Compte rendu de laudience de jeudi 24 octobre 2024, Jour 18

L’audience du jeudi 24 octobre a débuté par l’audition de Faustin MUNYERAGWE, ancien directeur de la prison de Karubanda en visioconférence depuis Kigali. Il a déclaré que la prison avait commencé à s’occuper des inhumations à partir du moment où les tueries ont commencé, c’est-à-dire vers le 23 ou 24 avril 1994. C’est le préfet qui le lui a demandé, ce qu’il a accepté à condition de le faire dans les règles en passant par des réquisitions.  Mais quand le nombre de cadavres est devenu trop important, il a dû faire appel au Conseil de sécurité préfectoral. C’est donc à partir de là que le CUSP a été en charge des inhumations et qu’il a fait la connaissance de Eugène Rwamucyo.

Le Président lui a ensuite rappelé ses déclarations de 2007 devant les enquêteurs canadiens dans le cadre de l’affaire contre Désiré Munyaneza. Il lui a demandé s’il se souvenait des lieux sur lesquels il s’était lui-même rendu. Il répond qu’il s’est rendu dans un bois près du centre psychiatrique de Kabutare, un autre près des maisons résidentielles à Taba (le Président lui a demandé si ce quartier portait aussi le nom de Buye, il a répondu que oui), et à Tumba. Il dit y être allé avec le Procureur de la République de Butare Mathias Bushishi, le maire de Ngoma Joseph Kanyabashi ainsi qu’un certain Sylvain qui travaillait aux services de renseignement de Butare. Le Président lui a ensuite demandé quel était le rôle des prisonniers pendant les inhumations. L’ancien directeur de la prison a expliqué qu’après avoir reçu le document officiel requérant les prisonniers, il envoyait les détenus ayant bénéficié d’une formation de la Croix Rouge. Mais ensuite, lorsqu’ils ont dû faire appel au CUSP, c’est Eugène Rwamucyo qui venait les chercher directement à la prison. Il dit l’avoir vu deux ou trois fois à partir du 23 avril 1994. Il a également déclaré qu’à un moment donné, il avait été nécessaire d’utiliser des machines. Cela avait été discuté au sein d’un autre Conseil de sécurité à la préfecture auquel tous les chefs de service avaient participé. Il ne sait pas si Rwamucyo y était mais c’est ce qu’il déduit. La première machine utilisée venait de la prison, elle avait été laissée là par un chauffeur de Kigali. Interrogé sur un deuxième caterpillar, il ne sait pas vraiment mais finit par dire qu’un deuxième est venu de Nyanza. S’agissant de l’utilisation de bus pour transporter les prisonniers, il n’en a jamais été au courant, mais il dit que c’est possible s’il devait aller à un endroit plus lointain. Il affirme ne pas vraiment avoir été au courant d’où les prisonniers se rendaient, ce sont les gardiens qui savaient. Interrogé sur les sites de Gishamvu et du Grand Séminaire de Nyakibanda, il a répondu ne pas en avoir eu vent. S’agissant du sort des prisonniers Tutsi au sein de la prison, 23 auraient été tués dans la nuit du 26 au 27 juin 1994 selon lui. C’est à cause de cet événement qu’il a décidé d’ouvrir la prison et de libérer tout le monde, en prenant comme prétexte le manque de nourriture.

Le témoin a ensuite répondu aux questions des parties civiles et du ministère public sur les raisons de sa condamnation pour des faits liés au génocide. A la question de savoir s’il avait commis des meurtres, il répond que l’on peut tuer de plusieurs manières. En tant que figure d’autorité, il avait le pouvoir de protéger des gens des massacres. Il dit : « nous n’avons même pas essayé de faire quelque chose ». « Si j’étais juge, je me serais condamné ».

Maitre Mathe l’a ensuite interrogé sur ses aveux en 2009, qu’elle qualifie de « très circonstanciés ». Elle fait remarquer que dans les 29 pages d’aveux, il n’y est jamais fait mention d’Eugène Rwamucyo. Il répond que ce qu’il faut retenir c’est la mention de la participation des « chefs de service » aux Conseils de sécurité, il n’a pas pu tous les citer.

L’audience s’est ensuite poursuivie par l’audition de Jean Marie Vianney NDAGIJIMANA, ambassadeur rwandais en France en 1994. Dès le départ, il annonce : « il y a eu un génocide contre les Hutus ». Il a déclaré que celui-ci avait commencé avant 1994, pendant et qu’il s’est poursuivi ensuite. Interrogé par le président au sujet des sources de ce qu’il avance, il répond que, s’il n’est pas reconnu officiellement, des organisations rwandaises (desquelles il est membre) le reconnaissent. Il cite notamment les Bâtisseurs du Pont Inter-Rwandais, qui serait en train d’élaborer un rapport. Il compare d’ailleurs ce génocide au génocide arménien. En tant qu’ambassadeur du Rwanda à Paris au moment de l’attentat en 1994, il serait allé dire au gouvernement français qu’il y allait avoir « de la casse » car le FPR était là pour « casser la baraque ». Il raconte ensuite qu’après le génocide, il a été sollicité pour faire partie du nouveau gouvernement. Arrivé à Kigali le 27 juillet, il est devenu Ministre des affaires étrangères. A son retour, la plupart des gens qu’il connaissait avant de partir en poste en France étaient décédés, Hutu comme Tutsi. Un jeune cousin, qui avait rejoint l’armée du FPR en 1994 serait venu le voir pour lui raconter « ses cauchemars ». Ce qui lui a dit, lui a ouvert les yeux : « nous avons tué tellement de gens ». C’est là qu’il s’est rendu compte que le FPR avait commis des massacres. Depuis 1990 et leur retour d’Ouganda, à chaque fois qu’ils avançaient dans le pays ils essayaient de tuer tous les Hutu sur leur chemin. S’il n’arrivait pas à faire de la distinction, cela leur arrivait de tuer aussi des Tutsi. Il ajoute que ce sont des choses avérées, qui sont dans les rapports de la FIDH et de Human Rights Watch). Il a notamment mentionné le massacre du marché de Byumba. Le Président lui a demandé comment cela se faisait qu’en temps que haut fonctionnaire il avait dû attendre le mois de juillet pour savoir ce qu’il se passait. Il a répondu que personne à Kigali ne savait, ce n’est qu’après quand on a commencé à avoir des témoignages de militaires du FPR que cela s’est su. D’ailleurs, même la Commission internationale en 1993 s’est vu barrer la route lorsqu’ils ont voulu enquêter sur le FPR. Il raconte ensuite que le 20 septembre 1994 il a reçu l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, ainsi que le représentant civil de la MINUAR dans son bureau. Kofi Annan lui aurait remis à cette occasion un rapport d’une enquête menée par un américain, Robert Gersony, au nom du HCR. Il lui aurait dit : « si vous n’arrêtez pas ces massacres, vous allez être accusé de génocide ». Le Président lui a demandé si ce rapport était un document officiel des Nations Unies. Il a répondu que non, il était signé uniquement par Gersony. Selon lui, tous les rapports mentionnant les massacres du FPR ont été enterrés par les Nations Unies, notamment sous l’impulsion des Etats-Unis. Interrogé par le Président sur le génocide des Tutsi et ses responsables, il explique que ce sont notamment les Interahamwe et des membres de la garde présidentielle mais il y aurait plein de variables. Le FPR aurait aussi participé au génocide, par le biais d’agents au sein des Interahamwe, qui sont allés aux barrières.

Ensuite, il a expliqué avoir rencontré Eugène Rwamucyo en 1997 en Côte d’Ivoire, alors qu’il venait visiter sa mère qui y était réfugiée. Il lui a fait savoir son souhait de créer une organisation de défense des droits de l’Homme pour défendre toutes les victimes de 1994. Rwamucyo se serait présenté comme un réfugié des massacres. C’est ainsi qu’a été créée AJIR, Action pour une justice internationale au Rwanda, dont le but est de prévenir de nouveaux massacres par la prise en compte de toutes les victimes. JMV Ndagijimana a expliqué avoir créé par la suite l’association dont le nom français est « Mémoire commune, injustice pour tous ». Selon lui, on ne peut pas négliger le droit de mémoire des victimes Hutu. Il parle d’une situation intolérable au Rwanda de « ségrégation mémorielle » ou « d’apartheid mémoriel ». C’est interdit d’en parler au Rwanda, sinon c’est la prison ou « autre chose ». Il indique avoir parlé aux différentes cellules d’Ibuka, notamment Ibuka France, afin d’organiser des cérémonies communes de commémoration. Le Président d’Ibuka France lui aurait dit : « occupez-vous des victimes Hutu, on s’occupe des victimes Tutsi ». Interrogé par un juré, il explique ne pas pouvoir rentrer au Rwanda, il se sentirait surveiller. Il a également expliqué à un autre juré avoir vu l’accusé souvent dans le cadre d’AJIR, notamment en appel vidéo.

Me Tapie lui a demandé s’il savait, si Rwamucyo partageait ses positions. Il a répondu que oui, en ce qui concerne la justice pour tous.

Me Karongozi lui a notamment demandé s’il trouvait que Juvénal Habyarimana était un « bon » ou un « mauvais » président. Il déclare qu’il était un bon président sur beaucoup de questions, notamment celle des relations entre Hutu et Tutsi.

Me Gisagara lui a ensuite posé une question sur le rapport Gersony et la validation du HCR : il répond qu’il y a eu un ordre de ne pas le valider. Sur le rapport Mapping, il affirme que celui-ci conclut à un génocide des Hutu mais qu’il est placé sous embargo de l’ONU. Le Président lui a posé la question suivante : est-ce que ce rapport affirme ou est-ce qu’il pose la question ? Pour le témoin ce rapport conclut à des faits qui présentent tous les éléments d’un génocide.

Le ministère public l’a ensuite interrogé sur le Cercle d’entraide des rwandais en Côte d’Ivoire, ce à quoi il a répondu ne pas y avoir participé mais il sait que c’est une association de solidarité entre réfugiés rwandais. Même en Côte d’Ivoire, il y avait une cellule du FPR qui les persécutait. Une autre question s’est portée sur le film de l’ONAPO intitulé « Le FPR attaque, une guerre pour rien » qu’il a diffusé lorsqu’il était ambassadeur. Il a dit ne pas en avoir vraiment le souvenir, son attaché de presse ayant beaucoup d’autonomie.

Me Mathe a terminé son interrogatoire par des questions concernant son engagement politique. Il a indiqué qu’après l’arrivée du multipartisme il s’est d’abord dirigé vers le PSD puis vers MDR, il dit ne pas se sentir à l’aise avec certaines personnes du MRND.

Vers 15h30, le Président a commencé l’interrogatoire de l’accusé. Il l’a d’abord interrogé sur sa connaissance de la situation à Butare à l’époque du génocide. Eugène Rwamucyo a ainsi expliqué avoir appris l’attentat du 6 avril le lendemain matin à la Radio Rwanda. Il dit ne pas écouter spécialement la RTLM. Le Président lui a fait remarquer que pourtant, il en était souscripteur. Il a expliqué que cela était uniquement dans le but de « participer à une oeuvre », et non pour les informations qu’ils donnaient. Il dit être nouveau dans le pays à l’époque. La Radio Rwanda était la radio officielle. Après cette annonce, il est resté chez lui à tourner sur lui-même. C’était un moment de grande angoisse pour lui. Le Président lui demande s’il est allé se renseigner auprès de MSF, de qui il était voisin. Il répond ne pas savoir à cette époque qu’ils étaient là. Le Président rétorque : « vous avez dit le contraire devant le juge d’instruction ». Rwamuyco affirme qu’il l’a appris uniquement grâce à l’audition de Rony Zakaria. Rwamucyo explique donc être resté chez lui par peur qu’on le prenne pour un Tutsi. Mais les choses changent lorsqu’il a senti les odeurs de morts dans la ville. Il dit avoir entendu des bruits de balle pendant une ou deux nuits après le 20 avril. C’est là que l’on a commencé à savoir que les Tutsi se faisaient tuer. Il dit que c’est quelque chose qui était redouté depuis longtemps, étant donné qu’à chaque fois que le FPR attaquait il y avait des représailles contre la population Tutsi. Le Président demande s’il s’agissait donc d’un processus d’une totale logique. Il répond qu’il ne veut pas justifier le génocide mais qu’en tout cas le risque était grandissant depuis que la guerre avait commencée. Le Président commence à remettre en question la logique des réponses de l’accusé et se demande pourquoi il sort juste au moment où les balles sifflent. Rwamucyo répond qu’en tant hygiéniste, il se devait de proposer quelque chose. Il s’est alors documenté afin de savoir ce qu’il fallait faire dans une telle situation. Il a alors envoyé quelques jours plus tard au vice-recteur de la faculté de médecine de l’UNR un document, qu’il a reçu le 25 avril, dans lequel il faisait des propositions d’actions socio-sanitaires. L’accusé s’est alors mis à lire les différents points de ce document. Le Président a notamment relevé une contradiction s’agissant du point relatif aux cas bénins et aux réfugiés qui devraient être mis à disposition des organisations humanitaires. Il demande : mais vous saviez ou vous ne saviez que les ONG étaient parties ? Rwamucyo répond qu’en lisant ce document, il réalise qu’il ne se rendait pas compte à l’époque de la réalité des choses. C’était il y a trente ans, il était un jeune médecin idéaliste qui pensait qu’il pouvait sauver le monde.

Dans ce document, Rwamucyo préconise également des mesures au niveau organisationnel, tel que pour un malade il devait y avoir un « garde-malade » ou encore la confection de listes du personnel. Le Président lui a demandé quel genre de liste il devait s’agir, si elles auraient fait mention de l’ethnie ou non. Rwamucyo a répondu que la vision ethnique n’était pas la sienne et que le but était simplement de répartir les tâches selon le personnel affecté à chaque service. Il s’est également dit étonné du fait qu’à l’époque l’aide humanitaire était laissée à des étrangers alors que des locaux pouvaient intervenir. Il s’est ainsi indirectement proposé pour réaliser des activités de coordination dans les camps.

Le Président lui s’est ensuite dit étonné d’une chose : les mots « cadavres », « enfouissements », « victimes civiles » n’apparaissent à aucun moment dans le document. Il demande : c’était une préoccupation ou non ? Il répond que le document était à l’intention de l’Université, ce n’était donc pas son objet. Le Président rétorque que c’est pourtant l’odeur des cadavres qui l’a poussé à agir, ce à quoi il dit que l’odeur n’était pas encore présente à ce moment-là. « Vous changez de version toutes les cinq minutes » dit le Président. Rwamucyo affirme que ce n’est qu’à Gishamvu qu’il s’est rendu compte de la gravité de la situation liée au nombre de cadavres. Il évalue à cinquante ou soixante le nombre de cadavres au Grand Séminaire de Nyakibanda et environ 300 à l’église de Nyumba. Il y avait une tractopelle au Grand Séminaire qui était déjà là quand il est arrivé, car la population ne voulait plus participer à l’ensevelissent de corps en décomposition. Il dit ne pas avoir vu de cadavres dans les rues, probablement déjà enterrés. Il n’a vu aucun survivant. Le Président précise que ce n’est pas ce que certains témoins ont affirmé. Il répond que ce n’est pas ce qu’il a entendu, et que de toute façon il y a eu une tentative dans ce procès de déplacer les faits dans le temps et dans l’espace. Il est là pour dire ce qu’il a vu et vécu. Il dit mettre au défi quiconque de prouver que 15 000 personnes ont été ensevelies par une machine dans le temps imparti. Il remet en question ce qu’ont dit notamment Emmanuel BIRASA, dit MINITRAPE, qui avait affirmé qu’ils avaient plusieurs aller-retours ensemble, mais aussi Faustin MUNYERAGWE qui déclarait l’avoir vu plusieurs fois à la prison. Il dit ne s’être jamais rendu à la prison de Karubanda. « Ils ont menti donc ? » demande le Président. « C’est à vous d’en juger » répond l’accusé. A Butare, il affirme être allé aux fosses de l’IRST (soixante cadavres environ), de l’arboretum de Kabutare (une centaine de cadavres) et de Taba (entre cinquante et soixante corps). Il y aurait aussi une colline dont il ne connait pas le nom (plusieurs centaines). Il affirme que ce n’est pas lui qui a réquisitionné le Caterpillar.

Le Président lui demande ensuite s’il a participé aux Conseils de sécurité. Il répond que non. Le Président lui fait remarquer que son nom apparait pourtant plusieurs fois dans différents agendas de personnalités politiques, notamment celui de Pauline Nyiramasuhuko où il est noté à la date du 21 janvier 1994 « Eugène Rwamucyo, professeur à l’UNR ». Il répond qu’il ne sait pas pourquoi son nom s’y trouve. Sur l’inscription dans l’agenda de Jean Kambanda d’une réunion informelle avec les « intellectuels de Butare » en février 1994, il se dit pas concerné. A ce moment-là, il ne le connaissait même pas.

Le Président l’a ensuite interrogé sur les consignes relatives à l’enfouissement des cadavres et en particulier s’il y avait des dispositions qui étaient prises pour déterminer l’emplacement des fosses ou pour identifier les cadavres. Il répond ne pas pouvoir le faire, vu l’ampleur et l’état des cadavres. C’était il y a trente ans, aucun document ne prévoyait une telle situation. Le Président lui demande ensuite si en tant que chrétien, il avait été perturbé dans sa spiritualité par ce qu’il avait vu. Rwmaucyo a affirmé qu’à l’époque il n’était pas aussi pieux aujourd’hui. Il termine par dire que ce qu’il a fait à l’époque, il l’a fait avec le coeur. Il a fait son devoir. Mais peut-être que s’il avait été aussi spirituel qu’aujourd’hui, il n’aurait pas chassé le père Murenzi dans la forêt du Grand Séminaire.

Après une courte suspension d’audience, ce sont aux parties civiles d’interroger l’accusé. Me SCIALOM a commencé par l’interroger sur son documentaire ayant pour objet de documenter la guerre et qui pourtant ne fait jamais mention des massacres du Bugesera et des Bagogwe. Il répond qu’il n’était pas là quand cela s’est passé et qu’il a documenté seulement ce sur quoi il avait des éléments. L’avocate s’est ensuite dit interpellée par le vocabulaire de droit international humanitaire utilisé tels que les « armes non conventionnelles » et la définition de « conflit armé»,. Elle lui a donc demandé s’il connaissait les conventions relatives aux conflits armés. Il lui a répondu que non, il ne parle que de normes d’hygiène et d’assainissement. Elle l’a ensuite interrogé sur sa formation médicale et sur le fait qu’en tant que médecin il n’avait pas le devoir en vertu de son serment d’Hippocrate d’apporter son aide aux personnes blessées. Il répond que ce n’est pas son domaine et que d’autres étaient plus qualifiés pour donner les premiers soins. L’avocate dit s’interroger également sur sa conscience des risques sanitaires causés par l’inhumation des corps à même le sol. Selon Rwamucyo, le Rwanda ne connaissait pas à l’époque de cercueils pour enterrer les corps, et en temps de guerre il est très compliqué de faire autrement. Selon lui, il aurait donné des instructions pour marquer l’endroit des fosses, mais apparemment ça n’a pas été suivi.

Me VINET pour la LDH et la FIDH lui a posé une question s’agissant de la manière dont il s’assurait qu’il n’y avait aucun survivant parmi les cadavres. Il a répondu que les corps étaient en décomposition et que donc il n’y avait pas besoin de prendre leur pouls à chacun. Toutefois, il affirme avoir vérifier s’ils étaient bien tous en état de putréfaction. Le Président lui a alors demandé s’il portait des gants et une blouse. Rwamucyo a répondu qu’il portait une blouse mais pas à chaque fois. En revanche, il ne portait jamais de gants, il n’y avait apparemment pas de gants à cette époque, en tout cas dans son service au CUSP.

Me GISAGARA a remis en cause le fait qu’il ait affirmé qu’il n’y avait pas de cercueils au Rwanda. Il a répondu qu’en tout cas c’était impossible de faire autrement que de les enterrer à même le sol à cette période.

Me BERNARDINI l’a interrogé sur ce qu’il a voulu dire en disant qu’il mettait au défi n’importe de lui prouver comment 15 000 corps avaient été enterrés à Gishamvu : « vous insinuez qu’il n’y en aurait pas 15 000 ? Qu’on les aurait importés ? » L’accusé a répondu que lui n’a pas pu tous les ensevelir, c’est techniquement impossible. Il ne nie pas l’existence de ces corps, simplement lui ne les a pas vus.

Le Président a ensuite donné la parole au Ministère public. L’avocat général a commencé par rappeler que Rwamucyo avait affirmé devant le juge d’instruction être resté chez lui une semaine après l’attentat, puis que devant le tribunal il avait affirmé qu’en réalité se serait plutôt de l’ordre de deux semaines. Il serait donc sorti plus ou moins vers le 23 avril. Elle ne comprend donc pas comment est-ce qu’il a pu rédiger un rapport le 24 avril où il parle d’une situation sanitaire catastrophique. L’accusé n’a pas vraiment répondu, il a simplement dit qu’il ne voyait pas où été le problème. Il a fini par dire qu’ils avaient rédigé le rapport après le départ de MSF. Le président et l’avocat général lui ont demandé : « donc après le 24 avril ». Il n’a pas donné de réponse.

L’avocat général lui a ensuite demandé pourquoi est-ce qu’il n’avait pas mentionné ce rapport du 24 avril devant l’OFPRA, alors qu’il l’a fait spontanément pour le rapport du 6 mai. Il répond qu’il n’avait pas de copie du rapport du 24 avril sur son ordinateur. S’agissant de la prise en charge des ensevelissements par Rwamucyo, l’avocat général lui a demandé comment est-ce qu’il l’avait appris. L’accusé a mis du temps à répondre, et a fini par affirmer que c’était le préfet qui l’en avait informé. C’est également la préfecture qui l’informait par téléphone des sites où il devait se rendre. L’avocat général l’a également interrogé sur le fait qu’avant son audition devant le juge d’instruction, il avait toujours nié avoir participé aux ensevelissements de cadavres pendant le génocide. Il a répondu : « vous savez devant la mort ça arrive de tomber dans le déni ». Me Mathe pour la défense a ensuite voulu appuyer le fait que Rwamucyo était déconnecté de la réalité des événements lorsqu’il réalisait ses activités ainsi que sa quasi-solitude à Butare. Me Meilhac, lui, insistera surtout sur les pièces que Rwamucyo a apportées de lui-même au dossier, afin de démontrer qu’il n’y a eu aucune tentative de dissimulation de sa part.

Le Président a suspendu l’audience en disant que son interrogatoire se poursuivra le lendemain matin, par des questions relatives à la réunion du 14 mai 1994 à l’UNR et à l’activité du CDR.

Par Léna JAOUEN, Stagiaire Commission Justice Ibuka France

 

 

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