Compte-rendu de l’audience du 13 octobre 2025, Jour 19

L’audience commence à 14h par les auditions des représentants des associations qui se sont constituées partie civile

  1. Comparution de la représentante de l’association Survie

Présentation : Laurence a 64 ans et est kinésithérapeute. L’association comprend 900 membres. Elle est présente dans une vingtaine de régions françaises. Elle possède 3 salariés rémunérés grâce aux dons et subventions. L’association n’a pas de revenus. Les avocats la représentent pro bono. L’association originellement a pour but la mobilisation contre les exterminations et la famine. Elle a fait un travail pour assainir les relations entre la France et l’Afrique. L’association a eu ensuite ajouter à ses statuts l’action contre la Françafrique. Il y a un changement de l’association à partir du génocide. Le génocide est devenu le mouvement fondateur de l’association. Elle lutte contre le soutien du gouvernement français à des groupes tueurs.

Peu s’intéressait au Rwanda en 94. L’association lutte contre la banalisation du génocide et cela est ajouté aux statuts de l’association. Il y a un changement des statuts de l’association pour pouvoir être partie civile et punir l’impunité. L’impunité pour les témoins signifie la peur, des témoins étaient tués lors des Gacaca par des génocidaires. L’impunité pour les tueurs signifie la liberté. Ce n’est pas dans un désir de vengeance, ni revanche que l’association agit mais pour faire avancer les choses.

  • Président de la Cour : Comment se fait votre approche ? Comment vous vous constituez ?
  • Témoin : Les militants se constituent, on rejoint l’action.
  • Président de la Cour : Y’a-t-il eu une analyse concernant Sosthène Munyemana ? Comment vous retrouvez-vous dans cette procédure ?
  • Témoin : Dans les membres de l’association, il n’y a pas de personnes qui soient directement parties civiles. L’association s’est appuyée sur les documents de la justice, sur les informations des journalistes.
  • Président de la Cour : Vous êtes-vous posée des questions sur son innocence ? Avez-vous eu une analyse critique avec une opinion dégagée ?
  • Témoin : Il est difficile de faire une analyse critique en appel mais j’accorde une importance à ne pas être dans l’émotion et de veiller à rendre compte des actions de l’association.
  • Président de la Cour : Êtes-vous déjà allée au Rwanda ?
  • Témoin : Oui en 1989 pour des raisons de scoutisme, nous avons visités des adultes et des enfants mais je n’avais pas conscience de leur réalité. Je suis en contact avec une personne qui a fui le génocide mais cela relève du personnel et non pas de l’association.
  • Président de la Cour : Pouvez-vous expliquer ce que demande l’association quand elle se constitue partie civile ?
  • Témoin : De manière générale, l’association demande à ce que la responsabilité de la personne soit reconnue, on est très souvent confronté au négationnisme du génocide. On ne demande pas de dommage et intérêt, ce n’est pas notre rôle mais on souhaite le versement de l’aide juridictionnel de l’Etat pour les avocats.
  • Avocat des parties civiles : Comment Survie en vient à se constituer partie civile ?
  • Témoin : Le fonctionnement associatif de fait avec le conseil d’administration, quand il a connaissance du procès, on évalue si on peut ou pas se constituer.
    Le conseil donne son avis mais je suis la seule qui travaille avec les avocats.
  • Avocat de la défense : Pourriez-vous rappeler l’objet social qui permet de se constituer ?
  • Témoin : Je ne me rappelle plus exactement de l’intitulé mais c’est la lutte contre banalisation du génocide qui le permet.
  • Avocat : Cet objet social peut permettre de porter plainte contre crime contre l’humanité ?
  • Témoin : Nous avons fait une plainte contre Total concernant l’environnement.
  • Avocat : Survie s’est intéressée au Rwanda de même contre les autres crimes qui ont eu lieu au Rwanda autre que le génocide ?
  • Témoin : Oui.
  • Avocat : À quelle plainte ?
  • Témoin : Je suppose que vous voulez parler des crimes de guerre du FPR. Oui.
  • Avocat : Mais vous n’avez pas initié de plainte ?
  • Témoin : Nous n’avions pas la capacité à ester en justice à ma connaissance, on ne peut déposer plainte que contre des personnes qui résident en permanence en France. Je ne connais pas de personnes qui aient été sujets de ces accusations résidant en France.
  1. Comparution du représentant de l’association Communauté Rwandaise de France

Présentation : Le représentant Christophe Renzaho est chef de projet informatique. L’association existe depuis une trentaine d’années. Son objet est de combattre le génocide et les crimes contre l’humanité ainsi que de poursuivre les auteurs, les complices et d’accompagner les victimes. Il y a une centaine de membres ainsi que des sympathisants dont des rescapés, des victimes du génocide. Il est lui-même fils, neveu, petit-fils de victimes. Il se rappelle des cris de sa mère, de sa tristesse énorme et qu’elle disait que personne ne survivrait. Il dit qu’il y a des choses qu’on voit et qu’on n’oublie jamais. J’’ai compris plus tard qu’ils savaient qu’ils ne pouvaient rien faire. Mon père n’a pas tenté de la rassurer. Le génocide était prévu, planifié. Les responsables étaient des intellectuels, des enseignants, des médecins, des cadres qui avaient mis leur fonction au service de l’innommable. Le génocide des Tutsi, c’est plus de 10 000 morts par jour. Mon histoire est celle de beaucoup. Nous avons besoin de justice, que la vérité soit dite, pas pour de la vengeance mais pour que ceux qui sont morts ne soient pas morts en vain.

  • Président de la Cour : Depuis combien de temps êtes-vous représentant ?
  • Témoin : Depuis le 8 mars de cette année.
  • Président de la Cour : Combien de membre a l’association ?
  • Témoin : Une centaine.
  • Président de la Cour : La communauté Tutsi revendique-t-elle une distinction ?
  • Témoin : Cette communauté des Tutsi n’existe plus.
  • Président de la Cour : L’appartenance ethnique est devenue tabou ?
  • Témoin : Elle est devenue sans objet, on en parle parce que c’est notre histoire mais on se revendique Rwandais parce que ce sont ces divisions qui nous ont amenés à ce génocide.
  • Président de la Cour : Est-ce que les Rwandais en France ont une tendance à se rassembler ? Le fait que Sosthène Munyemana puisse avoir que deux amis Rwandais vous étonne ?
  • Témoin : Non, j’ai vécu 15 ans à Rennes et j’ai rencontré des Rwandais que j’ai entendus plus tard accusés. Je ne cherche pas les coupables quand je rencontre des Rwandais.
  • Président de la Cour : Ce n’est pas ma question, peut-on habiter quelque part sans chercher à vivre ou côtoyer des Rwandais ? Il y a-t-il du communautarisme ?
  • Témoin : Des Rwandais vivent en autarcie. Il n’y a pas de gros communautarisme.
  • Président de la Cour : Ce n’est pas rare que des Rwandais vivent en autarcie ?
  • Témoin : Ce n’est pas rare mais en général c’est quand on a quelque chose à cacher. Je ne peux pas cependant juger de cela.
  • Président de la Cour : Comment évaluez-vous le nombre de Rwandais vivant en France ?
  • Témoin : C’est un travail à faire sachant que certains ont changé de nationalité mais il y a environ 3 000 Rwandais en France.
  • Président de la Cour : Vous n’avez pas de lien avec Sosthène Munyemana ?
  • Témoin : Non.
  • Président de la Cour : Avez-vous pris des distances ? Avez-vous fait des analyses par rapport à l’objet du procès ? Ou dès qu’une procédure est lancée vous rejoignez ?
  • Témoin : La dernière question car on cherche des réponses.
  • Président de la Cour : Allez-vous souvent au Rwanda ?
  • Témoin : Oui, la dernière fois c’était en août dernier.
  • Avocat de la défense : Vous avez dit que des personnes ont mis leur savoir au service de l’innommable et que comme l’accusé c’était des médecins. Pour vous est-ce que c’est une présomption de culpabilité ?
  • Témoin : Non, je notifiais juste que c’est comme pour le cas de l’accusé.
  1. Comparution du représentant de l’association Ibuka France

 Présentation : Le représentant de l’association est Marcel Kabanda. Il est retraité. Il a 69 ans.

Témoin : Je suis heureux d’être ici aujourd’hui car c’est l’aboutissement d’une longue période d’attente de la justice. Cela fait déjà plus de 30 ans, que le génocide a eu lieu. Je parle en tant que représentant de l’association, mais aussi en tant qu’individu. Historien, le génocide ne fait pas partie de mon domaine. À la base j’étudie le sel. Mon domaine est l’histoire économique et sociale. Le génocide m’a transformé. Il a touché toute ma génération, nous privant de nos familles. Il a changé notre destin. J’ai commencé à travailler sur le génocide en 1994. Le premier travail qu’on m’a confié et celui sur les médias rwandais avec un ouvrage sur les médias rwandais génocidaires. À la suite de ce livre, je me retrouve pour la première fois devant un tribunal. Il y a cette idée que le Tutsi est étranger, conquérant, qu’il est un ennemi, qui n’avait pas sa place. Un autre ouvrage a ensuite été réalisé : Rwanda. Racisme et génocide.

Le 6 avril 1994, moi j’étais en France, c’est la raison pour laquelle je suis encore en vie. Nous apprenons que notre entourage est en train de mourir. On se demande ce qu’on peut faire et on se dit qu’on ne les oubliera jamais. Ibuka signifie « Souviens-toi ». Ils mouraient comme des non-être. Nous n’avons pas abordé durant ce procès, les violences que les femmes subissaient, les femmes qui étaient éventrées, les bébés qui étaient jetés contre des murs, les fosses dans lesquels des gens vivants qui étaient juste blessés, étaient jetés.

Ils réunissent les Tutsi en leur faisant croire qu’ils étaient protégés, mais en réalité, il n’y avait aucune protection quand ils étaient suffisamment nombreux, les militaires et les miliciens venaient les tuer. Ce n’est pas comme la Shoah où on avait des camps de concentration mais il y avait de nombreux endroits où on les regroupait pour les tuer. Il fallait des lieux pour faire ce génocide, des endroits qu’on faisait passer pour des refuges. Quand les Tutsi s’en sont rendus compte, ils ont essayé de fuir. Le but est de faire croire que ces endroits sont des refuges est de faire sortir les réfugiés cachés. Je ne dis pas que l’accusé l’a fait, mais on retrouve ici ce même mécanisme. L’association a pour but de rendre hommage aux victimes en luttant contre le négationnisme. C’est un déni qui commence bien avant le génocide avec comme justification, une excuse d’autodéfense « Si on ne les tue pas, ils nous tueront ». Nous aidons à soutenir les rescapés qui ont tout perdu, que ce soit en termes de biens ou de leur santé. L’association n’a pas les moyens pour les soutenir, mais c’est une manière de nous regrouper pour faire un plaidoyer, afin que les rescapés soient aidés. Il y a une obligation à honorer la mémoire des morts. Nous intervenons dans les écoles pour parler aux enfants. Pour aider à la lutte contre le racisme. Racisme qui s’est développé au Rwanda et les Rwandais l’ont intégré.

La révolution sociale de 1959 a pour fait majeur, non pas le renversement de la monarchie, mais la violence exercée sur les Tutsi. En 1973, les Tutsi sont chassés des écoles parce qu’ils sont considérés comme trop nombreux. Les évènements de 1990 proviennent de là. Il y avait une porte de sortie, mais qui a été ignorée, avec la considération que le retour des réfugiés Tutsi était une ruse. Le mouvement Hutu Power est l’aboutissement d’une guerre de race.

  • Président de la Cour : Que signifie Ibuka ?
  • Témoin : Souviens-toi.
  • Président de la Cour : Qui est le fondateur ?
  • Témoin : Mouvement initié en Belgique, je pense que celui qui en a eu l’idée est Eugène Mutabazi.
  • Président de la Cour : Ibuka est très présent au Rwanda, vous confirmez ?
  • Témoin : Oui formellement, sa création est faite en 1995 au Rwanda, ce qui est normal qu’elle y soit présente, car c’est là que se sont déroulé les faits.
  • Président de la Cour : Comment faites-vous le rapprochement avec le procès de Sosthène Munyemana et l’objet de votre association ? Y a-t-il eu une analyse critique ?
  • Témoin : Selon, les statuts de l’association, les missions sont la mémoire, le soutien au rescapé et la justice, mais pas de travailler en amont des procès. Nous ne faisons pas d’enquête, je rends hommage au CPCR qui fait quasiment tout le travail. Ce qui est très compliqué. Nous ne faisons pas cela parce que nous sommes suffisamment pris par le travail de mémoire. Une fois le dossier constitué, on rejoint à la procédure, mais évidemment on étudie le dossier
  • Magistrat : Combien y a-t-il d’adhérents ?
  • Témoin : 200 membres environ en France.
  • Magistrat : Combien y a-t-il d’adhérents dans les autres associations Ibuka ?
  • Témoin : Chaque association Ibuka est autonome et indépendante. Je ne suis pas membre des autres associations Ibuka.
  • Avocat de la défense : Vous avez parlé du regroupement des traquées et tuées dans le stade de Kibuye. Ce stade est-il rempli de divers réfugiés des communes ?
  • Témoin : C’est exact.
  • Avocat : Bagilishema était bourgmestre. Il accueillait des réfugiés dans le bureau communal dans lequel il y a eu beaucoup d’affluence. Pour vous, est-ce que cela représente ce qui s’est passé dans les communes du Rwanda ?
  • Témoin : Oui.
  • Avocat : Le TPIR lors de son jugement concernant les transferts montrent que les allégations concernant ce bourgmestre ne sont pas prouvées, car les éléments de preuve n’établissent pas qu’ils auraient dû savoir ce qu’il se passerait après le transfert. Ne faut-il pas analyser la complexité des transferts ? Ne faut-il pas envisager les différences ?
  • Témoin : On ne fait pas ici le procès de Bagilishema, Je ne connais pas son dossier dans lequel il y a eu une analyse de sa personne et de différents faits. Quand la cour prononce l’acquittement, elle juge plusieurs faits autour de cette situation. Oui, les situations sont complexes à analyser et elles ne vont pas toutes se ressembler, il faut analyser chacune d’entre elles dans son entièreté.
  • Autre avocat de la défense : Pouvez-vous nous parler du rôle d’Ibuka dans l’établissement d’état civil au sein d’Ibuka France ou de façon générale. Cela se fait à Ibuka Rwanda, mais il y a un lien.
  • Témoin : Il n’y a pas de lien structurel. Sous réserve de la réponse que donnerait Ibuka Rwanda, de ce que je sais, il y a une difficulté à dresser la liste des victimes dû au fait que certaines familles ont totalement disparu. Parfois, il ne reste que des enfants en bas âge. Il y a eu des destructions volontaires des états civils. Donc il y a une double difficulté entre la disparition des personnes et la destruction volontaire d’état civil. L’administration à l’époque ramait et l’association a essayé d’aider à dresser des listes, mais n’a pas refait les états civils. Il est possible que Ibuka ait été appelé à participer à l’émission d’état civil. Les cellules locales d’Ibuka sont parfois plus à même de dire qui est qui. Ce sont les voisins au niveau local qui donnent des informations pas forcément Ibuka en tant que tel. Mais Ibuka Rwanda pourra vous éclairer sur comment c’est fait.
  • Avocat : Au premier procès, plus de 100 personnes, se portaient partie civile avec des actes produits par Ibuka dans lesquels il demandait des dommages et intérêts. Quelle est la valeur de ses actes ?
  • Témoin : Ces actes sont visés par, je pense l’administration
  • Avocat : Oui bien sûr.
  • Témoin : À partir du moment où la famille a été tuée comment reconstituer les états civils autrement que par les informations au niveau local ? Ibuka peut être source d’informations.
  • Avocat : Est-ce qu’ils vont voir Ibuka pour avoir des attestations ?
  • Témoin : J’ai bien dit que je n’ai jamais été là-bas pour assister à cela. La qualité de précision que vous cherchez, je ne peux vous la donner.
  • Avocat : Jean-Baptiste Ntwari s’est constitué partie civile et a indiqué avoir perdu, Christine, sa belle-mère qui était responsable des infirmières à l’hôpital de Butare qui a été perdue durant le génocide et cela a été attesté par les autorités Rwandaises. Mais selon des sources, ses collègues, elle résiderait aux États-Unis. Il y a des personnes qui se constituent partie civile dont Ibuka et les autorités rwandaises attestent.
  • Témoin : « Je ne sais pas pourquoi vous me posez cette question » répond le témoin qui a déjà évoqué l’autonomie de différentes associations Ibuka.
  • Avocat des parties civiles : Il y a des documents dans le dossier qui montrent que Christine est morte durant le génocide.

Débat entre les avocats sur la mort de Christine 

Témoin : J’ai rendu hommage au CPCR et je voudrais ajouter autre chose. J’apprécie votre attention sur les victimes concernant le soutien psychologique. Et je remercie nos avocates.

Doualla-Esso Carla-Ylan. Étudiante

 

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