Compte-rendu de l’audience de mercredi 24 septembre 2025, Jour 7
L’audience commence à 14h par la comparution de Mr Anaclet Dufitumukiza, témoin, ex. gendarme et chauffeur.
Le témoin s’est premièrement présenté à la Cour et a exposé ce qu’il savait sur Sosthène Munyemana. Anaclet Dufitumukiza est né en 1963 au Rwanda et est devenu gendarme à 21 ans. Il indique avoir toujours été témoin de la division ethnique qui existait. A cause de ses fonctions, il a habité dans plusieurs lieux et a déménagé à Butare, Tumba en 1992. Il habitat alors à 100 mètres du domicile de Sosthène Munyemana et à 50 mètres du Bureau de Secteur qui a servi de lieu d’enfermement pendant le génocide. Il affirme avoir déjà bu des verres avec l’accusé dans des bars et avoir fréquenté son entourage, universitaires pour la plupart, qui montraient ouvertement leur haine des Tutsi. Il a ensuite indiqué que durant le génocide, Sosthène Munyemana faisait partie d’une équipe de génocidaires qui avaient des fonctions d’autorité à Tumba. Ce commandement faisait tuer des Tutsi et violer des femmes avant de les tuer. Anaclet Dufitumuzika a également affirmé que le génocide avait été préparé en amont par des élites, dont faisaient partie Sosthène Munyemana.
Pour attester de la participation de Sosthène Munyemana à ce commandement, Anaclet Dufitumuzika a expliqué qu’il avait recueilli une femme Tutsi qui avait supplié le gynécologue de l’aider et que ce dernier l’avait laissé attendre sa mort. Pour le témoin, cela est extrêmement significatif : Sosthène Munyemana avait un pouvoir de vie ou de mort. Il affirme également que ce dernier enfermait des Tutsi dans le Bureau de Secteur, notamment un membre de sa belle-famille. Durant cette période et malgré le fait qu’il faisait partie du corps militaire, Anaclet Dufitumukiza explique qu’une terreur régnait et que les autorités n’étaient pas réellement puissantes face aux génocidaires. Afin de sauver les personnes enfermées au sein du Bureau de Secteur, il envoyait des enfants leur apporter de la nourriture que sa femme préparait. Ces enfants ont été découverts, enfermés, libérés puis tués.
Le jour du départ de Sosthène Munyemana, Anaclet Dufitumukiza était présent. Il raconte que ce dernier était entouré de gendarmes qui avaient participé au génocide et qu’ils parlaient des massacres. C’est à partir de ce moment-là que le témoin a commencé à penser que Sosthène Munyemana avait pu avoir un rôle d’autorité au sein du groupe génocidaire.
Après cet exposé, la Cour a posé plusieurs questions à Anaclet Dufitumuzika concernant 4 domaines : sur son histoire personnelle, sur Tumba, sur le génocide et sur Sosthène Munyemana. En ce qui concerne l’histoire personnelle de Anaclet Dufitumukiza, la Cour a d’abord demandé au témoin quelle était son ethnie et quelle était l’ethnie de ses parents. Les papiers d’Anaclet Dufitumukiza présentent la mention Hutu mais ces deux parents étaient Tutsi, ils avaient trouvé refuge au sein d’une famille Hutu lors de violences ethniques en 1959. Cependant, lors de son audition auprès des enquêteurs français le 23 juin 2011, il avait affirmé que ses deux parents étaient Tutsi mais qu’il avait dû dissimuler ce fait pour son entrée au sein de la gendarmerie. Anaclet Dufitumukiza a confirmé cette version. La Cour s’est ensuite interrogée sur ses activités de gendarme et Anaclet Dufitumukiza a répondu qu’il était chauffeur pour la gendarmerie à Butare en 1992 mais qu’il avait bien le statut de gendarme. Le témoin vivait en famille à Butare en 1994 avec sa femme enceinte qui elle était Tutsi, ses deux enfants. Il a réaffirmé habiter proche du domicile de Sosthène Munyemana et du Bureau de Secteur. La Cour lui a par la suite demandé s’il était adhérent à un parti politique et si beaucoup de gendarmes avaient ce statut. Il a répondu qu’il n’était adhérent d’aucun parti mais que la majorité des gendarmes étaient dans la situation inverse. Enfin, la Cour l’a interpellé sur ses deux procès au sein des Gacaca et Anaclet Dufitumukiza a indiqué que dans les deux cas, il n’avait pas été condamné.
A propos de Tumba, la Cour s’est tout d’abord demandé quelles étaient les relations entre les Tutsi et les Hutu en 1992. Selon le témoin, la population de Tumba vivait bien, les relations étaient bonnes mais tout a changé avec l’apparition des partis power. Certes, avant leur apparition les tutsi étaient malmenés, notamment par certains gendarmes et collègues d’Anaclet Dufitumuzika mais en réalité toutes les personnes de Butar subissaient ce genre d’actes. Or, les partis power ont réellement changé les dynamiques relationnelles à Tumba. En répondant aux questions, Anaclet Dufitumuzika a indiqué que le pouvoir des autorités administratives avait était transféré de manière informelle au groupe de Sosthène Munyemana durant le génocide et que si le génocide avait commencé dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 à Kigali, il était arrivé à Butare dès le 8 ou le 9 avril 1994 et que les massacres suivaient un certain processus : rassembler les personnes, les désarmer, les affamer et les assoiffer puis les tuer.
Concernant le génocide, la Cour a d’abord demandé s’il y avait eu des échos des événements de Kigali du 6 et 7 avril 1994 à Tumba et quel moment avait constitué une bascule dans le village. Anaclet Dufitumuzika a alors soutenu que plusieurs réfugiés étaient arrivés à Butare entre le 7 avril et le 20 avril et qu’aucun n’avait quitté Butare après. Il a aussi affirmé que pour mettre en place le système génocidaire, le préfet avait été démis puis tué. Ensuite, le président est venu à Butare entre le 18 et le 19 avril pour dire que les Tutsi devaient être tués et le 20 avril 1994 au soir, quand des gendarmes et des militaires sont entrés dans la ville, les réfugiés ont été fusillés et les massacres ont commencé. Les gendarmes et les militaires ont continué à tuer jusqu’au 22 avril, à partir de cette date-là, les civils avaient pris le relai. Au début, les massacres étaient commis par les autorités qui ne savaient pas nécessairement qui était Tutsi. La Cour a donc demandé à Anaclet Dufitumuzika qui montrait les familles Tutsi aux autorités, mais le témoin ne savait pas.
Après, la Cour s’est interrogée aussi sur le fonctionnement des radios à Tumba lors du génocide. Selon Anaclet Dufitumuzika, RTLM et Radio Rwanda fonctionnaient très bien puisqu’une antenne était présente dans le village. De plus, il a indiqué que RTLM avait été instrumentalisée par le MMD, la CDR et les partis power pour propageait la haine et les gens l’écoutaient partout avec enthousiasme.
Puis, la Cour est revenue sur le génocide en demandant au témoin pour quelle raison le génocide s’était généralisé et s’il avait été planifié. Premièrement, Anaclet Dufitumuzika a affirmé que les tueries s’étaient généralisées car la haine des autres et les divisions ethniques avaient marqué le quotidien des Rwandais, notamment dès la petite enfance et l’école mais aussi pour ceux qui travaillaient en administration. A cause de cela, les élites se sont mises à donner l’ordre de tuer et d’aller piller les voisins pendant le génocide. Ainsi, selon lui, le génocide avait été préparé avec minutie, notamment par la CDR. Avant et même pendant les accords d’Anusha, les militaires avaient des propos haineux à l’encontre des Tutsi.
La Cour s’est ensuite penchée sur la violence du génocide et a demandé à Anaclet Dufitumuzika pourquoi les victimes qui suppliaient d’être tuées par balles avait été tuées par des armes comme des gourdins ou des machettes. Anaclet Dufitumuzika a réaffirmé que la haine à l’encontre des Tutsi était telle que le but était réellement de les faire souffrir le plus possible.
Enfin, on a demandé à Anaclet Dufitumuzika si les gendarmes avaient été un instrument du génocide à Butare. Il a répondu qu’il y avait eu trois catégories de gendarmes durant le génocide : des gendarmes profondément haineux qui tuaient, des gendarmes qui étaient indifférents et des gendarmes qui éprouvaient de la compassion. Il a précisé qu’au sein des militaires, il y avait eu les mêmes catégories.
A propos de Sosthène Munyemana, la Cour s’est d’abord penchée sur la possible existence d’un contentieux entre Anaclet Dufitumuzika et l’accusé. Cette éventualité étant vite évacuée, la Cour s’est demandé quelle était l’image de Sosthène Munyemana à Tumba et sur quel fondement le témoin pouvait affirmer que l’accusé était membre du parti MDR power. Le témoin a répondu que Sosthène Munyemana et lui étaient voisins et partageaient quelque fois des verres le soir. Cependant, si Sosthène Munyemana n’a jamais affirmé explicitement qu’il appartenait au MDR power à Anaclet Dufitumuzika, il l’a dit à d’autres personnes et le témoin a vu des gens se réunir dont Sosthène Munyemana. De plus, même s’il cachait son appartenance, il se vantait de participer à des réunions. Par la suite, la Cour a demandé au témoin de revenir sur ce qu’il avait dit aux enquêteurs français lors de son audition, à savoir la fois où il était entré chez Sosthène Munyemana. D’après lui, l’accusé avait réuni plusieurs personnes le 23 avril 1994, que des gendarmes, chez lui, leur avait servi des bières et annoncé avoir créé un comité de crise. Il a annoncé que les civils devaient se battre et a demandé aux gendarmes d’intervenir pour les aider, notamment étant donné qu’ils possédaient des armes dans le cadre de leurs fonctions. Quand la Cour a demandé des détails sur cet événement, Anaclet Dufitumuzika n’a pas pu répondre clairement, indiquant que s’il n’avait pas été victime directement du génocide, il avait tout de même ressenti ses effets et que ces derniers avaient pu altérer sa mémoire. Il n’a par la suite pas pu affirmer que toutes les réunions du comité de crise se déroulaient chez l’accusé mais a tout de même avancé le fait qu’il devait avoir un rôle de décideur puisque tout le monde savait qu’il avait un pouvoir de vie ou de mort. Après cela, la Cour lui a demandé de décrire en profondeur les activités de Sosthène Munyemana durant le génocide, notamment concernant les patrouilles et les barrières.
Dans un premier temps, le témoin a indiqué qu’il avait participé à des rondes mais qu’il était plus là pour superviser les opérations. Puis, la Cour lui a fait remarquer une contradiction entre ses dires du 24 septembre 2025 et ceux de 2011 devant les enquêteurs français. A ce moment-là, il a affirmé ne jamais avoir vu Sosthène Munyemana donner une instruction. Il a ensuite reconnu ne jamais avoir reçu d’ordre directement de l’accusé, même s’il a aussi soutenu avoir eu connaissance de gendarmes qui eux en avaient reçu et que dans la carence de l’État, cette dernière étant causé par le génocide, l’accusé avait tout de même tenté de mettre en place un comité qui avait pour but d’agir en tant qu’autorité. La Cour a ensuite cherché à avoir plus d’informations sur le Bureau de secteur et si les enfermements étaient à des fins de protection ou de mise à mort des Tutsi. Anaclet Dufitumuzika a d’abord indiqué que Sosthène Munyemana avait la clef du bureau et que donc il contrôlait les allées et venues en son sein. Après, il a soutenu que si Sosthène Munyemana avait soutenu qu’il souhaitait protéger les Tutsi en les enfermant, celui-ci faisait preuve d’un énorme cynisme et qu’il continuait les violences du génocide en se moquant des proches des morts par ces affirmations. Il a ensuite dit que le bureau ne comportait pas de toilettes, qu’il ne savait pas si les personnes emprisonnées étaient nourries mais que sa femme leur cuisinait des plats. Les personnes enfermées, qui étaient au nombre de 8, n’ont jamais été revues et leurs corps n’a jamais été retrouvés. Dans son expérience générale, aucun Tutsi qui se faisait enfermer ne survivait.
Enfin, la Cour a demandé à Anaclet Dufitumuzika si, à son avis, le génocide avait toujours lieu aujourd’hui au Rwanda. Le témoin a répondu que si à l’intérieur du pays, la situation était relativement stable et que le Rwanda appelle aujourd’hui son peuple à vivre ensemble en menant une politique qui prône le pardon, les pays limitrophes sont aujourd’hui en proie à plusieurs guerres à cause du génocide. Il pèse toujours une menace de génocide, certains militaires s’étant retirés dans les forêts, ne pouvant accepter de vivre avec les Tutsi, se préparant à revenir pour les exterminer. Anaclet Dufitumuzika a ensuite appelé la Cour à appliquer une punition exemplaire à Sosthène Munyemana afin que de telles erreurs n’aient jamais lieu de nouveau et qu’un exemple soit fait de son cas. Il a soutenu qu’un jugement de la Cour causerait in fine la fin et la mort de ses idées pour les enfants rwandais. Fin de l’audience d’Anaclet Dufitumukiza.
Témoin numéro 2
Le témoin peut raconter ce qu’il s’est passé en 1994 mais ne souhaite pas que ces paroles soient rapportées dans la presse. Lorsque le Président lui annonce qu’il ne peut pas accéder à sa requête, mais que son avocate peut porter sa voix, elle répond qu’elle n’a pas le droit au silence et qu’elle ne peut pas se taire.
Gwenola Augusto-Sciama, Étudiante