Compte-rendu de l’audience du 30 Mai 2023
Passée cette date, la situation empire. « Les autorités, notamment les gendarmes et les militaires tenaient des réunions et dressaient des barrières. Ils distribuaient des armes qui devaient servir dans les massacres ». Le bourgmestre de Nyabisindu, opposé aux massacres est assassiné. Madame Murebwayire continue de se déplacer, changeant de cachette tous les jours. Son père et ses frères se rendent à la colline de Nyabubare pour se cacher. Après avoir essayé à plusieurs reprises d’attaquer les réfugiés, échouant à chaque fois, ces derniers décident de demander du renfort aux gendarmes de Nyanza. Ces derniers arrivent dans des voitures et encerclent la colline. Dans l’un des véhicules, la témoin a pu apercevoir une « grosse arme dans la caisse arrière ». Effrayée, elle part se cacher. Les membres de sa famille qui étaient partis se réfugier sur cette colline sont assassinés ce jour. Elle dit, « ce qui m’afflige le plus, c’est cette humiliation. Les personnes qui auraient dû les aider ne sont pas intervenues. C’était le rôle des gendarmes de le faire et ils ont fait l’inverse ». L’un de ses frères est tué à Mugonzi, sur une barrière. Madame Murebwayire déclare que « c’étaient les gendarmes qui contrôlaient les gens dans cette localité. C’est Philippe qui avait la charge de toutes les barrières de Nyanza. C’est lui qui avait le dernier mot sur les barrières et qui les supervisait. Philippe allait de barrière en barrière et disait aux gens ‘travaillez, travaillez’. Il aurait pu sauver des gens s’il le voulait mais ce n’était pas le cas ». La témoin poursuit en faisant la liste de tous les membres de sa famille décédés, en expliquant les conditions de leur assassinat. Elle donne beaucoup de précisions pour chacun d’entre eux. Sa sœur, enceinte de huit mois et demi, ses frères, Olivier et Roger.
Cela fait bientôt deux heures que cette dernière dépose. Le Président lui demande d’écourter ses propos. La témoin poursuit en expliquant les conditions dans lesquelles d’autres membres de sa famille ont été tués ; son petit frère. Trente minutes ont passées depuis sa première intervention. Le Président interrompt de nouveau la témoin et lui demande de finir sa déposition. Cette dernière terminera en expliquant quelles sont les conséquences du génocide. Elle dira notamment qu’il est très dur de « faire face à des personnes qui n’assument pas ce qu’il s’est passé ». Ni les membres de la Cour ni les avocats des Parties Civiles ne poseront de questions. Le Ministère Public demandera simplement si les évènements ayant eu lieu sur la colline de Nyabubare ont été vu par Madame Murebwayire ou si elle en a simplement entendu parler. Cette dernière répondra que, cachée sur les collines d’en face, à Rwabuye et Nduzi, elle a pu tout observer elle-même. Maître Duque prend ensuite la parole pour la Défense et demande à la témoin diverses précisions sur plusieurs membres de sa famille et sur les choses qu’elle a pu observer concernant l’attaque de la colline de Nyabubare. Elle termine naturellement en questionnant cette dernière sur l’accusé. Elle lui demandera, Madame Murebwayire affirmant ne pas connaître personnellement Monsieur Hategekimana, comment il est possible qu’elle puisse affirmer que c’est lui qui contrôlait les barrières de la commune. Elle soutient que c’est ce que tout le monde disait, qu’on lui a relaté ces éléments par la suite. Enfin, elle raconte qu’un jour, « alors que je portais des patates douces, on est arrivé devant une barrière et on nous a dit ‘Biguma va venir ici, vite il faut travailler’. Ils m’ont dit qu’ils allaient nous tuer s’ils nous voyaient ».
Les audiences concerneront, durant une semaine, les faits relatifs à l’exécution du bourgmestre de Ntyazo, Narcisse Nyagasaza, et les faits afférents au site de la colline de Nyabubare. Le troisième témoin de la journée, Monsieur Emmanuel Uwitije entre dans la salle et s’approche de la barre. Comme les autres assaillants, il ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et préfèrera répondre aux questions de la Cour et des Parties. En avril 1994, il habitait dans le village de Nyabubare. Il déclare que l’attaque sur la colline a eu lieu le jour du Sabbat. Le Président lui demande d’expliquer à la Cour ce qu’il sait de cette attaque. Il déclare donc que, « le conseiller Dusingizimana et le commerçant sont allés appeler en renfort la gendarmerie », qu’il se disait que « celui qui était à la tête de la gendarmerie était Philippe Hategekimana qu’on surnomme Biguma ». Il poursuit en expliquant qu’ils se sont rendus à Mushirarungu accompagnés d’une voiture qui transportait Nyagasaza, où ils ont tué ce dernier. Monsieur Uwitije poursuit en racontant qu’après l’assassinat du bourgmestre, ils se rendent chez le conseiller Israël Dusingizimana qui leur désigne « la colline où se trouvaient les Tutsi ». Il confirmera par la suite que c’est bien la colline de Nyabubare. La voiture des gendarmes est laissée à ce lieu et l’ensemble des attaquants se rapproche de la colline. En contrebas de la route des « fusils » ont été installés pour tirer sur la colline d’en face. Interrogé sur la nature de ces armes, il déclare que « c’étaient de gros engins qui surélevaient les gens, ça les projetait en l’air ». Le Président lui demande si une personne dénommée « Petero » était présente avec les réfugiés. Monsieur Uwitije confirme cela, ajoutant que ce dernier était armé, raison pour laquelle les gendarmes ont été appelés en renfort par la population. Il poursuit en expliquant que c’est Biguma qui a donné les consignes d’organisation de l’attaque, décrétant que « ils tireraient des obus, ensuite les jeunes gens devaient encercler la colline et les vieux venaient après ». Monsieur Lavergne lui demande de se lever et de se tourner vers le box. Quand il lui demande s’il reconnaît l’accusé, ce dernier dira « Je ne connais pas cette personne ». Cependant, il soutiendra qu’il n’existait qu’un seul Biguma. En réalité, il déclare qu’ils ne s’approchaient jamais des militaires et des gendarmes, ayant peur de ces derniers, et qu’il n’a donc pas réellement vu Biguma de près. Le Président poursuit en lui demandant s’il a lui-même participé à des attaques. Il confirme effectivement avoir « accepté son rôle par rapport à la mise à mort de toutes les personnes qui se trouvaient à Nyabubare, dans la mesure où il a participé à cette attaque », niant cependant avoir tué. Il se déclare « co-auteur dans la mort de toutes ces personnes ». Il a été condamné à 13 ans de réclusion par la Gacaca du secteur de Mushirarungu. La parole est laissée aux avocats des parties civiles. Maître Scialom se lève et demande au témoin s’il peut être plus précis concernant l’arme mise en place lors de l’attaque de la colline. Il n’identifiera pas le mortier mais soutiendra que c’est un fusil posé sur un socle. Maître Gisagara prend la suite. Il lui demande si, malgré le fait qu’il ne reconnaisse pas Biguma dans le box, s’il peut pour autant totalement exclure que la personne présente soit bien l’adjudant-chef. Ce dernier répond qu’il n’a vu cette personne qu’une seule fois il y a très longtemps, permettant donc de comprendre qu’il ne peut ni dire de façon certaine que c’est lui, ni soutenir que ce n’est pas le cas. L’une des représentantes du Ministère Public se lève ensuite pour questionner le témoin. Elle lui demande plusieurs précisions sur l’attaque. Notamment portant sur la date. « Entre le 23 et le 25 avril ». Sur le véhicule conduit par les gendarmes. « Il avait une partie arrière et devant il y avait une cabine ». Les questions continuent mais Monsieur Uwitije ne parviendra pas à donner beaucoup de précisions. Notamment, il ne se rappelle pas comment il était possible de différencier les gendarmes et les militaires. Maître Altit prend la parole pour la Défense. Il lui demande s’il a témoigné contre certaines personnes lors de son procès devant les Gacaca. Ce dernier soutient qu’effectivement il a parlé de « son petit frère, Obed [Bayavuge], le conseiller Dusingizimana, une autre personne qui s’appelle Ayunsan et un autre qui s’appelle Ricoti ».
Le dernier témoin de la journée, Obed Bayavuge est invité à entrer dans la salle d’audience. Après avoir prêté serment, il affirmera ne pas vouloir faire de déclaration spontanée. Le Président prendra alors la parole pour lui poser des questions. Directement, il lui demande de parler de l’attaque de Nyabubare. Ce dernier dira « des massacres ont été commis à Nyabubare. Il est arrivé une attaque dirigée par Philippe Hategekimana qu’on surnomme Biguma ». Monsieur Lavergne le questionnera donc sur l’accusé. Monsieur Bayavuge déclarera avoir vu Biguma le jour de l’attaque en compagnie du conseiller Israël Dusingizimana. L’interrogatoire se poursuit et le témoin est questionné sur la différence entre les fusils et les mortiers. Il dit que, « les fusils, ils les tenaient à la main et les gros fusils eux, ils étaient installés différemment, sur le sol ». Il ajoute que ces derniers « soulevaient les gens ». Le Président lui demande ensuite s’il a été jugé par une Gacaca, « oui, j’ai eu 13 ans de réclusion ». Après qu’il lui a été demandé de se tourner vers le box, Monsieur Bayavuge dira « je pense que ce n’est pas la première fois que je vois cette personne ». Il poursuit en disant que ce dernier a « amené une dame vers 18h40 alors j’étais chez moi à la maison, il était en compagnie de deux gendarmes, et dans le véhicule il y avait cette dame et ses deux enfants ». Il nommera ces différentes personnes, « Jacqueline Nyiraburegeya, l’épouse du miliaire Pierre Ngirinshuti [aussi connu sous le nom de Petero] ».
L’audition de Monsieur Bayavuge se termine et l’audience est suspendue pour ce jour.