Compte-rendu de l’audience de lundi 06 octobre 2025, Jour 15

Cet après-midi de l’audience commence par la comparution de la témoin Anne-Marie Kamanzi.

Je suis agricultrice ; quand le génocide a commencé, j’étais dans secteur de Tumba
Je suis restée dans ce secteur jusqu’à la fin du génocide. Je ne me rappelle pas la date de début du génocide mais je me rappelle que c’était un jeudi.

Uwimana et Ngabonziza sont descendus et venus en disant qu’ils avaient tué un homme dans le secteur de Kanaganwa. Quand on a entendu ça, nous et les habitants avons fui dans un endroit à Rango. On est tous allé à la cour des écoles et on y a passé la journée.
Est venu un véhicule avec beaucoup de gens armés.
Nous nous sommes éparpillés et avons fui dans le secteur de Mukura
Arrivés on a trouvé beaucoup de gens et grand-père Gatabazi a dit que nous n’avons pas fait grand chose car là où on était c’était pire.
On s’est dispersé, j’étais avec mon papa, mes frères, ma petite-soeur et une fille qui venait de Gikongoro. On espérait trouver une bonne femme chrétienne pour qu’elle nous héberge avec son mari. Cette dame a dit à son petit-fils de nous ouvrir, on a passé la nuit là-bas
Le lendemain on a appris que l’attaque descendait vers nous et ils se vantaient d’avoir tué des Tutsi ; on s’est caché.Ils sont venus demander si des gens se cachaient ici. La dame a dit non et ils sont partis. La dame a demandé à sa petite-fille d’amener un mortier pour piller et faire de la bouillie. Après la dame nous a dit de trouver un endroit où se cacher.
On lui a demandé où, elle a dit dans la cour intérieure. Je me suis rendue compte que ce n’était pas une cachette et nous avons dû nous glisser entre une clôture.
Le grand-père a été retrouvé dans la maison, il s’était mis en dessous d’un banc.
Entre temps la jeune fille envoyée chercher le mortier est reparti d’où elle venait, on ne sait pas ce qu’elle est allée dire ou faire ; une grosse attaque a eu lieu.
Le gendre de la dame est venu dire qu’il y avait des gens cachés chez elle : ils sont venus mais ne nous ont pas trouvés dans la maison puis ils nous ont trouvés là où on était caché parce qu’une personne le leur avait dit. Je retrouve mon père assis par terre et ils lui ont demandé pourquoi il avait fui. Il y a une nouvelle attaque, cette fois on est plus nombreux qu’avant.
Les attaquants ont fait une remarque sur le fait qu’on était plus nombreux.
Ils nous ont emmenés et j’ai trouvé là où ils avaient tué mon père.
Après avoir dépassé cet endroit, ils m’ont amenée aux caniveaux avec l’enfant que je portais sur mon dos et Immaculée. Ils ont fait de nous ce qu’il voulait, j’ai eu des séquelles, j’ai eu le SIDA. Mon violeur a proposé de m’emmener chez lui mais j’ai refusé. J’ai repris mon enfant sur le dos et ils m’ont amenée à une sortie de la route.
J’ai pris les devants, dans le groupe, tous avaient été tués. Arrivés à une cour j’ai demandé si c’est là et ils m’ont dit oui. Ils m’ont demandé si je voulais être tuée la première. Je me suis allongée et ils m’ont tapée et je me suis évanouie.
Quand j’ai repris mes esprits, l’enfant sur mon dos s’agitait et j’ai demandé où on était.
Mon frère m’a dit de me calmer qu’on était là pour être tué. Ils ont ramené d’autres gens et leur ont demandé où étaient les autres.Ils ont continué à amener des gens et à les tuer.
Ils ont dit qu’ils vont chercher des gens pour enterrer ceux qu’ils avaient tués, parmi ces gens ,certains avaient bon coeur dont un qui a demandé si des gens respiraient encore. Plusieurs ont dit oui J’ai demandé à boire ; on m’a dit qu’ils allaient d’abord amener ceux qu’ils avaient récupéré puis ils reviendraient .Ils m’ont dit de me cacher.
Je me suis levée et mon frère qui se cachait sous les cadavres est venu avec moi dans les champs de manioc nous cacher.
On s’est dit que si les tueurs reviennent, ils verront tous ceux qui ont disparu alors qu’ils étaient censés être morts et ils vont fouiller le champ de manioc et tuer tout le monde donc on est retourné à l’endroit et on s’est remis en position comme si on était mort. J’ai vu que mon enfant commençait à asphyxier. Peu de temps après les assaillants sont revenus ; ils tiraient les gens pour les jeter dans le caniveau. Celui au bon coeur a dit qu’il y avait encore des vivants qu’il faut les emmener aux
soins à Tumba.
Un des tueurs a dit s’il y avait encore des vivants et a commencé à couper les gens
Un autre a dit de les emmener au bureau de secteur ; il y avait moi, mes frères et Immaculée. À un moment donné, j’ai eu le tournis et me suis assise.On nous a conduits au niveau du bureau de secteur. Quand on est arrivé au début, il y avait peu de gens arrivée au fur et à mesure cela a augmenté jusqu’au soir. Des gens nous ont inspectés dont Munyemana.
Après avoir vu combien on était, ils sont allés au domicile de Ruganzu. Ils ont fait le tour de l’endroit et comme s’ils revenaient d’une réunion, un d’eux a dit de ne pas bruler les détenus pour éviter l’odeur insupportable.
Un burundais a dit d’enlever toutes ces saletés en parlant de nous Tutsi.
Quelqu’un a refusé : un groupe s’est formé avec Munyemana, ils ont fait une réunion puis ont amené des hommes détenus en leur disant qu’ils allaient leur montrer ce qu’ils allaient les aider à faire. Après cette sélection un métis est venu avec un sceau de seringues. Les jeunes sélectionnés sont partis, les frères n’en faisaient pas partie, on a entendu des cris de douleur. On y a passé la nuit. Le lendemain un petit groupe s’est formé avec Munyemana.Les autres qui étaient partis ne sont jamais revenus. Ils ont fait un tri et prenaient des gens, le groupe qui s’était formé à côté regardait. Le fils de Mushotani  a été retrouvé les mains liées dans le dos avec du sang, on pensait qu’il avait été molesté.  Il a été amené par un homme au bureau et Munyemana a dit « Lui aussi ? Où étais-tu ? » Il a répondu dans le plafond : il a demandé où sont ses proches et qu’est-ce qu’ils ont fui ? Il a dit de l’amener, jusqu’à ce jour je ne l’ai jamais revu. Après un jeune et une vieille dame ont été amenés.
Munyemana a dit à Gatabazi de les emmener aussi. La vieille a dit qu’elle aussi était conduite à l’endroit où ses enfants ont été amenés Ils ont fait une petite réunion puis sont partis et revenus avec un camion. Munyemana a dit à un certain Walter d’ouvrir la cabine arrière du camion : ils en ont sorti des armes et ont distribué des armes entre eux. Munyemana y compris dans le but de nous tuer. On était là sans soins ni nourriture. Ils sont partis avec les armes. Un certain Thierry a dit qu’ils avaient jeté les gens dans les fosses et piquaient les gens avec des aiguilles du sceau.
Ils ont dit que c’était la pacification et qu’ils allaient assurer leur sécurité en les amenant autre part.
On m’a fait un signe, je me suis avancée à l’arrière du camion et je me suis enfuie. Je suis retournée au bureau où j’ai trouvé de nouvelles personnes : Munyemana et d’autres ont chargé le camion avec les détenus. Je me suis retrouvée avec mon violeur ; ils se sont adressés à lui et son frère qui ont demandé pourquoi je reste. On m’a amenée à la fosse commune ; ils ont discuté. Ces maisons posent problèmes ? Elles ont des dettes donc si on les détruit la banque nous poursuivra; Munyemana a dit « la banque c’est nous, détruisez-les ».

  • Questions et réponses
  • Président de la Cour : Vous êtes bien Tutsis ?
  • Témoin : Оui.
  • Président de la Cour : Le 21 juin 2010 vous avez été entendue par les gendarmes français. Vous avez dit ne pas connaître Munyemana, que c’est lors des procès Gacaca que vous l’avez connu. Pouvez-vous nous expliquer ?
  • Témoin : La raison est que les gens qui me posaient des questions, je ne les connaissais pas et son beau-frère est venu demander s’ils ont trouvé mon mari innocent et j’ai dit non.
  • Président de la Cour : Vous avez dit ne l’avoir jamais vu à une autre question.
  • Témoin : J’ai nié parce que j’avais peur du beau-frère de Munyemana.
  • Président de la Cour : Oui mais c’était 15 ans après avoir vu le beau-frère.
  • Témoin : Non il était toujours là, il s’occupait des affaires de son frère.
  • Président de la Cour : Vous dites durant cette interrogation qu’il semblait qu’il y avait plus de sécurité au bureau. Pour vous, c’était un lieu de sécurité et dites que par la suite vous êtes repartie avec vos frères après deux jours sans soins. Quelle est la vérité à retenir de vous ?
  • Témoin : Il n’y avait pas de sécurité à cet endroit. Ils chassaient les personnes qui nous amenaient à boire.
  • Président de la Cour : Que pensez-vous des contestations de Sosthène Munyemana ?
    Témoin : le beau-frère m’a dit de rechercher toutes les personnes qui donnaient des informations, j’avais peur.
  • Président de la Cour : Vous avez été entendue par un officier du ministère public qui a posé des questions concernant la maltraitance d’enfant sur Vincent Murekezi et d’autres personnes dont vous parlez mais vous n’avez jamais parlé de Sosthène Munyemana. Comment l’expliquez-vous ?
  • Témoin : Je ne l’ai pas mentionné à cause du Beau-frère. Il n’est plus là, raison pour laquelle je témoigne aujourd’hui.
  • Président de la Cour : Comment s’appelle-t-il ?
  • Interprète : C’est la belle-sœur.
    Je ne connais pas ce mot mais elle ne dit pas son nom juste qu’elle s’occupait des biens de Munyemana.
  • Avocat des parties civiles : Vous parlez de la peur de la belle-sœur. Vous vivez avec votre mari à ce moment ?
  • Témoin : Oui.
  • Avocat : Il avait un surnom à ce moment ? Pouvez-vous confirmer que la belle-sœur s’inquiétait de son témoignage ?
  • Témoin : Je ne sais pas si elle en avait peur.
  • Avocat : Vous vous rappelez la date où vous l’avez-vu pour la dernière fois ?
  • Témoin : Non je ne sais pas mais elle s’occupait de pendre les loyers des locataires.
  • Avocat des parties civiles : On demande à un des témoins s’il est en contact avec Sosthène Munyemana après le génocide : Senkware dit que pas forcément mais il est en contact avec la belle-sœur. Elle est venue le voir pour lui dire qu’il devait dire que ce qu’il avait vu. Pour vous s’agit-il de la même belle-sœur ?
  • Témoin : Oui.
  • Avocat : Vous avez dit que dans le bureau vous n’étiez pas nourris et vous n’avez pas bu. Vous confirmez ?
  • Témoin : Oui.
  • Avocat : Vous avez également dit qu’il n’y avait pas de soins. Vous confirmez ?
  • Témoin : Oui.
  • Avocat : Vous avez évoqué un épisode de celui qui a été emmené et qu’il piquait des hommes avec des aiguilles sur les appareils génitaux. Vous confirmez ?
  • Témoin : Oui.
  • Avocat : Donc sécurité assez précaire.
    On a entendu ce matin un témoin qui dit avoir entendu des choses sur Munyemana de beaucoup de personnes dont vous. Avez – vous des commentaires ?
  • Témoin : Probablement qu’on était assise et qu’on parlait donc je l’ai mentionné
  • Autre avocat : Pouvez-vous vous rappeler d’une interrogation où vous avez parlé de Munyemana ?Témoin : La première fois c’était quand je suis venue à l’audience et pas avant parce que j’avais peur.
  • Avocat : Vous étiez agricultrice. Est-ce que votre situation s’est améliorée par miracle ?
  • Témoin : Aujourd’hui je ne peux plus faire grand chose, je dois prendre des médicaments et personne ne m’aide.
  • Procureur général : Pouvez-vous expliquer comment les gens étaient placés ?
  • Témoin : Dans la cour, les personnes étaient machettées dont moi. Il n’y avait pas de sécurité, ceux qui voulaient nous donner à boire étaient chassés.
  • Procureur général : Est-ce qu’il y avait des gens dans le bureau du secteur ?
  • Témoin : Non, moi je suis restée dans la cour, je n’ai pas eu l’occasion de regarder dans le bureau.
  • Procureur général : Donc vous ne saviez pas s’il y avait du monde. C’était combien de temps après le début du génocide ? C’était quel jeudi ?
  • Témoin : Le 22 ou le 23.
  • Procureur général : Sosthène Munyemana dit avoir récupéré les clés le 23 donc on peut supposer qu’avant il n’y avait personne ou en tout cas pas lui. On a entendu dire qu’il y avait d’autres gens avant et Sosthène Munyemana cherchait la clé chez Mamb ?. Sosthène Munyemana était -il dans la cour, a donné des ordres ?
  • Témoin : Les instructions c’est quand il dit à tel d’emmener tel.
  • Procureur général : Vous ne l’avez pas vu ouvrir le bureau ?
  • Témoin: Non je ne suis pas arrivée jusqu’à là.
  • Procureur général : Combien de gens il y avait-il ?
  • Témoin : Beaucoup.
  • Procureur général : Vous étiez assis ou debout ?
  • Témoin : Nous étions assis très serrés.
  • Procureur général : Vous avez dit ne pas connaitre Sosthène Munyemana.
  • Où habitiez-vous ? Qui étaient vos voisins ?
  • Témoin : Des membres de ma famille et d’autres personnes.
  • Procureur général : Qui était votre mari ?
  • Témoin : Le père de mon fils, je n’étais pas mariée avec lui. Je me suis mariée avec Innocent Hategekimana Kinushya
    Procureur général : Vous étiez allée chez Sunhale ?
  • Témoin : J’allais chez Sunhale ? parce que sa femme vendait des feuilles de cigarettes. Quand les enfants jouaient ensemble, je voyais Munyemana.
  • Procureur général : Vous avez déjà vu Sosthène Munyemana en allant là-bas ?
  • Témoin : Oui je le voyais souvent.
  • Procureur général : Il y avait-il une domestique ?
  • Témoin : Oui.
  • Procureur général : Vous saviez quel était son prénom ?
  • Témoin : Non.
  • Avocat de la défense : En 2010, vous prêtez sermon, en fait vous avez menti ?
  • Témoin : Oui mais par peur
  • Avocat : Aujourd’hui vous ne prêtez pas serment mais on doit vous croire ?
  • Témoin : Oui aujourd’hui je suis plus tranquille, je le fais du fond du cœur.
  • Avocat : En 2010, vous avez peur de quoi puisque votre mari est mort ?
  • Témoin : J’avais peur de cette femme.
  • Avocat : Mais en 2010, Sosthène Munyemana n’a plus de bien.
  • Témoin : Je ne sais pas ce qui se passe quand je retourne là-bas pour voir ma mère mais la belle-sœur je la vois toujours.
  • Avocat : Vous êtes la seule à mentir par peur d’elle.
  • Témoin : Oui j’avais peur, elle était venue me dire de trouver ceux qui donnent des informations et quand je lui ai demandé ce qu’elle allait faire, elle a dit que ça la regardait.
  • Avocat : Vous parlez aujourd’hui de personnes qui n’ont rien à voir avec Sosthène Munyemana. Pourquoi ne pas avoir parlé d’eux avant ?
  • Témoin : Je ne pouvais parler d’eux parce que ça avait un lien avec Sosthène Munyemana.
  • Avocat : Vous connaissiez Sosthène Munyemana par l’achat de sorgho ?
  • Témoin : Oui il vendait du sorgo à la grand-mère qui allait en acheter et parfois je l’accompagnais.
  • Avocat : Si je vous dis qu’il n’a jamais vendu de sorgho ?
  • Témoin : Je ne suis jamais entrée chez lui mais je l’ai vu sortir. J’entendais ma grand-mère dire qu’elle l’achetait là-bas. Peut-être était-ce un de ses locataires je ne sais pas.
  • Autre avocat : Quand on vous a demandé si vous pouviez attester des actions de Sosthène Munyemana vous avez dit non.
  • Témoin : J’ai répondu ainsi parce que je ne voulais pas qu’on me pose de questions.
  • Avocat : Vous dites avoir appris son implication lors des Gacaca. Si vous aviez peur pourquoi dire ça ?
  • Témoin : Oui j’ai dit ça car je ne voulais pas qu’on me pose de questions car Munyemana connaissait des personnes puissantes et j’avais peur qu’on me tue.

16h00 : Fin de l’audience

Carla-Ylan Doualla-Esso, Étudiante et Volontaire

 

 
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