoir si des propos anti-Tutsi avaient été tenus pendant cette réunion, elle répond par la négative, précisant que la réunion visait uniquement à organiser la protection de la population face aux attaques venues de l’extérieur.

Le président demande à la témoin si elle a entendu parler de réunion entre Munyemana et l’agronome Ruganzu. Elle affirme savoir qu’ils se côtoyaient mais n’a pas entendu parler de réunions formelles entre eux.
Il lui demande ensuite si elle avait connaissance du bar tenu par Ruganzu. Elle dit savoir qu’il vendait de la bière mais précise n’y être jamais allé. Puis suivent plusieurs questions brèves :

  • Est-ce que Munyemana recevait chez lui du monde pour des réunions ? pour des réunions non
  • Est-ce que vous avez entendu parler de la statue de la vierge près de chez Munyemana ? j’en ai entendu parler mais je ne l’ai pas vue.
  • Est-ce qu’il y avait une barrière proche de chez Munyemana ? non
    Le président précise que sur ce point Munyemana conteste lui-même l’existence d’une telle barrière, mais que plusieurs parties civiles l’ont évoquée.
  • Avez-vous déjà vu Munyemana à une barrière ? jamais
  • L’avez-vous vu participer à des rondes ? oui je l’ai vu
  • Était-il armé ? non il n’avait pas de gourdin ou de machette
  • Avez-vous entendu parler de Tutsi arrêtés pendant les rondes faites par Munyemana ? non

Le président en vient ensuite au bureau de secteur. Il demande à la témoin comment Munyemana a obtenu la clé du bureau de secteur. Elle dit ne pas se souvenir du processus mais elle affirme que la population avait confiance en Munyemana et que le conseiller de secteur la lui a donc remise.

  • Confirmez-vous que Ruganzu a participé à la décision d’agir pour protéger les Tutsi ? oui
  • Qui était le plus proche du bureau de secteur entre Munyemana et Ruganzu ?
  • Quelle était sa fonction ? il était agronome
  • Pourquoi la clé n’a pas été donnée à Ruganzu, qui était plus proche du bureau de secteur que Munyemana ? je ne sais pas répondre à cette question
  • Cela ne vous a pas surpris que le conseiller donne la clé du bureau à quelqu’un qui n’avait pas de mandat ? vu la situation c’était une question trop secondaire.
  • Comment quelqu’un qui n’a pas de mandat pouvait aller jusqu’au bureau de secteur sans difficultés ? cela n’a pas été sans difficultés puisqu’on a voulu le tuer. Mais la clé lui a été confié par un détenteur de pouvoir donc les miliciens ne se sont pas attaqués directement à lui.
  • Pourquoi les miliciens ne sont pas entrés dans le bureau de secteur même fermé alors qu’ils avaient des armes ? C’était une porte solide, il y avait des barreaux aux fenêtres, et les miliciens n’avaient que des machettes. En plus il y avait un certain respect du bureau de secteur qui représentait le MRND.


Concernant les personnes enfermées dans le bureau :

  • Combien de fois Munyemana est allé au bureau pour enfermer des personnes ? je ne sais pas
  • Est-ce que les personnes enfermées étaient nourries, pouvaient boire ? je préparais à manger pour ces personnes mais je ne leur apportais pas, c’est ma cousine qui leur apportait. Des voisins allaient également leur apporter de la nourriture qu’ils passaient par les barreaux des fenêtres.
  • Est-ce que Munyemana leur a apporté de la nourriture ou les a soignés ? je ne sais pas je ne lui ai pas demandé.
  • Vous n’évoquiez pas avec lui la façon de soigner ces gens ? je n’ai pas entendu qu’il y avait des blessés à l’intérieur.
  • Quel a été le sort de ces personnes ? une camionnette a été envoyée par la commune pour les récupérer. Elles sont mortes mais des années après, pas pendant le génocide.
  • Est-ce que vous pensiez que mettre des Tutsi dans un même lieu leur permettrait de rester vivants ? Durant les autres pogroms ça avait marché. On a toujours espéré que quelqu’un viendrait nous aider, on voulait juste gagner quelques jours mais on n’a jamais vu venir l’aide.

Le président de la cour évoque ensuite le témoignage d’une partie civile entendue la veille dans lequel elle décrit ses conditions de détention dans ce bureau : « la salle était remplie, il y avait plus de 30 personnes, certaines étaient grièvement blessées. Une fille saignait au niveau du sein. Personne n’est venu les soigner. Les gens criaient de douleur.
J’ai vu des gens arriver de l’extérieur et frapper les détenus. On ne nous a jamais amené à manger ou à boire.
» Le président demande à la témoin de réagir à ce témoignage. Elle assure n’avoir jamais entendu cette histoire. Le président lui demande comment elle aurait réagi si elle avait su ça. Elle répond : on était personnel de santé mais on n’avait pas de matériel, je n’avais rien pour faire un pansement, pour faire une suture, pour désinfecter. On ne pouvait plus aller sur notre lieu de travail.

Le président l’interroge ensuite sur les personnes hébergées chez elle. Elle explique qu’il s’agissait principalement de Tutsi. Il lui demande pourquoi elle n’a pas demandé à Munyemana de conduire ces personnes au bureau de secteur afin d’éviter tout risque. Elle répond que chez elle, ils avaient un lit contrairement au bureau de secteur.

Le président lui demande si elle se souvient des noms des personnes cachées chez Munyemana. Elle dit ne plus les avoir en mémoire, cela remontant trop loin et n’ayant pas connu ces personnes personnellement. Le président lui rappelle qu’elle avait pourtant donné tous les noms et prénoms de ces personnes lors de son audition du 10 juin 2016. Elle reconnait qu’elle s’en souvenait encore à cette époque.

Plusieurs autres questions suivent:

  • Avez-vous déjà été menacée ? oui j’ai passé 30 minutes avec un fusil sur la tempe.
  • Comment avez-vous pu protéger les Tutsi sans que les miliciens ne vous tuent ? les miliciens ne les ont jamais vus à l’intérieur de chez-moi, ils ne savaient pas.
  • Quelle est votre analyse de la condamnation de Munyemana ? c’est bizarre que les plaintes contre Munyemana soient venues de France. À Tumba les gens le considéraient comme un héros qui avait sauvé des vies. Les gens sur place savent mieux, ce n’est pas normal que des gens qui ont seulement vu le génocide à la télé ou en ont seulement entendu parler disent aux gens sur place que Munyemana doit être considéré comme un génocidaire.
  • Comment avez-vous réagi à la condamnation en première instance de Munyemana ? j’ai eu un choc car il s’est démené pour sauver des gens. Si tout le monde s’était comporté comme lui pendant le génocide, il y aurait eu peu de morts. Comment peut-on lui coller des crimes pareils qu’il n’a pas commis. A quel moment les vrais tueurs vont être jugés.

La deuxième magistrate prend ensuite la parole et demande si Munyemana a déjà ouvert le bureau de secteur pour laisser sortir des personnes. Mujawayezu confirme : « ceux qui ne voulaient pas y rester pouvaient sortir, parfois des familles venaient récupérer des personnes qu’elles connaissaient ».

La parole est donnée aux avocats des parties civiles.

Un premier avocat interroge Mujawayezu sur la localisation de sa maison par rapport au bureau de secteur. Elle précise qu’elle n’était pas située sur la route principale qui allait au bureau de secteur. Il lui demande ensuite l’emplacement des barrières à Tumba. Elle affirme que sur la grande route il n’y en avait pas au moment où elle était là-bas. Il l’interroge ensuite sur la fosse à côté du bureau de secteur et lui demande si elle en avait connaissance. Elle dit n’être jamais allé voir cette fosse : « je ne vais pas quitter chez moi juste pour aller voir une fosse ».

L’avocat rappelle ensuite que la témoin avait déclaré aux autorités belges avoir elle-même apporté de la nourriture aux personnes enfermées dans le bureau de secteur. Elle corrige : « j’aurais dû dire j’ai fait moi-même à manger pour ces personnes, mais que d’autres leur ont apporté ». L’avocat lui demande les raisons de son départ du Rwanda en juillet 1994 alors même que le pays venait d’être libéré par le FPR. Elle répond que le FPR continuait de tuer, et que la paix n’était pas rétablie. Elle raconte notamment qu’à son départ de Burundi la voiture devant elle a été bombardée causant la mort de tous les passagers.

Une autre avocate revient sur un épisode de mai 1994 : Munyemana serait retourné sur son lieu de travail pour accoucher une femme. Elle demande à Mujawayezu pourquoi il n’a pas profité de cette occasion pour prendre du matériel médical pour soigner la population. Elle répond qu’il ne pouvait pas prendre le matériel et partir avec, d’autant qu’à un moment l’hôpital était occupé par des militaires.

Un avocat indique à la témoin qu’un médecin local avait, dès août 1994, allégué de la participation de Munyemana au génocide et lui demande ce qu’elle en pense. Elle dit ne pas connaitre ce médecin et donc ne pas pouvoir faire de commentaire. Interrogée sur la nature de sa relation avec l’accusé, elle répond qu’ils étaient voisins et amis et se fréquentaient régulièrement.

  • La population savait-elle que vous et Munyemana protégiez des Tutsi ? Oui
  • Malgré ça les Interahamwe ne vous ont pas menacés ? Si, ils nous ont menacés, j’avais des difficultés aux barrières, mais ils ne savaient pas pour les gens qui étaient réfugiés chez moi.
  • Saviez-vous que l’accusé fréquentait le premier ministre de l’époque, Monsieur Kambanda ? Je sais qu’ils se connaissaient.
  • Savez-vous le rôle qu’a joué le premier ministre dans le génocide ? Il n’a pas arrêté le génocide, je ne sais pas s’il n’a pas pu ou n’a pas voulu l’arrêter. En tant que citoyenne, je ne veux pas rentrer dans la politique.
  • Qui considérait Munyemana comme un héros ? Les survivants à Tumba
  • Pourquoi ne pas avoir demandé à Munyemana d’ouvrir le bureau de secteur pour que votre cousine puisse donner directement la nourriture aux personnes enfermées, plutôt que par les fenêtres ? Cela permettait de ne pas dépendre de Munyemana, de pouvoir apporter la nourriture même quand il n’était pas là. Bientôt on va nous reprocher de leur avoir donné à manger. C’était de la débrouillardise.

 L’avocat revient ensuite sur les propos de la témoin concernant l’existence de rondes encore aujourd’hui au Rwanda et l’interroge sur la date de son dernier séjour dans le pays. Elle indique qu’elle s’y est rendue en 2014 mais précise qu’elle est toujours en contact avec des gens là-bas qui l’informent que des rondes continuent d’être organisées par des civils dans tout le pays. Il lui demande pourquoi elle ne connait pas la date exacte à laquelle Munyemana a fui et s’ils étaient encore en contact à ce moment-là. Elle indique que pendant sa fuite, ils n’étaient plus en contact. L’audience est suspendue à 11h50. Elle reprend à 12h.

Un autre avocat des parties civiles lui demande si le statut d’intellectuel de Munyemana lui conférait une certaine influence, ce à quoi elle répond qu’il y avait beaucoup de notables influents à ce moment-là, que ce n’était pas le seul. Il l’interroge ensuite sur ses déplacements durant la période d’accalmie du génocide. Elle explique s’être rendue à Butare, et précise qu’elle a failli y rester car sa nouvelle carte d’identité comportait une photo en couleur ce qui avait compliqué son passage aux barrières, notamment à la barrière de Mukoni.

  • Pendant tout le génocide vous n’avez jamais vu de cadavre ? Non car ils étaient mis dans les fosses.
  • Où se situait la fosse du bureau de secteur ? Je n’y suis jamais allée donc je ne sais pas.
    L’avocat trouve cela surprenant qu’elle connaisse l’existence d’une fosse mais qu’elle n’ait jamais eu la curiosité d’aller la voir.
  • Des témoins ont affirmé que la période d’accalmie était en réalité un leurre pour que les Tutsi cachés sortent de leur cachette, qu’en pensez-vous ? Dans mon cœur il y avait la mort tout le temps.

L’avocat revient ensuite sur la tentative de suicide de Kirusha, réfugié chez Munyemana. Il indique que son petit frère, entendu la veille, a affirmé que Kirusha aurait tenté de se suicider parce que Munyemana l’avait chassé de sa maison. La témoin soutient au contraire que Munyemana ne l’a jamais chassé, et ajoute qu’il n’aurait pas essayé de le soigner s’il l’avait chassé. 
L’avocat poursuit en indiquant que selon le petit frère de Kirusha, la tentative aurait eu lieu par corde et non avec l’acide des piles. La témoin répond : « l’un n’empêche pas l’autre, je dis ce que j’ai vécu, je l’ai entendu hurler donc j’y suis allée ».

La parole est donnée à l’avocat général.
Il commence par interroger la témoin sur les rondes organisées à Tumba.

  • Qui attaquait Tumba ? Des gens des secteurs aux alentours.
  • En quoi la situation a changé le 17 avril au point de devoir organiser des rondes ? Le 17 avril le conseiller de secteur a réuni la population à la demande du préfet pour organiser l’auto-défense.
  • Il n’y avait pas de rondes avant le 17 avril ? À Tumba pas à ma connaissance.
  • Comment expliquer que les Tutsi aient finalement été tués alors qu’ils participaient eux-mêmes aux rondes ? Ce sont les militaires qui ont commencé à tuer les Tutsi en journée, alors que les rondes se faisaient la nuit.

L’avocat général l’interroge à nouveau sur la remise de la clé du bureau de secteur à Munyemana. Elle explique que les personnes présentes dans la cour du bureau se faisait attraper la nuit par les militaires, il fallait donc les mettre à l’abri à l’intérieur du bureau. Elle ajoute que c’était aussi un moyen de les protéger de la pluie. Lorsqu’on lui demande pourquoi confier une telle responsabilité à une personne sans mandat officiel, elle répond que ceux qui devaient entrer dans le bureau avaient peut-être davantage confiance en Munyemana. Il lui demande également en quoi le fait d’enfermer des Tutsi dans le bureau à la vue de tous permettait de les protéger. Elle répond : au moins ils n’étaient pas sous la pluie. Et personne n’a été tué à l’intérieur donc cela a bien servi à quelque chose.

  • Pourquoi avoir fui à l’arrivée du FPR alors que vous aviez protégé des Tutsi ? une guerre c’est une guerre, les gens du FPR n’étaient pas non plus des enfants de cœur, ils tuaient aussi.
  • Les personnes que vous avez aidées, vous les avez laissées derrière vous ? Pas vraiment, je suis partie avec les enfants, certains sont partis dans d’autres familles.
  • Vous n’aviez pas la curiosité d’aller voir comment se portaient les Tutsi dans le bureau de secteur en tant qu’infirmière ? Je n’avais pas de matériel, on ne pouvait pas faire les soins.

Pour finir la parole est donnée à la défense.

L’avocat de la défense lui demande s’il a été condamné pour des faits de génocide, ce qu’elle réfute. 
Il lui demande ensuite si les rondes étaient efficaces. Mujawayezu répond que oui car ce ne sont pas les miliciens qui ont commencé le génocide, les militaires ont dû venir à Tumba pour commencer le génocide le 21 avril au matin. Enfin l’avocat la questionne sur les personnes enfermées dans le bureau de secteur et notamment : venaient-elles volontairement dans ce bureau ? Elle confirme que oui : personne n’était contraint d’y entrer ni empêché d’en sortir. L’interrogatoire de Mme Mujawayezu prend fin à 13h23.

Jeanne Beaujean, Étudiante