Le Dr Sosthène Munyemana, le 7 octobre 2010 au palais de Justice de Bordeaux.. © AFP

Compte-rendu du Jour 5, lundi 20 novembre 2023

La deuxième semaine du procès Munyemana débute ce lundi 20 novembre. Monsieur le président Sommerer informe la Cour que Madame Husson, sensée témoigner ce matin ne pourra pas venir aujourd’hui. Son audition sera reprogrammée pour la semaine du 4 décembre. Monsieur le président demande donc à Monsieur Munyemana s’il souhaite réagir sur le résumé du rapport Butare, préfecture rebelle, par André Guichaoua qui été lu la semaine passée. Monsieur Munyemana prend la parole pour dire qu’en réponse à la publication d’ouvrages d’André Guichaoua, il lui a adressé deux lettres pour lui demander de rectifier des erreurs le concernant notamment sur sa préfecture d’origine, puis pour contester qu’il aurait financé l’initiative génocidaire d’auto-défense pendant le génocide. Monsieur Munyemana ajoute que les informations utilisées par Monsieur Guichaoua pour écrire plusieurs de ses ouvrages sont issues du Réseau documentaire international sur la région des Grands Lacs africains. Il précise que James Vuningoma a fait partie de ce réseau. C’est la personne qui serait, selon Monsieur Munyemana, à l’origine d’un complot contre lui

Monsieur le président procède ensuite à la lecture de la motion de soutien au gouvernement intérimaire rédigée par le Cercle d’Intellectuels du MDR de Butare dont Sosthène Munyemana faisait partie pendant le génocide. Cette motion exprime clairement le soutien des membres de ce cercle à la politique du gouvernement en place, elle se montre très critique à l’égard du FPR mais reste assez ambiguë sur certains points notamment en ce qu’elle condamne de manière générale les violences aveugles. Elle appelle à la négociation en disant que le Rwanda était jusqu’alors connu pour « son calme légendaire ». Interrogé sur cette motion, Monsieur Munyemana dit qu’elle avait pour but d’appeler au retour de la MINUAR et de la paix. Il affirme que quand le cercle a écrit cette motion, c’était le 16 avril 1994 et à ce moment, le gouvernement avait mis en avant des objectifs qui allaient dans ce sens. Il affirme également que malgré les communications du gouvernement publiées les 12 et 14 avril appelant aux massacres, personne ne savait au sein du cercle que Jean Kambanda était passé du côté du MDR power. Monsieur Munyemana soutient qu’il pensait que des divergences pouvaient exister entre lui et le reste du gouvernement qui était un gouvernement de coalition. Monsieur le président demande à l’accusé pourquoi la motion est si sévère à l’égard d’une faction belge de la MINUAR. Il admet que cette partie de la motion concernait le général Dallaire, qui dirigeait la MINUAR, jugé trop favorable au FPR par les extrémistes Hutu. Monsieur le président demande ensuite à Monsieur Munyemana si ça n’a pas de lien avec le fait que ces mêmes extrémistes accusaient la Belgique de l’attentat contre le président. Il répond que non. Monsieur Munyemana était vice-président de ce cercle qui était composé d’une trentaine de personnes. Il assure que la motion, qui a été diffusée sur Radio Rwanda, était destinée aux Nations Unies, et aux pays occidentaux, la France, la Belgique, le Canada, l’Angleterre. Cependant selon l’accusé, elle n’était pas adressée au gouvernement, et il ne sait pas comment la motion s’est retrouvée diffusée à la radio. La Cour s’étonne qu’il soit possible de publier une lettre en l’adressant à la communauté internationale sans vouloir pour autant qu’elle soit lue par le gouvernement en place. Madame la juge assesseur s’étonne également que Monsieur Munyemana ait pu participer à la rédaction d’une motion soutenant le gouvernement alors que des massacres avaient déjà commencé partout dans le pays et qu’environ 20 000 déplacés ont été recensés à cette période. Ce à quoi Monsieur Munyemana répond en disant qu’ils obtenaient des informations au hasard des rencontres et qu’elles étaient antérieures au 16 avril comme c’était le cas du communiqué des Forces armées rwandaises du 12 avril qui demandait un cessez-le-feu. Il ajoute : « quand les gens passent en fuyant, c’est discrètement, ils ne partent pas en masse »Suite à la diffusion de cette motion, Monsieur Munyemana affirme qu’il a reçu des menaces qui prenaient d’abord la forme de rumeurs, puis de menaces explicites au fur et à mesure qu’il sauvait des gens. Après cet interrogatoire, le documentaire « La marche du siècle », de 1994, est diffusé.

Après une suspension, Nous entendons Johan Swinnen, témoin cité par le pouvoir discrétionnaire du président à la demande de la défense. Monsieur Swinnen est aujourd’hui retraité. Entre 1990 et 1994, il était ambassadeur de la Belgique au Rwanda. Monsieur Swinnen commence son audition en nous référant à son livre qui raconte son expérience du génocide des Tutsi en tant qu’ambassadeur. À partir de 1990, il est contraint de demeurer un observateur neutre face aux différentes attaques et agitations. Il croit cependant en un processus permettant de faire la paix avec le FPR et en même temps de réformer le pays. Il tente donc tant bien que mal de lancer sa propre réforme de libéralisation. L’année qui a précédé le génocide a d’ailleurs connu des développements positifs : le multipartisme, la constitution, la promotion de la liberté de la presse, de la liberté d’opinion, la liberté d’association. Monsieur Swinnen explique que beaucoup de concessions ont été faites par le gouvernement pour intégrer le FPR au paysage politique. En réponse, le CDR est créé dans une volonté de contrebalancer ces dernières évolutions, et s’inscrit dans un mouvement de radicalisation de la population Hutu. Le témoin poursuit en disant que l’assassinat du président du Burundi Melchior Ndadaye a été un tournant. Il ajoute n’avoir jamais vu le président Habyarimana aussi désespéré et en colère que ce jour-là. Les négociations en vue des accords d’Arusha ont été rendues encore plus complexes par l’existence du réseau informel l’Akazu, existence qui selon le témoin, n’a cependant jamais été prouvée. Monsieur Swinnen ajoute que le président ne croyait pas vraiment dans les accords d’Arusha. Il n’aimait pas les concessions qu’il avait dû faire pour obtenir la paix. Au début du génocide, le double langage déjà existant, se généralise. Monsieur Swinnen dit avoir rencontré le gouvernement Kambanda quelques heures après leur serment, le 9 avril, à l’occasion d’une visite houleuse. Le gouvernement souhaitait que la Belgique soutienne leurs nouveaux projets. La Belgique, elle, demandait un appel à la paix et, en réponse au silence du gouvernement, a décidé de faire évacuer ses ressortissants. Il y avait à l’époque un débat qui commençait à se répandre concernant les responsabilités françaises et belges dans le génocide, mais aussi sur la responsabilité des Etats-Unis qui avaient des intérêts économiques dans ces conflits. Monsieur Swinnen ressentait un sentiment anti-belge. Monsieur le président demande au témoin si le gouvernement intérimaire était Hutu power, il répond que des éléments au sein du gouvernement l’étaient mais que c’était difficile à évaluer. Il avance ce n’était pas tant un gouvernement qui portait les massacres mais plutôt un gouvernement qui ne déployait pas tous les efforts pour les arrêter et qui n’avait pas suffisamment d’emprise sur l’armée. Monsieur Swinnen soutient qu’il ne faut pas oublier de parler des massacres du FRP commis sur des Hutu mais aussi sur des Tutsi puisqu’à son avis, on n’en parle jamais. Monsieur Swinnen a quitté le Rwanda le 12 avril. Les Hutu extrémistes accusaient la Belgique de soutenir indirectement le FPR. Monsieur Swinnen affirme que selon lui, elle a en effet, été trop partisane. Maître Dupeux, pour la défense, demande au témoin de confirmer que le MDR, parti de l’accusé, était favorable aux accords d’Arusha et qu’il a fait l’objet d’une scission après la mort du président burundais, ce que le témoin confirme. Il le questionne ensuite sur l’orientation de l’ancien Premier ministre Dismas Nsengiyaremye que vous avons entendu la semaine dernière. Monsieur Swinnen avance qu’il n’était pas dans une mouvance power radicale. Quand il est interrogé sur le rôle de la Belgique par les parties, il explique que la Belgique avait déjà reçu des critiques des partis extrémistes avant le génocide parce qu’elle avait stoppé dès le 1er octobre les fournitures d’armes. De nouvelles critiques sont apparues pendant et après le génocide. Monsieur Swinnen admet que des erreurs ont été commises en effet et que la communauté internationale porte aussi des responsabilités, mais il ajoute que « Les premiers coupables se sont les rwandais ». Il met en avant le fait que la Belgique a tenté de trouver des solutions pour les accords d’Arusha, qu’elle a travaillé vers l’intégration du FPR aux choix politiques et qu’elle a poussé pour obtenir des enquêtes à la suite de plusieurs violations des droits humains. Il ajoute enfin : « La Belgique n’a pas à rougir ».

Après cette audition, Monsieur le président fait la lecture des discours du président Sindikubwabo, du bourgmestre de la commune de Ngoma, Joseph Kanyabashi et enfin celui du Premier ministre Jean Kambanda, prononcés le 19 avril à Butare. La diffusion de ces discours a été considérée comme un tournant dans le début du génocide à Butare. Monsieur Munyemana réagit à cette lecture en disant qu’il avait entendu des extraits des discours du président et du bourgmestre, mais pas de celui de Jean Kambanda. Il reconnait qu’ils constituent des appels à débuter le génocide à Butare, même s’il considère que celui du bourgmestre, lui, était plutôt un appel à la paix.

Margaux Gicquel, Stagiaire à Ibuka France

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