Compte-rendu de l’audience du 14 octobre 2025, Jour 20

14h00 : Interrogatoire de fond de l’accusé, Sosthène Munyemana, a porté sur son positionnement politique en prenant la naissance du multipartisme en 1991 comme point de départ.

L’accusé reprend plusieurs points du contexte historico-politique du Rwanda à partir de 1991 :

      • Reprise d’évènements politiques marquants,
      • Reprise des évolutions des différents partis politiques,
      • Reprise des différentes personnes influentes au sein du gouvernement et des différents partis politiques.

Concernant sa propre personne, il dit :

      • Jean Kambanda a séjourné chez lui lorsqu’il a fui Kigali parce qu’il était menacé.
      • C’était son dernier contact avec lui.
      • Concernant sa position personnelle, il dit avoir été en adéquation avec Dismas Nsengiyaremye qui n’était ni modéré ni extrémiste.
  •  Président de la Cour : Quelle est cette position ? Que signifie resté dans la lignée du MDR ?
  • Accusé : Du côté du MRND il y avait les forces armées rwandaises tandis que de l’autre côté c’étaient des milices armées. Dans le courant de Dismas, il n’y avait pas de forces armées, c’est la population qui est leur soutien, il y a une volonté de démilitarisation.
  • Président de la Cour : Aviez-vous un rôle au niveau national ? Aviez-vous participé au congrès
  • Accusé : Non, je n’avais aucune fonction pour participer au congrès.
  • Président de la Cour : Vous dites être un simple militant pourtant vous avez signé la lettre de motion adressée au président Habyarimana. Avez-vous un souvenir de cette lettre ?
  • Accusé : Je l’ai signée mais je n’ai pas participé à la rédaction. J’étais d’accord avec cette lettre. Nous étions un cercle informé, membre du parti. On donnait des réflexions sur la direction du parti. Tant que le parti était uni, les lettres étaient envoyées au bureau politique. Avec la cassure, ce fut la première lettre envoyée au président de la République car selon nous il était responsable de ce qui s’était passé au MDR afin qu’il corrige ce qu’il avait abimé.
  • Président de la Cour : Il y a un paradoxe. Le problème était national. La lettre que vous signez n’est pas envoyée par le bureau politique mais par des intellectuels dont vous faisiez partie. Comment pouvez-vous vous adresser au président de la République directement avec des mots forts sans passer par un organe politique ? Votre rôle n’est-il pas seulement celui d’un simple militant ?
  • Accusé : Nous sommes des membres militants, on agissait comme représentant de la réflexion locale. On s’adresse au président de la République car pour nous, il est à l’origine de ce problème. Il ne nous a jamais répondu peut-être parce que la lettre ne venait pas du parti.
  • Président de la Cour : Dans cette lettre vous dites de revoir les pouvoirs nationaux, de revenir sur sa décision de premier ministre, vous parlez de sujets nationaux graves.
  • Accusé : On s’adressait à lui pour le parti politique.
  • Président de la Cour : Oui mais ce n’est pas le parti qui envoie la lettre, vous comprenez qu’on pose la question de cette facilité à s’adresser au président de la République en tant que simple militant (pour reprendre vos mots) ?
  • Accusé : Peut-être que nous nous sommes trompés de procédure.
  • Président de la Cour : Quelle légitimité avez-vous à écrire au président de la République ?
  • Accusé : Nous l’avons fait comme de simples citoyens qui s’adressent au président de la République. Nous n’avons pas pensé à la force de nos termes.
  • Président de la Cour : Pouvez-vous parler du cercle d’intellectuels du MDR résidant à Butare
  • Accusé : C’était un groupe informel composé d’enseignants, de professeurs, de médecins dans les environs de Butare. Il a été créé pour susciter des idées. Dans le bureau, le président était un médecin chirurgien qui est décédé en 1993 et a été remplacé par le premier vice-président. Je suis donc resté seul vice-président, il y avait le secrétaire et le trésorier. C’est dans ce cadre qu’en avril 1994 ont commencé les tueries des Tutsi. A chaque crise on savait que les Tutsi et les opposants allaient être visés. Le 14 avril on apprend que la MINUAR (les casques bleus) allait être retirée. On convient d’une rencontre le 16 avril pour savoir quoi faire. On s’était dit qu’il fallait montrer la situation dans laquelle était le Rwanda à l’ONU pour indiquer le grave danger si les casques bleus se retiraient. Ce que vous avez, ce n’est pas la vraie lettre mais la transcription de la lettre qu’a faite la radio. Peut-être le journaliste a appelé ça motion sans que nous ayons intitulé la lettre ainsi, je ne me rappelle plus de ce qu’on avait écrit.
  • Président de la Cour : Vous avez participé au cercle dès votre arrivée à Butare ?
  • Accusé : Non parce qu’il n’existait pas encore.
  • Président de la Cour : On peut dire que dès qu’il a été formé vous avez rejoint le cercle ?
  • Accusé : Oui.
  • Président de la Cour : Étiez-vous vice-président ?
  • Accusé : Oui.
  • Président de la Cour : Vous étiez combien dans ce cercle ?
  • Accusé : 47, je crois mais je ne m’en rappelle pas.
  • Président de la Cour : Vous aviez été moins généreux lors de votre premier interrogatoire.
  • Accusé : Oui je ne m’en rappelle pas.
  • Président de la Cour : Quel était le profil des intellectuels ?
  • Accusé : C’était des professeurs, des médecins. Il n’y avait pas que notre cercle. Il y en avait un autre qui était différent du nôtre, qui n’a rien avoir avec le nôtre.
  • Président de la Cour : Y’avait-il des paysans ou des agriculteurs dans ce cercle ?
  • Accusé : Non.
  • Président de la Cour : D’autres membres habitaient-ils à Tumba ?
  • Accusé : Non, je ne crois pas.
  • Président de la Cour : Vous vous réunissiez régulièrement ?
  • Accusé : Non, seulement à la convocation du président lorsqu’il y avait des sujets à débattre.
  • Président de la Cour : Quel était l’objectif du cercle ?
  • Accusé : Il donnait son avis et soit le bureau politique le prenait en compte soit il ne le prenait pas en compte.
  • Président de la Cour : Quand était la dernière réunion ?
  • Accusé : Le 16 avril 1994.
  • Président de la Cour : En effet c’est une retranscription de la lettre faite par le journaliste que nous avons qui reprend les éléments de la lettre. En dehors du terme « motion » vous ne contestez pas le contenu ?
  • Accusé : Non, je ne le conteste pas à part quelques fautes d’élocution.
  • Le Président de la Cour lit la lettre
  • Président de la Cour : « Soutien au gouvernement » revient plusieurs fois dans la lettre. Le 16 avril lors de la motion que savez-vous du gouvernement intérimaire ?
  • Accusé : Je connais les engagements faits : ramener la sécurité, la reprise des pourparlers avec le FPR, combattre la famine. Ce qui nous paraissait être des engagements primordiaux si l’objet en était respecté. C’est à cette condition que dans la lettre on donne le soutien au gouvernement.
  • Président de la Cour : Vous aviez la radio à la maison ?
  • Accusé : Oui.
  • Président de la Cour : Vous captez la radio RTLM ?
  • Accusé : Quand la RTLM est lancée je ne l’ai jamais captée, je n’ai jamais voulu la capter parce qu’il y avait un gros problème d’extrémisme dans lequel allait la RTLM.
  • Président de la Cour : Vous écoutiez radio Rwanda ?
  • Accusé : Oui.
  • Président de la Cour : Vos proches disent que vous écoutiez tout le temps la radio.
  • Accusé : Oui.
  • Président de la Cour : Vous aviez une routine ?
  • Accusé : Oui.
  • Président de la Cour : Est-ce qu’entre le 6 avril au 16 avril 1994 vous êtes au courant des massacres ?
  • Accusé : Oui ainsi que du risque que les Tutsi soient principalement visés.
  • Président de la Cour : Le gouvernement est nommé quelques jours après, est-ce que vous faites le lien avec toutes les tueries, les barrières et le gouvernement intérimaire ? avec tous les réfugiés qui viennent pensant être protégés mais qui sont tués vous ne vous dites pas que le gouvernement a minima ne les empêche pas ?
  • Accusé : La lettre date de sept jours après que le gouvernement ait dit qu’il s’efforçait de les arrêter donc on ne se disait pas qu’il n’avait pas assez fait.
  • Président de la Cour : Comment savez-vous que le gouvernement s’efforce ?
  • Accusé : Je dis ça selon les engagements du gouvernement.
  • Président de la Cour : Quelle est votre source concernant les objectifs du gouvernement ?
  • Accusé : Les appels de cesser le feu mais qui n’étaient pas faits par le gouvernement.
  • Président de la Cour : Nous voulons savoir ce qui vous a fait croire que c’était l’objectif du gouvernement ?
  • Accusé : Il s’était donné le délai de 6 semaines qui correspondait à la durée de son mandat pour faire cesser les tueries.
  • Président de la Cour : Mais où avez-vous entendu ça ?
  • Accusé : A la radio.
  • Président de la Cour : Il n’y a pas d’éléments dans le dossier qui témoigne d’un communiqué à la radio.
  • Président de la Cour : Affirmez-vous que vous souteniez le gouvernement ?
  • Accusé : Oui jusqu’au 19 avril où j’ai compris que le discours avait changé.
  • Président de la Cour : Si le gouvernement dit qu’il a tels objectifs mais que les tueries perdurent dans un pays qui est très structuré notamment dû à son héritage colonial belge avec une notion de respect de l’autorité, comment continuez-vous à cautionner ce gouvernement ? Quand les massacres sur le terrain continuent ?
  • Accusé : Ce qui nous parvenait était que la garde présidentielle était hors de contrôle. Qu’il y avait des patrouilles mixtes pour contrôler et neutraliser la garde présidentielle.
  • Président de la Cour : Saviez-vous que les Tutsi étaient tués ?
  • Accusé : Oui mais pas qu’ils l’étaient exclusivement.
  • Président de la Cour : Pourquoi cela n’apparait-il pas dans la motion de soutien au gouvernement ? Même si ce n’étaient pas que les Tutsi pourquoi aucune mention n’a été faite des tueries ?
  • Accusé : Nous demandons d’arrêter les tueries pour que tout le monde en profite. Le problème de citer les Tutsi était la possibilité que ça ait l’effet inverse, d’en faire des cibles, c’est comme si on les désignait comme cibles. Mais ce n’est pas un point qu’on avait discuté.
  • Président de la Cour : Dans votre soutien au gouvernement, vous avez fait référence à la mémoire à la fin du document, de manière assez résiduelle par rapport au reste des éléments pour un document qui vise la MINUAR, vous n’en avez pas beaucoup parlé ?
  • Accusé : Je n’étais pas seule, on était quatre dans la rédaction, donc il faut s’accorder.
  • Président de la Cour : Vous avez participé à la rédaction de la lettre ?
  • Accusé : Oui.
  • Président de la Cour : Dans la lettre, vous apportez de vifs remerciements aux armées rwandaises.
  • Accusé : D’autres forces armées ont dû s’opposer au coup d’état militaire de Bagosora ce qui nous semblait horrible donc on les a remerciées.
  • Président de la Cour : Vous avez participé à rédaction de la motion et vous l’avez signé. A-t-elle été envoyée à une entité physique ou morale ?
  • Accusé : Nous l’avons signée et avons identifié les destinataires et nous avons le reste au secrétaire qui devait en faire la multiplication et les envoyer, mais pas les envoyer à la radio.
  • Président de la Cour : Donc vous n’avez pas de preuve que ça a été fait ?
  • Accusé : Non, je suppose que puisque tout était fait, et qu’il ne restait que la multiplication il l’avait envoyé. Mais je n’ai pas revu le secrétaire après.
  • Le Président de la cour demande la réaction de l’accusé suite au témoignage de Bojana Coulibaly qui qualifiait la motion de génocidaire. L’accusé ne s’en souvient que vaguement, mais il dit être étonné.
  • Avocat de la défense : Il y a d’autres témoignages qui avaient une vision totalement opposée concernant la motion.
  • Président de la Cour : Oui, mais je voulais plutôt avoir la réaction de l’accusé sur un témoignage moins nuancé, mais il semblerait que l’accusé n’en ai pas gardé grand souvenir.
  • Magistrate : Vous avez déclaré que la motion avait été envoyée et adressée aux Nations unies et ambassades vous confirmez ?
  • Accusé : Je parlais a priori, mais je ne l’ai pas vu l’envoyer
  • Magistrate : À qui devait-elle être envoyée quelles étaient les intentions ?
  • Accusé : Aux pays qui ont participé aux accords d’Arusha en Tanzanie, et les pays voisins.
  • Magistrate : Est-ce que c’est arrivé à destination ?
  • Accusé : Le secrétaire devait envoyer donc je pars de cet a priori.
  • Magistrate : On sait comment cela a été diffusé à la radio ?
  • Accusé : Tout ce que je sais, c’est que la radio l’a lue le 19 avril tandis que notre document avait été envoyé le 16 avril. Peut-être un membre de la délégation des autorités nationales a eu la main dessus et on a demandé la lecture à la radio.
  • Magistrate : Donc selon vous, c’était pour l’ONU et pas pour le gouvernement, mais ça s’est retrouvé entre les mains du gouvernement. Comment est-ce possible ?
  • Accusé : C’est une hypothèse de ma part, je ne sais pas comment c’est possible, je ne le maîtrise pas.
  • Président de la Cour : On dit vous avoir vu le point levé avec l’écriture « MDR Power » sur votre bras. Ainsi que de porter des vêtements rouges et noirs en signe de soutien au MDR Power. Que pensez-vous de ces accusations concernant votre participation dans le parti du MDR Power ?
  • Accusé : C’est faux, je ne suis pas quelqu’un à écrire sur mon bras et à le brandir. Gashugi dit que c’était en 1993 alors qu’en 1993 MDR Power  n’existait pas encore.
  • Président de la Cour : Oui et il est revenu sur cette date par la suite.
  • Accusé : Pour moi il a inventé et il s’est trompé sur son mensonge. Par contre, j’ai pu porter des couleurs rouge et noir en allant aux réunions mais pas en signe de MDR Power mais simplement parce que c’était les couleurs du MDR.
  • Président de la Cour : Pourrait-on être modéré durant cette période du génocide ?
  • Accusé : Oui c’était par cas qu’il fallait voir qui a basculé dans l’extrémisme.
  • Président de la Cour : Êtes-vous allé au meeting du MDR Power ?
  • Accusé : Je n’ai jamais participé à ses meetings du MDR Power. Je n’ai pas été à des meetings depuis la cassure du MDR.

Discussion sur le préfet, les bourgmestres, le responsable de bureau, le responsable des cellules et les relations que l’accusé entretenait avec eux.

  • Il était proche de Jean Baptiste Habyalimana.
  • Il n’a su que plus tard qu’il était Tutsi.
  • Il dit avoir fréquent beaucoup de Tutsi sans savoir qu’ils l’étaient et ne l’a découvert que plus tard. Il ne faisait pas la distinction.
  • Il dit que ce dernier était très respecté.
  • Il répond à la question sur la situation de Butare comme étant paisible.
  • Il connaissait Kanyabashi Joseph comme administratif, quelqu’un de bien et d’accueillant. Il était surnommé Kanyabatutsi qui signifie ami des Tutsi bien avant le génocide.
  • Bwanakeye était conseiller de secteur ce qui était en réalité appelé le conseiller communal. Le bureau de secteur dont on parle dans cette affaire, était le sien.
  • Il était marié à une Tutsi qui était sa deuxième femme. Il ne sait pas qui était sa première femme et s’ils étaient divorcés ou si elle était morte.
  • Le surnommé Mambo était responsable de la cellule de Gitwa, il n’a pas eu l’occasion de le voir jusqu’à la réunion du 17 avril. Il ne le connaissait pas.

Doualla-Esso Carla-Ylan, Étudiante

 

 

 

 

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