L’état mental de Félicien Kabuga ne permet pas de poursuivre le procès dans le respect des exigences en matière d’équité et de droit de l’accusé à se défendre. Selon l’avis des psychiatres et des neurologues qui se sont succédés à son chevet, l’homme serait atteint d’une démence mentale d’origine vasculaire. Il ne peut donc plus comparaître.

Comme beaucoup d’autres, Félicien Kabuga a organisé son impunité. Il a gagné son pari au-delà de ce qu’il a pu en attendre. Le jour où les policiers ont fait irruption dans son appartement à Asnières-sur-Seine, ils l’ont sorti non seulement de son lit, mais aussi de la clandestinité imposée par la peur du jugement mais l’obligeant à vivre sous une fausse identité. Depuis son arrestation, Félicien Kabuga a retrouvé une identité que 25 ans de cavale lui avaient volée. Il est ressuscité. Quasiment. Désormais, il porte son nom. Sa famille peut, sans se cacher, lui rendre visite. Elle pourra le pleurer à sa mort et l’inhumer sous son vrai nom. Il échappe à la fois à deux infamies, la condamnation et l’anonymat. Les victimes sont flouées.

Il semble que l’arrêt des poursuites ne met pas totalement fin à la procédure. Le procureur va poursuivre la présentation des preuves et espère parvenir à démontrer que l’accusé a eu l’intention de détruire le groupe Tutsi du Rwanda. Avec cette belle jambe en bois, nous devrons pouvoir apprendre à marcher droit. Heureusement que nous pouvons compter sur d’autres. L’alternative sauve l’honneur du droit et du tribunal, mais il faut plus pour qu’elle réponde tant soit peu aux questions des victimes, de la population du Rwanda et de l’humanité entière. Démonter la forte implication de Kabuga apportera des éléments considérables à l’histoire. Mais faut-il laisser croire qu’il est possible d’échapper à ses responsabilités pénales alors même qu’elles sont établies ? La longue cavale de Kabuga a été rendue possible par son argent et ses enfants. On ne peut reprocher aux enfants d’avoir rempli envers leur père leurs obligations filiales. Mais on peut toucher à son argent. Il ne leur appartient pas. Il est aussi évident qu’à eux seuls, ces enfants n’auraient pas fait face aux difficultés de vivre et de voyager en clandestinité pendant 25 ans. Il y a eu des complices qui ne peuvent justifier leurs actes par un devoir quelconque. Qui sont-ils ? Nous attendons de la poursuite de la procédure l’établissement des chaînes de complicité dans la cavale de Félicien Kabuga.

Tous ceux qui ont aidé ses enfants à empêcher l’action de la justice alors même qu’ils le savaient recherché devraient en répondre. Si la justice pénale internationale échoue à démanteler les filières de protection des auteurs des crimes, elle perdra son pouvoir de dissuasion et sa capacité à prévenir les crimes contre l’humanité et les génocides. Elle aura donné la preuve qu’il existe des portes de sortie sans risque.

Enfin, dans la partie de la procédure qui s’annonce, les associations des victimes devraient être entendues. L’accusé n’étant plus présent dans le box, le risque de condamnation étant écarté, le climat dans le prétoire sera plus propice à un dialogue entre la justice et les victimes.

Ce qui jusque-là laisse à désirer.

A Paris, le 7 juin 2023.

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