Compte-rendu audience du mercredi 22 octobre, après-midi, Jour 26
Cet après-midi est consacré à la plaidoirie de la défense
L’audience reprend à 14h30 avec la plaidoirie de Maître Bourg, avocate de la défense.
Maître Bourg commence sa plaidoirie par une longue introduction rappelant à la cour la notion de compétence universelle et tout ce qu’elle permet.
Elle ajoute que ce qui se joue aujourd’hui doit suivre « une démarche de vérité, de justice […] c’est à vous seul qu’appartiendra la lourde tâche de juger Sosthène Munyemana.» Elle rappelle également la présomption d’innocence qui doit être appliquée à Monsieur Munyemana avant de poser la problématique suivante : « Comment juger avec les difficultés que posent cette justice universelle ? ». La première difficulté soulevée par Maître Bourg concerne le facteur spatio-temporel. Les faits se sont passés au Rwanda, il y a 30 ans et les juges ont donc dû faire face à une langue et des autorités étrangères. Elle qualifie le génocide de « personnage central » qui bouleverse tout sur son passage et insiste sur la nécessité et l’importance de s’extraire de nos habitudes pour juger la situation. Afin de justifier les actions reprochées à Monsieur Munyemana, Maître Bourg s’appuie sur les paroles de Josépha Mujawayezu « Quand on est dans la survie on ne réfléchit pas, on est content quand le jour se lève et qu’on est en vie » et suppose donc que Monsieur Munyemana se sentait menacé. La deuxième difficulté soulevée par Maître Bourg est le facteur diplomatique et géopolitique. Elle mentionne les relations « houleuses et en dent de scie » entre la France et le Rwanda et dénonce l’impact que cela a pu avoir sur l’enquête.
Le facteur politique rejoint les deux précédentes difficultés. Maître Bourg parle en effet d’un régime autoritaire qu’elle qualifie de dictature et qui entraînerait des pressions sur les témoignages. Afin de justifier ses propos, elle s’appuie sur le témoignage de Stephan Smith ( connu pour négationnisme). Enfin, la quatrième difficulté évoquée par Maître Bourg est le manque de preuves matérielles dans le dossier de Monsieur Munyemana.
Elle revient sur l’existence des deux lettres dont celle du 16 avril 1994 où Sosthène signe une motion en soutien au gouvernement alors en place. Maître Bourg estime que les intentions génocidaires pouvant être tirées de ces documents sont « faibles ». Elle argumente en précisant que, de tous les signataires de la lettre, Monsieur Munyemana est le seul poursuivi en justice. D’après elle, le fait que la procédure judiciaire repose majoritairement sur des éléments testimoniaux est une fragilité. Elle insiste sur la nécessité d’avoir des éléments concrets pour condamner quelqu’un à perpétuité comme cela a été requis contre Sosthène Munyemana. Elle souligne également l’âge de Monsieur Munyemana pour qui, la peine de perpétuité « reviendrait à une condamnation à mort ».
Madame Bourg revient ensuite sur ce qu’elle qualifie de « combat judiciaire qui a duré 30 ans». Elle revient sur l’origine de la poursuite et la première plainte déposée en octobre 1995 qui, d’après elle, repose sur un « rapport bidon » de la gendarmerie de Kigali. Elle dénonce ensuite « une technique de dénonciation commune » observée selon elle dans un rapport de l’ONU attaquant d’abord Eugène Rwamucyo (condamné en octobre 2024 ) avant de dénoncer également les actes de Sosthène Munyemana, son acolyte. Maître Bourg revient sur les plaintes pour faux et diffamation de Monsieur Munyemana déposées contre ce rapport ainsi qu’à l’encontre d’une accusation d’un journal belge en août 1994.
Maître Bourg mentionne ensuite le déplacement de l’affaire de Bordeaux à Paris. La procédure judiciaire s’appuyant alors sur le rapport d’African Rights publié en 1996 et qui est à l’origine du surnom de Monsieur Munyemana dit le « boucher de Tumba ». Elle dénonce une récurrence des témoignages qui semble toutefois cohérente. On y retrouve en effet les mêmes témoins qu’en 1995 lorsque la première plainte a été déposée. Suivant toujours la chronologie des évènements, elle revient sur la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda entre 2006 et 2010 suite à l’enquête menée par le juge Bruguière (enquête ensuite invalidée par celle menée par les juges Trévidic et Poux). Maître Bourg insiste donc sur la tardiveté de la première venue de juges français en Rwanda, celle-ci ayant eu lieu en 2009, 15 ans après le génocide. Encore une fois, elle dénonce le gouvernement rwandais actuel, mentionnant des « lois sectarisme » qu’elle qualifie également de « lois liberticides, bâillonnants totalement la parole ». D’après elle, « aucun chercheur de renom n’a pu remettre les pieds au Rwanda » depuis que Filip Reyntjens (aussi accusé de négationnisme ) et André Guichaoua auraient été entravés dans leur enquête par le gouvernement.
Maître Bourg s’attaque ensuite au CPCR, qu’elle qualifie « d’association d’État », liée à Paul Kagame. Elle avance que l’association récolte des témoins en collaboration avec ce dernier et qu’ils auraient un accès privilégié au terrain et détenus. Elle plaide également que l’association exercerait une influence dans le choix des interprètes qui eux-mêmes influenceraient les témoins. Elle remet par ailleurs en doute la traduction de deux auditions réalisées par Madame Gauthier, membre du CPCR. Maître Bourg revient de nouveau sur les difficultés liées au transport tardif des juges sur place. Aucune topologie des lieux et aucun plan existe avant 2011/2012 dit-elle. Aussi, revenant sur les témoignages, elle souligne l’absence d’interrogatoires de protagonistes hauts placés dont ceux de Jean Kambanda, premier ministre durant le génocide ainsi que celui de Straton Nsabumukunzi alors ministre de l’agriculture, tous deux proches de Monsieur Munyemana .
Maître Bourg, s’appuie ensuite sur le témoignage de Patrick Gérold et remet ainsi en doute les témoignages des victimes. Elle estime ces-derniers comme étant une source faible pour savoir ce qui s’est passé notamment en l’absence des paroles des protagonistes mentionnés précédemment. Elle évoque les paroles de Monsieur Gérold, qui parlait de propagande contre les intellectuels Hutu vivants à la fin du génocide argumentant que les liens entre Jean Kambanda et Monsieur Munyemana ont renforcé cette suspicion.,
Elle parle également de la nécessité ressentie par les victimes de trouver des responsables et déclare qu’« on ne condamne pas un homme sur la souffrance des autres ». Elle avance également que les victimes venant témoigner bénéficieraient d’un « totem » de vérité. Maître Bourg remet également en cause le système judiciaire rwandais ainsi que la difficulté à faire venir témoigner des témoins pour la défense. Ces derniers seraient alors en danger et menacés par les autorités rwandaises. Continuant sur la remise en cause des témoignages des victimes, elle argumente que ces derniers pouvant assister à toutes les audiences, il est alors possible pour eux de répéter la même histoire. Elle continue sa plaidoirie en revenant sur les accusations de racisme et de négationnisme visant les témoins de la défense déclarant notamment qu’il est d’après elle, dommage et étrange de ne pas considérer leur paroles comme des paroles crédibles.
Elle conclut sa plaidoirie en démentant les accusations de clivage portées à l’encontre de Sosthène Munyemana. Maître Bourg dit connaître l’accusé depuis 30 ans et déclare qu’il fait tout l’inverse d’une adaptation de discours. Au contraire, elle déclare que ce dernier raconte tout, même ce qui ne lui est pas favorable, tel que les visites de Jean Kambanda à son domicile. Elle le présente comme un homme vivant jour et nuit pour son dossier et ajoute qu’avant 2023 il n’avait jamais fait de détention provisoire et que celle-ci était seulement due à une « décision scandaleuse ». Elle cite ensuite l’Article 304, du code de procédure pénale déclarant que « l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ». Enfin, elle déclare que « s’achève pour nous 30 ans de combat judiciaire […] je vous confie Sosthène Munyemana, […], vous le jugerez et vous le quitterez ».
L’audience est suspendue à 15h45 et reprend à 16h15 par la plaidoirie de Maître Lurquin.
Tout comme Maître Bourg, Maître Lurquin revient sur l’âge de Monsieur Munyemana et la peine de réclusion à perpétuité sollicitée. Il rappelle également que ce n’est pas le génocide qui est jugé ici, et qu’acquitter Monsieur Munyemana ne revient pas à acquitter le génocide. Tout au long de sa plaidoirie, il s’interroge sur l’intention génocidaire de Sosthène Munyemana et la manière de la mesurer. Pour prouver celle-ci, dit-il, l’intention de Monsieur Munyemana doit être démontrée tout comme sa volonté d’anéantir tout un groupe (ici, les Tutsi). Maître Lurquin cite alors l’accusé disant que la phrase « on peut s’opposer sans s’exposer » s’applique parfaitement à la situation de Sosthène Munyemana lors du génocide et que cette opposition peut alors même passer pour de la complicité. Il revient ensuite sur la participation de Monsieur Munyemana aux « rondes de sécurité ». En s’appuyant sur un témoignage, il cherche à démontrer que sa participation ne veut pas dire qu’il supportait les massacres mais simplement qu’il ne pouvait convaincre tout le monde de ne pas y participer. Tout comme Maître Bourg, il remet en doute les paroles des témoins insinuant notamment que le nombre de victimes mentionné change à chaque fois. Maître Lurquin évoque ensuite la recherche de sens nécessaire pour expliquer les actions de Monsieur Munyemana. Il déclare que ce n’est pas parce qu’on enfermait des personnes dans le bureau communal que le but était de les tuer. De plus, il utilise la femme de Sosthène Munyemana comme un argument « Sa femme étant Tutsi croyez-vous vraiment qu’ils auraient pu alors tuer des Tutsi ». Il mentionne notamment les lettres de l’accusé écrite à sa femme pendant le génocide et relues à la cour dans la matinée. Monsieur Munyemana y écrit notamment être heureux que sa femme ne soit là pour voir les évènements.
Maître Lurquin évoque la notoriété de Sosthène Munyemana. Il dresse un portrait positif de l’accusé, il mentionne ses études en France, sa carrière exemplaire en tant que médecin mais aussi en tant que professeur à l’université de Butare. Il ajoute par la suite que Sosthène Munyemana était seul avec ses enfants durant le génocide ce qui ajoute à sa responsabilité familiale. Il précise que Monsieur Munyemana était connu de par sa position de médecin mais qu’il n’a jamais cherché à obtenir du pouvoir. Il ajoute que malgré son adhésion au parti MDR et au centre culturel des intellectuels de Butare il n’a jamais eu aucune position ethniste ou extrémiste mais était plutôt modéré.
Il revient sur les intentions génocidaires imputées à Sosthène Munyemana et déclare que la motion du 16 avril 1994, diffusée sur Radio Rwanda n’est pas un élément suffisant pour prouver celle-ci. De même que posséder les clefs du bureau de secteur et participer aux réunions de ce même secteur ne démontrent pas forcément, d’après lui, d’une intention génocidaire. Maître Lurquin compare la situation de Sosthène Munyemana à celle représentée dans le film Liste de Schindler ainsi qu’àcelle retrouvée dans Hotel Rwanda où les protagonistes protègent respectivement des ouvriers juifs et des Tutsi. Il termine sa plaidoirie par la mention de l’expertise et les examens psychiatriques effectués par Sosthène Munyemana. Maître Lurquin argumente ainsi que l’accusé ne souffre d’aucune pathologie et qu’aucun danger de criminalité n’a été démontré. Il qualifie cela de « fait rare vis à vis de ce qu’on lui reproche ». D’après lui, l’expertise psychologique vient également contredire les accusations de clivage porté par l’avocat général.
Maître Lurquin utilise un argument similaire que celui évoqué précédemment avec sa femme, il s’appuie cette fois sur le témoignage de Béata, une femme Tutsi que Sosthène aurait aidé à accoucher. Ainsi, dit-il, « il ne peut pas en même temps être génocidaire alors qu’il a fait naître un Tutsi ».
Maître Lurquin conclut sa plaidoirie en déclarant à la cour « Vous ne jugez pas le génocide, les auteurs ont déjà été jugés et beaucoup ont été acquittés alors qu’ils occupaient des positions plus importantes [que l’accusé…] Personne n’a pu montrer ses intentions génocidaires, seulement sa passion pour son métier ». Afin de défendre le lien entre Jean Kambanda et Sosthène Munyemana, il décide de s’appuyer sur les propos de Gérald Darmanin à l’égard de Nicolas Sarkozy récemment incarcéré : « L’amitié c’est l’amitié, la politique c’est autre chose ». Enfin, il revient sur le témoignage de Liliane, la fille de Monsieur Munyemana qui a raconté la manière dont un milicien l’avait fait sortir de la voiture à une barrière en la qualifiant de « belle Tutsi ». Elle avait déclaré que son père avait été pétrifié par la scène et n’avait pas agit, Maître Lurquin explique donc que « s’il était génocidaire il n’aurait pas été pétrifié ». Maître Lurquin demande d’acquitter Sosthène Munyemana. Le président de la cour conclut l’audience du jour et présente le programme de la journée du jeudi 23 octobre.
Nina BUGNOT- APPINO, Etudiante

