L’Agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi ex-espion rwandais (2010) / Document

de Jean-François Dupaquier

Analyses et controverses se succèdent sur le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates au Rwanda en 1994, mais souvent loin des réalités du terrain. Cet ouvrage est au contraire le résultat d’une enquête qui nous livre un document de première importance sur l’agenda de ces crimes de masse.

Avec le témoignage de Richard Mugenzi, recruté dès le mois d’octobre 1990 comme espion par les Forces armées rwandaises, nous sommes au coeur de la machine politico-militaire préparant le génocide, par lequel des groupes extrémistes espéraient conserver et même renforcer leur emprise – jusque-là sans partage – sur le Rwanda.

Les explications de cet ancien agent de renseignement de ce qu’on pourrait appeler le Deuxième Bureau de l’armée rwandaise rappellent que les massacres ont suivi une logique militaire et politique, et que les machettes des miliciens s’appuyaient aussi sur des armes modernes et sur un pouvoir sophistiqué.

Ce livre ne se présente pas comme un catalogue de «révélations» proférées par un témoin sorti de nulle part, mais comme le fruit d’un dialogue serré mené par Jean-François Dupaquier, qui connaît lui-même très bien le Rwanda.

Les propos de Richard Mugenzi sont resitués dans le contexte de l’époque. Sa biographie extraordinaire ne reste pas dans l’ombre. Il est heureux que ce témoin, interrogé de manière étonnamment négligente par les enquêteurs du Tribunal pénal international d’Arusha, puis par les services du juge Bruguière, puisse s’exprimer sans détour.

Ce livre aide à comprendre la logique profonde et l’efficacité redoutable de la machine montée, avec l’appui de militaires français, par les services de renseignement de l’armée rwandaise, acteurs de premier plan de la désinformation et de la propagande raciste déployée à la même époque par les médias extrémistes rwandais.

Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain, est un connaisseur de la région des Grands Lacs depuis 1972. Il a collaboré à plusieurs ouvrages de référence sur les manipulations identitaires et les violences politiques, aussi bien au Burundi qu’au Rwanda.

Extrait
Extrait de la préface

Il est ici question du génocide des Tutsi du Rwanda dans la période de la guerre occultée (1990-1995) entre les Forces armées rwandaises (FAR) encadrées, formées et endoctrinées par certains secteurs de l’armée française, et le Front patriotique rwandais (FPR), constitué par des Tutsi et des Hutu en opposition avec l’État rwandais. Cette guerre commence en 1990 et atteint son point culminant avec le massacre – qualifié de génocide par la justice pénale internationale – des Tutsi du Rwanda, et par l’élimination tout aussi systématique des Hutus opposés à cette politique criminelle. Plus de 800 000 personnes choisies sur ces critères raciaux et politiques y laisseront leur vie en moins de trois mois. Il s’agit là du dernier génocide répertorié comme tel au cours du XXe siècle, et dans lequel l’État français est impliqué.
On emploie «État français» à dessein, car il n’est pas question ici de la France en tant que pays ni des Français en tant que peuple, de toute façon maintenus dans l’ignorance des faits. En d’autres termes, cet ouvrage apporte une contribution originale à la connaissance de tels processus. Il s’inscrit totalement dans cette recherche qui, depuis Les médias du génocide (Jean-Pierre Chrétien, Jean-François Dupaquier et alii, Karthala, 1995), porte sur le rôle des instruments de communication dans le fonctionnement du dispositif génocidaire rwandais. Et cette enquête minutieuse que Jean-François Dupaquier nous offre ici, reposant sur un entretien serré avec Richard Muzengi, témoin ayant déposé au TPIR, permet justement d’extraire des «leçons rwandaises» de cette tragédie.
C’est que nous apprenons ici beaucoup de choses sur les États qui nous gouvernent : leur fonctionnement, leur articulation fine à la violence dont ils détiennent – au Rwanda comme en France – le monopole effectif, leur crise aussi… «Leçons rwandaises» donc, sur la guerre contre-insurrectionnelle menée dans ce pays au moment même où la guerre froide n’est plus, c’est-à-dire sur la spécificité de la gestion de cette violence contre un ennemi intérieur, et ses modalités d’organisation. Car une guerre de ce type s’organise : elle connaît ses spécialistes militaires et ses mercenaires. Les doctrines qui l’animent ou l’orientent placent de facto l’acte guerrier et paramilitaire sous l’empire d’une normativité spécifique dont on peut aujourd’hui signaler l’origine et la composition. Au Rwanda se déploie en effet le noyau historique de ce type de doctrines militaires : la doctrine dite de la «guerre révolutionnaire», avec son volet de «guerre et d’action psychologiques», sa contre-guérilla, son «autodéfense de la population», ses «hiérarchies parallèles» qui finissent par diluer l’État dans un maelstrom de factions et de camarillas comme autant de pôles de décisions incontrôlables car incontrôlés. Du déjà vu en Algérie, mais aussi au Cameroun entre 1954 et 1964, lors d’une guerre oubliée menée par France ; ou encore lors du processus qui allait amener la dictature des Juntes en Argentine entre 1973 et 1983, où cette doctrine a été implantée au sein de l’état-major des Forces armées argentines par des missions militaires françaises de 1956 à 1983.
Biographie de l’auteur
Jean-François Dupaquier, journaliste et écrivain, est un connaisseur de la région des Grands Lacs depuis 1972. Il a collaboré à plusieurs ouvrages de référence sur les manipulations identitaires et les violences politiques, aussi bien au Burundi qu’au Rwanda.

 


 

Détails sur le produit
Éditeur : Karthala (24 septembre 2010)
Langue : Français
Broché : 372 pages
ISBN-10 : 2811104135
ISBN-13 : 978-2811104139
Poids de l’article : 599 g
Dimensions : 16 x 24 cm