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Trop vieux pour être jugé ? Justice delayed, justice denied !

L’homme d’affaires rwandais Félicien Kabuga, financier présumé du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, accusé de génocide et crimes contre l’humanité, va bénéficier d’une « suspension indéfinie » de la procédure en cours contre lui, ainsi que l’a ordonné, le 7 août 2023, la Chambre d’appel du Mécanisme international résiduel pour les tribunaux pénaux chargé de le juger. Trop malade et trop vieux, l’homme ne peut donc être jugé. Au nom de l’équité, il doit être remis en liberté. Et contrairement à ce qui avait été annoncé, le procureur du Mécanisme ne pourra même plus poursuivre l’exposé des preuves qu’il avait rassemblées et qui avaient conduit à son arrestation. Consternant.

Cet homme est né sous la bonne étoile. Il a réussi dans tout ce qu’il a entrepris. Avant le génocide, il était un homme d’affaires prospère. Riche, il avait marié ses filles aux fils de l’ancien président de la République, Juvénal Habyarimana, et d’un grand ministre de son gouvernement. L’entreprise génocidaire qu’il était accusé d’avoir financée, aura été un succès. Plus d’un million de morts en moins de trois mois mettra une inscription au palmarès des records criminels ! Les charges qui pesaient sur ses épaules sont très lourdes. L’une d’elles concerne la création de la RTLM, un média dont on connaît le rôle décisif dans l’exécution du génocide. L’histoire retiendra que la communauté internationale n’a réussi à mettre la main sur cet homme que lorsqu’il n’était plus capable de répondre de ses actes. Elle retiendra aussi qu’il n’était pas terré dans les bois. Sous des faux noms qu’il changeait souvent, il voyageait entre les capitales des pays censés collaborer avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Nous devons aujourd’hui l’admettre, Félicien Kabuga a réussi à organiser son impunité en se dissimulant sous de fausses identités et d’en sortir sans encourir le risque d’un procès. Tout ce tapage depuis son arrestation ne débouche que sur une chose : Félicien Kabuga porte désormais son vrai nom, il n’a plus besoin de se cacher et, à sa mort, sa famille pourra le pleurer, l’accompagner, fleurir sa tombe sans avoir besoin de se cacher. Il mourra innocent.

Il est tout à l’honneur du Mécanisme de l’ONU de donner à Kabuga ce qu’il aurait refusé aux victimes. Les miliciens qu’il est accusé d’avoir financés n’ont épargné ni les bébés, ni les vieillards, ni les malades, ni les femmes enceintes, ni les fous. Nous demandons au Mécanisme de l’ONU une seule chose : pourrait-t-il pour une fois faire preuve d’empathie et de courage à l’égard des victimes en recevant les représentants des rescapés, en organisant un procès au civil et en leur donnant accès au dossier de Félicien Kabuga ?

L’engagement du procureur à redoubler d’effort pour mettre aux arrêts d’autres fugitifs n’est qu’une très fragile consolation. Nous savons maintenant ce qu’il en est. Ils seront trop vieux et trop malades pour faire face à la justice. Par contre, ils savent aujourd’hui qu’ils ont une porte de sortie de l’anonymat « sécurisée » : se livrer au Mécanisme de l’ONU. Ils ne seront pas jugés à cause de leur âge. Mais ils retrouveront leur identité. La communauté internationale devrait trouver le moyen de réparer sa faillite dans le génocide perpétré contre les Tutsi. Le Mécanisme de l’ONU, uniquement préoccupé de servir le droit, a montré son incapacité à rendre justice aux victimes.

A Paris, le 10 août 2023

Marcel Kabanda

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