Compte-rendu de l’audience de mardi 21 octobre 2025, Jour 25
Programme du jour : Les plaidoiries des avocats des Parties Civiles

  • 09h : Parties Civiles
  • 14h : Procureur général

Maître EPOMA, avocat de 24 parties civiles physiques

L’accusé souffre d’une maladie qui est l’amnésie ; c’est de cette même maladie que souffrent tous les politiciens. Quand on lui pose la question des odeurs, il n’a rien senti, Quand on lui demande s’il a vu des corps, il n’a rien vu, Quand on lui demande s’il a entendu du bruit, il n’a rien entendu. Il se joue de votre méconnaissance de la situation en oubliant qu’il y a des victimes qui parlent, les dossiers qui parlent. Il est un homme politique redoutable possédant un réseau, il est important et puissant à Butare. Un homme politique et celui qui s’implique dans la vie politique de l’endroit où il se trouve. L’accusé adhère au MDR où il est très actif, Il sert son parti.Il assiste au congrès de son parti ; il soutient Dismas en tenant tête au président de la République. Il n’est pas un simple militant. Il adresse son soutien au gouvernement qui a perpétré le génocide et continue de le perpétrer. Dans la motion, il ne fait aucune mention des victimes, il encourage le gouvernement à continuer les tueries. Il était celui qu’on entendait le plus fort dans le bureau de secteur tenant des propos haineux ; il demande à Mambo la clé du bureau de secteur. Il dit qu’il veut aider les Tutsi et cherche à tout prix la clé. Il va chez Mambo, croyant pour on sait quelle raison que celui-ci la détenait. Mambo qui est un grand tueur et que l’accusé dit ne pas connaître. Une fois qu’il a mis la pression pour obtenir la clé, il est le seul qui peut ouvrir ou fermer le bureau du secteur, lui seul en a l’autorité.

Pendant plusieurs jours des réfugiés Tutsi sont entassés dans le bureau, alors qu’il dit qu’il y en avait que 40 à peu près. Une fois qu’il n’y a plus de place, il passe un coup de fil pour les faire transférer. Il ne donne aucune information de lui-même. D’abord, il ne connaît pas le Premier Ministre ; puis il le connaît un peu, puis il s’avère qu’ils ont une relation. Le Premier ministre qu’il a déjà sauvé, ce n’est pas comme il le prétend l’ami de sa femme. D’abord, il ne sort pas du tout de chez lui, puis il s’avère qu’il sort un petit peu pour faire les courses.

L’accusé soutient que les accusations faites contre lui sont un grief, non seulement pour lui, mais aussi pour tout le pays donc cela signifie qu’il n’est pas un simple citoyen. Cela signifie qu’il est quelqu’un d’important dans son pays : il pouvait chasser les militaires et les miliciens, il pouvait leur dire de ne pas tuer quelqu’un. Il exerçait une autorité. Concernant les preuves de sa fuite et son passage dans un hôtel, il parvient à retrouver des factures de boissons consommées dans le bar de cet hôtel. Quand les gens fuient, ils le font en pagaille. Pourtant, lui a le temps de prendre des factures de boissons ; personne ne les a arrêtés (l’accusé et ses enfants) aux barrières. Le simple Hutu pouvait passer les frontières, alors à combien plus forte raison, lui qui se trouve avec le Premier ministre et des militaires. Ses amis l’ont dit, l’accusé était Hutu Power, il était appelé le sage dans les réunions ; il était appelé le riche. C’est ce qu’il faut pour être en notable. L’objectif d’un parti politique et l’obtention du pouvoir, raison pour laquelle il essaye de faire croire qu’il n’en faisait pas partie. Après le passage du gouvernement, le génocide a commencé, les intellectuels et les militaires sont sortis. Ils se sont mis au travail, lui a servi de relais. L’avocat rappelle le témoignage d’Espérance Kanyange, le 1er octobre, et le geste qu’elle va faire qui va lui sauver la vie. À 20 ans, il savait déjà que si elle entrait dans ce bureau, elle n’en ressortirait pas vivante. Les victimes ne veulent pas la vengeance, mais la justice. L’accusé était un homme politique redoutable et un notable puissant.

Maître TAPI, avocat de parties civiles physiques 

L’accusé dit que le bureau de secteur était un endroit temporaire. En première instance, il dit que c’était un refuge. Lui seul ouvrait et fermait ce bureau. Il dit qu’il ne pouvait rien faire d’autre, qu’il n’avait pas d’autres alternatives et que personne d’autre n’aurait pu mieux faire. L’avocat commence donc une comparaison entre Sosthène Munyemana et Laurien Ntezimana. Les deux sont des enseignants-chercheurs à l’université de Butare. L’accusé finit par admettre qu’il était notable mais précise qu’il avait ce statut dans le sens que son opinion comptait. Les deux avaient de l’influence. L’accusé était riche, il avait hérité de deux parcelles, il possédait un salaire d’enseignant-chercheur, il recevait des loyers de ses locataires qui vivaient dans une concession lui appartenant dans laquelle il y avait cinq parties différentes. L’accusé met les réfugiés dans le bureau du secteur. Laurien les amenait chez lui L’accusé aurait pu les amener chez lui aussi durant la nuit puisque les militaires et les miliciens ne travaillaient pas la nuit ce qui signifie qu’ils ne tuaient pas la nuit.

Laurien informait la nuit les familles Tutsi, pour leur dire de fuir et beaucoup ont eu la vie sauve ainsi. Un jour, les miliciens ont attrapé un réfugié et Laurien leur a dit de le lui laisser afin qu’il le tue lui-même. Une fois les miliciens partis, Laurien a dit à cet homme de fuir. C’est l’extérieur qui pouvait sauver la vie des Tutsi. Emmanuel un réfugié de 14 ans, parce qu’il s’était déféqué dessus, on l’a chassé du bureau du secteur, ce qui lui a valu d’être sauvé. Tandis que ses frères et sœurs sont morts dans le bureau du secteur. Donc le bureau était dangereux et n’était pas un refuge. Si l’accusé avait un refuge, les personnes seraient là pour témoigner de ce qu’il leur a sauvé la vie, leur a apporté son aide, mais l’accusé n’a pas voulu les sauver. Il raconte qu’une nuit, il a vu un homme qui allait se faire tuer qu’il a argumenté avec les miliciens, mais que cela n’a pas fonctionné et qu’il a été tué. Laurien lui utilisait même son argent pour que les militaires laissent les Tutsi, qui étaient à sa charge, cachés chez lui. L’accusé avait les mêmes moyens même bien plus. Cependant, il ne l’a jamais fait, cela révéla une véritable volonté de sa part. Marie témoigne qu’un fou, ayant vu qu’elle allait se faire tuer a dit aux militaires que tuer une femme qui n’était pas mariée et qui n’avait pas d’enfants ça portait malheur et ces mêmes militaires l’ont laissée. L’accusé ne pouvait pas manquer d’idées pour aider les Tutsi. C’est révélateur de sa volonté. Tout ce que les parties civiles veulent, c’est la justice.

Maître KARONGOZI, avocat de parties civiles physiques

L’avocat parle de la signification culturelle, des prénoms rwandais en Kinyarwanda, il mentionne les parties civiles qu’il représente, et souligne que dans beaucoup de leurs prénoms Dieu est présent. Il soulève également que ses prénoms sont partagés entre les Hutus, les Tutsi et les Twas. Il traite du contexte historique en relatant les différentes périodes politiques à travers lesquelles le Rwanda est passé. Il parle du Rwanda précolonial. Il parle de la colonisation avec la tutelle belge, il parle de l’indépendance. Et enfin il termine par les deux Républiques précédentes, le génocide. Il mentionne le mythe fondateur à l’origine des trois ethnies Twa, Tutsi, Hutu avec le père de la nation qui donne à ses trois fils, un pot de lait à conserver et qu’il n’y a que le fils Gatutsi qui a su conserver son pot. Il parle de la monarchie et de la famille qui seule pouvait prétendre au trône, à l’exclusion de tous les autres clans qu’ils soient Tutsi ou Hutus. Il parle de l’instauration en 1911 du mensonge colonial, concernant les Tutsi, les définissant comme des étrangers, de race supérieure à celle des nègres. L’avocat parle des différentes rumeurs des tests médicaux, des identifications faites sur les cartes d’identité afin de déterminer qui est Tutsi et qui est Hutu. Il parle des 10 commandements ; il parle de l’impact de la révolution qui est resté gravé dans les esprits et mentionnant le Tutsi comme un étranger. Il dit que le génocide n’aurait pas abouti sans l’action de l’armée, sans les rumeurs concernant les tutsi, sans la solidarité des Hutu, avec la vilénisation de ceux qui soutiennent les Tutsi,. L’accusé est dans la politique depuis quelques années. L’accusé relate dans ses souvenirs d’enfance, cette révolution. On voit que les idéologies restent ancrées dans les esprits. Les idéologies qui ont conduit au génocide. L’accusé est du côté de ceux qui ont bénéficié de privilèges du fait d’être Hutu et prétendre le contraire est fallacieux. Il connaît bien des personnes qui sont Tutsi durant le génocide, mais il ne leur passe aucun coup de fil tandis qu’il appelle d’autres personnes qui ne sont pas Tutsi. Lorsqu’il fuit, il emprunte le chemin le plus long et le plus risqué, mais comme il est une personne d’envergure, alors, il ne lui arrive rien. Contrairement à ce que prétendent les enfants de l’accusé, ils peuvent rentrer sans aucun problème au Rwanda, contrairement à ce qu’ils disent. L’avocat prend l’exemple d’enfants d’auteurs du génocide qui aujourd’hui vivent au Rwanda, en occupant des postes parfois hauts placés sans avoir à s’inquiéter de rien. L’accusé possède des informations de tout le pays y compris du gouvernement. Il y a des morts partout autour de l’accusé. Les tueries atteignent leur paroxysme. Il n’est donc pas possible, il n’est pas soutenable de dire que quand l’accusé possède la clé du bureau de secteur, il enferme les réfugiés pour les protéger.

Maître MARTIN, avocat de partie civile

La logistique du génocide avait pour but qu’il n’en reste plus aucun. L’accusé ne conteste pas le génocide mais son implication. L’accusé possède des amitiés, embarrassantes : Il est ami avec le premier ministre génocidaire, Mr Jean Kambanda. L’accusé dit ne pas connaître le positionnement de celui-ci. Il est ami avec le ministre de l’Agriculture Straton Nsabumukunzi. L’accusé dit qu’il n’est pas réellement ministre, parce qu’il n’a pas prêté serment et qu’il ne connaissait pas les tendances génocidaires du parti politique. Tandis que ce même homme a pu fuir en Belgique en qualité de ministre. Ils fuient quand ils comprennent que la bataille face au FPR est perdue. La remise de la clef du bureau à l’accusé est faite par Ruganzu qui est comme son frère Mambo, un grand tueur. L’accusé ne peut pas chercher à mettre à l’abri des Tutsi avec l’aide de leurs tueurs. L’accusé fait un glissement de sémantique ; les rondes deviennent des veillées ce qui sonnent plus chaleureux. Le bureau des secteurs devient un refuge temporaire Tandis que les victimes, elles le décrivent comme une prison, comme le couloir de la mort. L’accusé dit que les téléphones ne fonctionnaient pas. Il dit que son téléphone ne fonctionnait pas. Puis il dit que c’est le téléphone à l’international qui ne fonctionnait pas. Puis il dit qu’en fait il n’y avait pas de téléphone au bureau de secteur ; chose qui paraît impossible dans une structure administrative. De plus, il y avait des téléphones dans l’hôpital où il se rendait fréquemment.

L’accusé veut nous faire croire qu’il était coupé du monde ; lui qui était décrit comme ayant de l’intelligence pour analyser les situations. Il essaye de nous faire croire qu’il ne comprenait pas ce qu’il se passait. L’accusé à cette époque avait droit de vie ou de mort sur les Tutsi,  L’avocat illustre cela par différents témoignages : la responsable de la buanderie de l’hôpital disait qu’elle l’avait reconnu, quand elle était dans sa cachette, la voix de l’accusé dire « fuyez et ne laissez aucun Tutsi ». Elle est décédée au cours de l’instance.

Maître GISAGARA, avocat de la CRF (Communauté Rwandaise de France)

L’objectif de l’association est de réunir les Rwandais. Après le génocide, la lutte contre l’impunité du génocide a été ajoutée aux statuts de l’association.Ils ne veulent pas que la France devienne un refuge pour les génocidaires. Ils sont heureux de la légalisation, de la pénalisation de la négation du génocide.

Gaudiose la voisine de Munyemana dont le mari Tutsi a été tué. Elle parle des tractations observées chez l’accusé. La défense conteste qu’elle ait pu voir cela de chez elle. Cependant, une domestique travaillant chez l’accusé atteste sans équivoque qu’on pouvait voir de chez les voisins, ce qui se passait chez Munyemana. L’accusé fait preuve de mensonges et de mauvaise foi :

  • L’accusé qui est un intellectuel s’intéressant à la vie politique ne comprend pas que le gouvernement est responsable du génocide.
  • Il fait une motion de soutien gouvernement dans laquelle il reprend des rhétoriques qui accusent les casques belges de l’attentat du président de la République.
  • Il dit que le bureau des secteurs est un refuge temporaire alors que c’est le lieu de transit des Tutsi mis dans des convois pour être amené à leur mort.
  • L’accusé s’en remet au bourgmestre ne comprenait pas que celui-ci s’était mis au service du génocide. Et la liste est encore très longue.

La Défense, essaye de faire croire que le Rwanda est une dictature dans laquelle on ne respecte pas les droits de l’homme et où on torture les prisonniers, tout cela pour discréditer les témoignages des victimes. L’avocat cite les témoignages des juges des autorités françaises et belges des enquêteurs qui témoignent d’une réalité, tout autre, eux qui rapportent une expérience de terrain.

La défense voudra évoquer des témoignages basés sur des révélations secrètes, de complotistes notoires qui reprennent des rhétoriques anti-Tutsi qui ont été utilisés pour justifier la mise à l’écart et la mort des Tutsi ainsi que leur faire porter la responsabilité du génocide.La Défense choisit des personnes qui catégorisent les africains comme se bouffant eux-mêmes ; c’est eux qu’ils ont choisi pour vous expliquer le génocide. Ils vont aussi critiquer l’institution des Gacaca; Ce sont les mêmes tracteurs qui ne proposent jamais d’alternative. Cette institution était adaptée aux défis auxquels le Rwanda faisait face. C’était une justice faite pour éradiquer l’impunité et réconcilier les Rwandais. La vérité du génocide réside dans la mémoire des tueurs. Il a fallu pour certains leur offrir des réductions de peine, afin qu’ils puissent dévoiler la vérité. Il est évident que l’accusé est apprécié de ses collègues mais c’est aussi celui qui a soutenu le président de l’université de Butare, qui a soutenu le gouvernement de Jean Kambanda et la poursuite du FPR. Il est aussi celui à l’origine de la motion soutenant le gouvernement génocidaire Il est un intellectuel, ami du premier ministre mais il veut vous faire croire qu’il n’y a que lui qui n’a pas compris que le gouvernement mis en place avait pour but un génocide. Il veut nous faire croire qu’il ne parlait pas de politique avec son ami, premier ministre dans les temps particuliers dans lesquels se trouvait le Rwanda. L’avocat mentionne les dégâts physiques et moraux des victimes, la perte des leurs  et leurs corps non retrouvés.

Le génocide ne consiste pas seulement à tuer les victimes, mais ça va jusqu’à faire disparaître leur mémoire. La justice n’est pas pour la vengeance, mais les victimes en ont besoin pour se reconstruire. L’horreur de la Shoah en Europe, c’est cette même horreur, cette même tragédie que le Rwanda a connue. L’action de l’accusé rappelle les actions de Maurice Papon, qui a participé au décompte des juifs. L’accusé n’a pas une responsabilité aussi grande que celle de Papon mais il détenait la clé du bureau du secteur et il ne pouvait ignorer la réalité du sort des Tutsi. Pour avoir une place dans le nouveau gouvernement, l’accusé a dû comme Papon mettre la main à la pâte.

Avocat général, Monsieur BERNARDO, représentant l’accusation

Après avoir donné la définition du crime de génocide, « le pire des crimes, imprescriptible, un crime qui blesse l’humanité et qui mérite la condamnation à perpétuité », après avoir rappelé qu’un « crime non élucidé est une injustice, qu’un criminel non jugé, c’est également une injustice », le procureur général se tourne vers le banc des parties civiles et déclare « Je garde leurs témoignages et leurs souffrances au fond de mon cœur ». Et d’ajouter: « Sosthène MUNYEMANA a bien sa place dans le box des accusés et il faudra le déclarer coupable. »

L’accusé était qualifié par son entourage, comme un beau-père, un bon mari et un bon collègue. Il possède un clivage dans sa personnalité. C’est ce clivage qui permet de mettre de côté certains éléments de sa personnalité, ce qui est caractéristique des génocidaires.

L’avocat général mentionne un film sur le directeur d’Auschwitz, qui montre qu’on peut être un parfait mari et père tout en participant à des atrocités. En 1994, le journal télévisé français, mentionne à la fin, l’attentat du président de la République du Rwanda, puis une guerre civile et non pas un génocide. Ces 31 ans ont permis aux historiens de livrer un récit, de replacer le génocide dans l’histoire. On vous dira que le dossier manque de preuve, car des témoignages ne sont pas des preuves parfaites mais la preuve parfaite n’existe pas.

L’avocat vient démonter les arguments concernant les preuves parfaites en démontrant qu’elles sont faillibles. Il ajoute également que les criminels s’adaptent face à ces preuves pour les contourner. Les témoignages sont fragiles car ils sont affectés par les traumatismes, le temps qui passe et la vision des choses des victimes. Il précise que notre opinion et notre vision des choses face à un même évènement varient d’un individu à un autre.

Le travail de la Cour n’est pas de chercher la preuve parfaite, mais de savoir étudier les preuves, les unes par rapport aux autres et d’indiquer les témoignages. Un vrai témoignage est celui qui permet de voir les deux côtés d’une situation. La liste des témoins a permis de veiller à multiplier les points de vue par rapport au génocide. Le travail que doit effectuer la Cour est d’appeler l’intime conviction. L’avocat général précise qu’il est là pour rendre la justice, qu’il ne représente aucune partie, qu’il n’a aucun lien avec les différents gouvernements rwandais, que le seul lien qu’il possède est celui avec la justice. L’avocat général donne une définition de l’intime conviction à l’appui d’une expression anglaise qu’il interprète comme la vérité raisonnable. Le génocide est replacé dans le contexte du Rwanda.

L’avocat général cite plusieurs livres-œuvres qui ont apporté des idéologies qui ont influencé les évènements instaurant la séparation des ethnies qui s’est manifestée dans le gouvernement. L’avocat général vient porter des précisions sur la structure administrative et sur la structure politique qui ont été très utiles à la mise en place du génocide.  Un pays ne devient pas génocidaire du jour au lendemain, il y a toute une mise en place notamment le fait d’assurer la loyauté, d’avoir la structure et convaincre les intellectuels en leur assurant une place au pouvoir. L’avocat générale mentionne différents massacres qui ont mené aux génocides qu’il qualifie comme des tests du génocide. Il soulève la capacité de duplicité, du discours d’enfumage dont, ont fait preuve les autorités rwandaises et le gouvernement. Ce gouvernement qui, au travers des accords d’Arusha, se fait bien voir à l’international tandis qu’au niveau national, il perpétue des massacres. Le mouvement extrémiste ne naît pas en deux jours suite à l’attentat du Président. Il y a cette volonté de faire croire à chaque fois que le crime aux yeux du FPR, concernant le père de la nation et l’origine des tueries des Tutsi, de la mise en place directe des barrières. Il mentionne comment les systèmes de massacres, de barrières, de rondes, d’intervention de l’armée, la création des milices, la mobilisation des forces armées, tout ce qui a pu se passer dans les préfectures et dans les bureaux de secteur, se sont mis en place. Que cela n’était pas le fruit d’une fureur spontanée ou d’un hasard suite à l’attentat mais que c’est toute une planification. Il parle de l’instrumentalisation des structures administratives, de tous les outils mis en place pour l’extermination de l’ennemi. Il y a une lutte contre les satellites pour pouvoir maintenir cette bonne image auprès des États à l’international pour que les corps ne soient pas vus par les satellites, on regroupe les Tutsi dans les bureaux des secteurs puis tard dans la journée on les conduit devant les fosses là où on les tue.

Le génocide est organisé parce qu’on ne peut pas tuer sans s’entendre au préalable. De plus, le génocide c’est aussi le partage du butin pour cela une organisation est nécessaire.  À Tumba, on pousse à l’extrême de son efficacité, les rondes et les barrières. Parmi les 200 témoins entendus, il y en a 69 qui sont venus à la Cour pour un seul homme, Munyemana. L’avocat général évoque les 10 thématiques établies dans le dossier, il va aborder:

  • Barrières
  • Rondes
  • Clé du secteur

L’avocat général mentionne la réunion du 17 avril, comme le basculement des objectifs de sécurité en ceux de génocides. Il parle de la triangulation qui met constamment en lien Hutus, Tutsi et l’administration. Les Tutsi qui ont participé à cette réunion ont tout de suite décelé cette intention génocidaire. Jean-Marie, qui était un marchand Tutsi très riche a directement fui à cause de l’horreur de cette réunion. D’autres ont fui dans des champs de sorgho. Vincent Kageruka parle de l’évolution des changements de l’accusé, il parle de l’autorité que celui-ci incarnait, il a fui sous la pression du gouvernement.

L’avocat général cite plusieurs témoins qui ont assisté à la réunion ; ils attestent que l’accusé prend la parole sur Vincent en désignant les Tutsi comme ennemis, ils confirment que l’accusé voulait prendre le dessus. À la suite de cette réunion, il y a dès lors le changement des rondes de protection en ronde de chasse des Tutsi. Il y aura par la suite, plusieurs autres réunions et l’accusé affirme n’avoir participé qu’à trois de ces réunions. Un tueur témoignera que l’accusé lui a ouvert la porte quand il a porté huit Tutsi. Des comités secrets sont dénoncés. Il y a des réunions chez l’accusée. Gaudiose la voisine, entend et voit des réunions clandestines. L’accusé reconnaît la mise en place des barrières, mais il conteste celle de la vierge qui est proche du bureau de secteur et de la maison de l’accusé. La proximité de cette barrière permettait à Mambo d’aller chercher l’accusé pour qu’il les accompagne emmener les Tutsi dans le bureau de secteur. Gaudiose affirme les avoir vus. Ceux qui tiennent les barrières cherchent les instructions de l’accusé qui les accompagne au bureau avec des listes.

L’accusé ne confie pas la clé, il est toujours celui qui ouvre et qui ferme le bureau. Les rondes sont bien organisées. L’accusé se met à l’écart mais des témoins le situent non pas comme tueur, mais comme autorité qui permet la rapidité et l’efficacité de ces rondes. Vincent Kageruka a un témoignage fiable qui n’est pas entaché de vengeance sinon il aurait bien plus incriminé l’accusé. Les rondes mettent en évidence l’existence de listes qui ont été utilisées au bureau pour faire le tri des Tutsi. Cela est confirmé par beaucoup de témoignages, ainsi que celui d’auteurs du génocide condamnés en échange d’une réduction de peine pour leur coopération. Leurs témoignages sont tout autant valables. En France, il existe le statut du repenti qui permet la réduction de peine, lorsqu’un criminel coopère afin d’atteindre la vérité. L’accusé conteste le déroulement de la journée du 21 avril 1994. L’accusé a reçu le bourgmestre Kanyabashi à son domicile. Le conducteur du bourgmestre l’affirme ainsi que trois autres tueurs et d’autres témoignages. Le génocide était déjà en marche, il commence à ne plus y avoir de place dans les fosses. L’enjeu de cette réunion était de dissimuler les corps pour qu’ils ne soient pas vus à l’international, notamment par les satellites. La clé entre en possession de l’accusé d’après ce qu’il ait téléphoné, parce qu’il avait pitié des Tutsi.

Bwanakeye, conseiller de secteur, lui aurait remis la clé par un rapporteur. Le frère de Mambo dit que l’accusé est venu chercher la clé qui a été utilisée à plusieurs reprises par l’accusé sans délégation de la tâche à d’autres. Le but était d’entreposer les Tutsi et tuer les plus vaillants qui sont les hommes. L’accusé a une défense étrange, lorsqu’un témoignage manque un peu, il le remet en cause tandis que lorsque le témoignage est crédible, il l’admet. Le témoignage de Vincent est fiable donc l’accusé ne peut le remettre en question, ne peut le contester. Une rescapée du bureau qui a témoigné depuis les États-Unis, dit que l’accusé l’a sauvé en la laissant partir, elle et son père, et c’est dû à la qualité de son père qui était médecin, en leur disant qu’il ne survivrait pas dans tous les cas.

Le 14 mai 1994, l’accusé va à la conférence anti-Tutsi à l’université de Butare puis en rentrant de cette conférence, il enferme des Tutsi dans le bureau de secteur et le lendemain il participe à une réunion. Contrairement à ce que l’accusé a dit, il a eu une démarche active pour chercher la clé, il n’a pas attendu qu’elle lui soit apportée, il est allé la chercher lui-même. L’accusé dit que le nombre de Tutsi enfermés dans le bureau s’élevait à 40 personnes. Cependant c’était un endroit de plateforme logistique qui était vidé tous les jours donc il y a eu plein de victimes que les 40 dont l’accusé nous parle. L’avocat parle d’un certain Kerushya ? qui était Tutsi qui a été sauvé car il s’est rendu chez son voisin Munyemana. Les proches de l’accusé en attestent, des tueurs en attestent. Selon l’avocat général, il n’avait pas la volonté de le sauver, mais il dit aux militaires de ne pas le tuer pour ne pas salir chez lui.

L’avocat général mentionne un autre évènement où l’accusé, sauf quelqu’un, non pas par compassion, pas parce qu’il aime les Tutsi mais parce que l’accusé a une dette. L’avocat général cite plusieurs témoins à charge et à décharge dont les témoignages concordent. La Cour doit effectuer une appréciation de la fiabilité des témoignages, évaluer les motivations de différents témoins et mesurer la cohérence de leurs témoignages. Il y a une constance dans les témoignages qui ont été apportées par les différents témoins, tandis que l’accusé dit toujours de nouvelles choses qui s’adaptent. Mme Kamanzi Anne-Marie dit avoir attendu aussi longtemps pour témoigner car elle avait peur, elle voyait des personnes qui continuaient à vivre chez l’accusé et qu’elle recevait des menaces ; l’avocat général dit y croire. Aujourd’hui, elle témoigne, elle reconnaît l’accusé et elle dit qu’elle a la photo de celui-ci gravé dans son cœur. Des témoins fiables disent ce qu’ils ont vu et entendu. S’ils montaient, ils auraient bien plus incriminé l’accusé et lui aurait mis du sang sur les mains.

Concernant sa personnalité, l’avocat général n’a rien à dire, l’accusé est un personnage privé qu’il soit un bon médecin, un bon mari un bon père, l’avocat général n’en doute pas. L’accusé témoigne de la peur qu’ont ressentie ses enfants pourtant il reste au Rwanda donc c’est qu’il avait des choses à y faire. Au travers de ce procès, on voit bien que les témoignages ne sont pas contrôlables. L’avocat général relève les différentes phrases, provenant des témoignages, des témoins à charge, qui montrent de l’incohérence, des lapsus révélateurs, des mensonges de leur part. L’avocat général montre que des manipulations concernant les témoins finissent toujours par être révélées, il prend notamment, l’exemple du témoin Fabrice Ishimwe. L’avocat général mentionne les témoins inutiles, les témoins non crédibles, les témoins incohérents, les témoins dénués d’intérêt.

L’avocat général soutient que les mensonges ne résistent pas dans une cour d’assises, tout finit toujours par sortir. L’accusé s’est comporté d’une façon qui ne peut être que génocidaire ; l’accusé en tant que personnel médical, c’est que réunir des gens en mauvaise santé et dangereux mais il n’organise rien pour les Tutsi qui sont enfermés. Si l’accusé dit que la barrière de la vierge n’existait pas, alors, il aurait pu facilement emmener les Tutsi à son domicile. Les conditions de détention des réfugiés ne correspondent pas à un mouvement citoyen comme l’accusé le décrit ; il a été retiré aux réfugiés la possibilité de fuir, de s’échapper, l’accusé joue beaucoup sur les mots. Il était environ 300 mètres du bureau tandis que Ruganzu lui était à maximum 80 mètres du bureau donc celui-ci était plus à même d’aider les Tutsi. Pourtant c’est l’accusé qui le fait donc il devait y avoir un intérêt. Il cherche à réduire un maximum ses déplacements. Il dit qu’il est resté avec ses enfants chez lui. Pourtant, il suffit pour lui de parler au commerçant, il lui suffit d’allumer la télévision, d’écouter la radio mais selon lui il ne savait rien. Et pour lui au bureau de secteur, il n’y a que ce que lui il y faisait. Il n’avait pas accès aux informations, il ne se baladait pas.

Lorsque l’accusé fuit, il prend l’itinéraire des génocidaires et va au Congo ( ex Zaïre), puis attend pour pouvoir obtenir son visa faire son transfert en France alors que s’il n’avait rien à se reprocher, il aurait très bien pu aller se réfugier au Burundi, là où il avait de la famille. L’accusé dit qu’un complot est organisé par le régime de Kigali qui fait pression sur lui, qui crée une machination. Et cela soulève la vie de l’enquête, puisque en tant que procureur de la république, je passe mon temps dans l’instruction à faire le tri des faux documents, des charges qui ne sont pas suffisamment caractérisés. Ça arrive tout le temps et ce n’est pas un obstacle. L’accusé joue sur son appartenance au MDR Power, or c’est cela que se trouve l’intention des participer au génocide. Il signe la motion de soutien au gouvernement pour interpeller le président de la République concernant la sélection du premier ministre. L’accusé sort de la vie politique locale pour se soucier d’un problème national. Il joue encore sur les mots concernant les personnes qu’il soutenait, ces mêmes personnes qui ont été tuéesdans le génocide parce qu’elles gênaient.

L’accusé s’adapte car il est un peu coincé et dit que dans sa tête, il avait une autre idée. Cependant cette idée n’est pas documentée, donc on ne peut pas savoir aujourd’hui, il peut nous dire ce qu’il veut concernant ce qu’il pensait réellement au moment de la signature de cette motion. L’accusé maîtrisait la vie politique, ce qui lui permettait de donner son opinion. L’accusé conteste le fait d’avoir été militant politicien avec une autorité politique locale. Cependant, bien qu’il soit sans portefeuille ministériel, il a été une réelle autorité politique locale. L’avocat cite un évènement où la femme de l’accusé durant un meeting parlerait à voix haute et forte à la foule tandis que l’accusé avait le poing élevé, était habillé en noir et en rouge avec Hutu Power, inscrit sur son bras selon des témoignages. L’avocat général, parle du jeu politique et de la duplicité, des politiciens, notamment du président de la République.

L’avocat général termine en faisant un résumé des éléments les plus importants à retenir dont il a parlé précédemment. L’avocat général conclut que l’accusé a participé au génocide en plus d’en avoir été complice. Et pour cela, l’avocat général demande comme peine la perpétuité. Il explique notamment pour justifier cette peine que pendant toutes ces années, l’accusé a pu faire ce que les victimes n’ont jusqu’à présent pas pu faire, il a pu avoir une carrière florissante, il a pu fonder sa famille et élever ses enfants, il a pu arriver à la retraite. Tandis que pendant ces 31 ans les victimes, elles ont attendu que la justice soit rendue au point que certaines sont mortes avant. Il ajoute également que du point de vue judiciaire pour un homicide, une personne en France écope de 25 ans de prison, donc pour une personne qui a commis un génocide ayant tué des milliers de personnes, il serait inconcevable d’avoir une peine semblable ou moindre.

Carla-Ylan Doualla-Esso, Étudiante.

 

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