Le Dr Sosthène Munyemana, le 7 octobre 2010 au palais de Justice de Bordeaux.© AFP

Compte-rendu du mardi 14 novembre 2023 Jour 1

Ce mardi matin s’est ouvert le procès de Sosthène Munyemana, médecin gynécologue au sein de la préfecture de Butare au moment du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994. Etant sous contrôle judiciaire, Sosthène Munyemana arrive libre dans la salle et l’audience commence. Les interprètes prêtent serment, l’accusé se présente à la Cour. Les jurés sont tirés au sort et prêtent à leur tour serment. Ils seront donc 6 jurés titulaires et 6 jurés suppléants. Puis, les conseils des parties civiles s’avancent tour à tour afin de réitérer la constitution de leurs parties civiles et de procéder à la constitution de nouvelles parties civiles. Lors de l’énumération des témoins et parties civiles appelées à témoigner durant ce procès, on apprend que plusieurs d’entre eux ne témoigneront finalement pas devant la Cour. C’est le cas notamment de Filip Reyntjens, politologue belge couramment cité par la défense.

Après une rapide suspension de séance, monsieur le président Sommerer procède à la lecture d’un résumé de la décision de mise en accusation de Sosthène Munyemana. Il commence par rappeler le déroulé de la procédure commencée le 18 octobre 1995 par une plainte déposée par cinq personnes devant le Procureur de la République de Bordeaux accusant Sosthène Munyemana de participation dans le génocide des Tutsi. Au terme d’une instruction ralentie par des difficultés diplomatiques et procédurales liées à la distance des lieux et témoins, Monsieur Munyemana est finalement accusé d’actes de barbarie, de génocide, de crimes contre l’humanité, et d’entente en vue de la préparation de ces crimes et de complicité de ces crimes. Monsieur le président résume ensuite le contexte national ayant conduit au génocide des Tutsi, puis le contexte local de la préfecture de Butare et du secteur de TUMBA. Il procède ensuite à la présentation de l’accusé et des faits dont il devra répondre tout au long de ce procès. Le juge d’instruction et la chambre d’instruction ont écarté la responsabilité de l’accusé concernant plusieurs faits dont sa participation dans les massacres sur la colline de Kabakobwa, à la préfecture de Butare, à l’église anglicane du secteur de Tumba, au Centre Hospitalier Universitaire de Butare, à l’Université Nationale du Rwanda et à l’abattoir de Butare. En dépit de ce non-lieu partiel, Sosthène Munyemana fait tout de même l’objet de nombreuses autres accusations. Il est donc accusé d’avoir contribué à l’organisation du génocide à Tumba en participant à des réunions et en mettant en place des barrières et des rondes, d’avoir détenu les clés du bureau de secteur de Tumba dans lequel étaient détenus et enfermés les Tutsi avant d’être transférés et tués par des miliciens, d’avoir participé aux rondes et barrières et enfin d’avoir soutenu le gouvernement intérimaire par la signature d’une motion de soutien au sein d’un groupe d’intellectuels. A la fin de cette lecture, monsieur le président laisse la possibilité à l’accusé de réagir. Celui-ci affirme qu’il donnera des précisions sur ces éléments au fur et à mesure.

La défense demande ensuite à prendre la parole afin d’effectuer des demandes à la Cour. Maître Dupeux commence par mettre en avant plusieurs singularités de l’affaire qui tendent notamment au fait que la procédure a été initiée par des documents falsifiés. Il est ici fait référence à un rapport du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies annexé à la plainte initiale qui s’est avéré être un faux. La défense poursuit en disant que les éléments à charge du dossier sont tous des témoignages peu fiables. Maître Dupeux explique à la cour qu’au cours des dernières semaines et aujourd’hui encore, de nombreuses personnes physiques se sont constituées parties civiles. La défense considère dès lors que certaines de ces parties civiles qui seront entendues en audience alors qu’elles n’ont pas été entendues par un juge d’instruction, leur audition constitue une atteinte aux principes d’égalité des armes et de droit au procès équitable. Les conseils de Monsieur Munyemana ajoutent que qu’ils n’ont pas eu les moyens de se rendre au Rwanda avant le procès. Ils demandent donc un complément d’information afin que soient interrogées ces parties civiles. Maître Dupeux va même jusqu’à affirmer qu’aucun fondement juridique ne permet de fonder légalement la constitution de nouvelles parties civiles au cours de l’audience. Du côté des parties civiles, maître Lindon prend la parole pour s’adresser aux jurés, elle leur explique que ces conclusions ont en réalité pour but d’instituer l’idée que les témoignages sont biaisés. Pourtant devant une Cour d’assise, c’est le principe de l’oralité des débats qui prévaut et qui permettra aux jurés de construire eux-mêmes leur conviction face aux personnes qui viendront témoigner devant eux. Ensuite, maître Lindon rappelle que la défense a, elle aussi, fait citer douze témoins qui n’ont pas été entendus pendant l’instruction. Les autres avocats des parties civiles viennent ensuite tout à tour expliquer à la Cour que le principe du contradictoire sera respecté puisque la défense pourra interroger les témoins cités pendant les audiences, comme le veut la procédure. Il est précisé que si certaines associations constituées parties civiles se sont rendues au Rwanda avant le procès, ce n’est pas dans le but collecter les parties civiles comme le prétend la défense, mais afin de connaître les lieux et leur typographie et d’entendre des rescapés qui ne pourront être entendus ou se constituer partie civile puisqu’une partie des faits initialement instruits ont fait l’objet d’un non-lieu. Les conseils des parties civiles précisent que rien n’empêchait la défense de se rendre également sur place. Maître Foreman ajoute également que la procédure pénale a toujours permis à des parties civiles de se constituer devant la Cour d’assise et ce, jusqu’à la fin des débats. Ensuite, c’est au tour du ministère public de s’exprimer sur les conclusions de la défense. Madame l’avocate générale précise que cette demande de la défense, qui impliquerait le report du procès, n’a pour but que de retarder la justice qui l’a déjà été à de maintes reprises. Le ministère public reprend aussi les arguments énoncés par les parties civiles sur l’état de la procédure pénale française concernant les principes d’oralité des débats et d’égalité des armes. Il rajoute enfin que les conclusions de maître Dupeux sont un moyen pour la défense de commencer à plaider sur le fond afin de placer un doute chez les jurés dès le début des débats. Après une suspension de 45 minutes, la Cour rend son délibéré et rejette la demande de la défense pour les mêmes raisons que celles avancées par les parties civiles et par l’accusation.

Vient ensuite le témoignage de Madame Sandra Attonaty, enquêtrice de personnalité. En 2016, Madame Attonaty a été chargée de retracer le parcours de vie de Sosthène Munyemana. Dans ce cadre, elle a entendu son épouse, ses enfants, et certains de ses anciens collègues et responsables en France. Madame Attonaty commence donc dans sa déclaration spontanée, à retracer la vie de l’accusé, de son enfance à Musambira jusqu’à sa vie en France en 2016. Elle explique qu’il a connu une enfance heureuse malgré quelques perturbations lors de la guerre civile de 1959. Sosthène Munyemana est issu d’une famille de classe moyenne Hutu. Il poursuit un cursus scolaire puis universitaire assez brillant en commençant des études de médecine à l’Université de Butare. En 1979, il fait connaissance de sa future épouse Fébronie Muhongayire qui elle, fait des études pour devenir assistante sociale. Ils se marient en 1979 et dans les années qui suivent naissent leurs deux premiers enfants pendant ce que l’intéressé décrit comme une période familiale heureuse. En 1984, Sosthène Munyemana est nommé titulaire à l’hôpital de Butare. Il aurait fait part à Madame Attonaty de sa conviction que lui et son épouse étaient espionnés par les renseignements rwandais, ce qui l’aurai poussé à accepter cette mutation. Après quelque temps à Butare, Sosthène Munyemana décide de commencer une spécialisation en gynécologie en France, à Bordeaux. Son épouse le rejoint en France après quelques mois et commence à son tour des études de sociologie en France. Le couple accueille leur troisième enfant. Après la fin de la spécialisation de l’accusé, la famille regagne le Rwanda et Sosthène Munyemana est recruté en tant qu’enseignant chercheur en gynécologie obstétrique à Butare. Environ un an après leur retour, des conflits éclatent et le couple adhère au parti politique le MDR. Quand le génocide commence en avril, Madame Muhongayire est en France. Pendant le génocide, Sosthène Munyemana confie ses enfants à des proches près de la frontière au Burundi. Au mois de juin, l’intéressé fuit le Rwanda et passe deux mois au Zaïre avec ses enfants et la fille de son ami Straton Nsabumukunzi, alors membre du gouvernement intérimaire, avant de rejoindre son épouse en France en octobre 1994. Une fois arrivée en France, la famille est réunie et reprend le cours d’une vie normale jusqu’au dépôt de la plainte en 1995. A la suite du début de cette procédure, l’intéressé perd son emploi et se voit refuser le statut de réfugié par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). De 2000 à 2016, il réussit cependant à travailler pendant plusieurs années en tant qu’interne.

Après quelques précisions demandées par Monsieur le président, le témoignage de Madame Attonaty s’achève et commence l’interrogatoire de personnalité de l’accusé. Monsieur le président Sommerer demande à Monsieur Munyemana s’il souhaite réagir à cet exposé le concernant, il répond qu’il souhaite exprimer sa compassion à l’égard des victimes du génocide. Monsieur le président commence à interroger l’accusé sur plusieurs aspects de sa vie. Celui-ci explique que lorsqu’il avait quatre ans, une maison de ses parents a été brûlée par une milice royaliste. L’intéressé apprend ensuite à la Cour qu’il avait été proche d’un de ses professeurs Tutsi tué pendant le génocide. Il précise comment et quand il a rencontré son ami Straton Nsabumukunzi par le biais de son épouse, puis il décrit les conditions de sa mutation à Butare avant de venir en France. En répondant aux questions de Monsieur le président, Sosthène Munyemana donne également des précisions sur les études et la vie professionnelle de sa femme, sur les différentes personnes Tutsi qu’il a connues dans son entourage et sur ses différentes expériences professionnelles.

Au sujet de ses fréquentations, il admet avoir été ami avec Joseph Hitimana alias Ruganzu, mais nie avoir été proche du conseiller de secteur, François Bwanakeye et avoir connu le conseiller de cellule, Gérard Simuhuga, alias Mambo. L’accusé admet difficilement avoir été une personnalité influente dans le secteur de Tumba que la population connaissait et écoutait. Monsieur Munyemana décrit plus amplement la nature de sa relation avec le premier ministre Jean Kambanda. Il dit à ce sujet qu’ils étaient amis mais qu’ils ne parlaient pas politique entre eux et que le ministre n’était venu le voir chez lui qu’une fois, le 19 juin 1994. Pourtant c’est l’accusé qui avait été chargé par le premier ministre de percevoir le loyer de sa propriété dans le secteur. Le président s’étonne que deux amis tout deux intéressés et impliqués en politique n’aient jamais parlé de politique entre eux et que l’accusé persiste à dire qu’il n’a remarqué la radicalisation de son ami que pendant le génocide. Concernant son implication au sein du parti le MDR, Monsieur Munyemana explique qu’il était seulement présent aux évènements dont la présence était obligatoire et qu’au moment ou le parti a été scindé entre les extrémistes Hutu et les personnes favorables au FPR, lui était resté dans une branche neutre du parti. Le président lui présente un document énumérant les différentes personnalités politiques du secteur et lui demande de situer politiquement chaque personne s’y trouvant. Monsieur Munyemana poursuit en décrivant sa participation au cercle des intellectuels du MDR de Butare, auteur d’une motion de soutien au gouvernement intérimaire pendant le génocide. Il explique alors qu’il ne partageait pas vraiment les positions de ce cercle et que d’ailleurs, ce cercle n’était qu’un groupe informel qui avait pour seul but de discuter et de réfléchir sur la vie du secteur. Le président lui fait remarquer que ce groupe d’environ quarante personnes était pourtant assez structuré puisque l’accusé était deuxième, puis premier vice-président du cercle qui était aussi composé d’un secrétaire et d’un trésorier. C’est au tour des parties civiles de questionner l’accusé, maître Foreman met Monsieur Sosthène Munyemana face à ses contradictions concernant ses implications politiques et celles des personnes du secteur de TUMBA qu’il a pu citer précédemment tel que Dismas Nsengiyaremye, ancien Vice-président du MDR.

Après une suspension de séance, la parole revient à Monsieur le Président qui questionne l’accusé sur sa vie pendant le génocide. Monsieur Munyemana explique que pendant le génocide, il restait chez lui, il s’occupait de sa maison et de ses enfants malgré la présence d’une domestique dans la maison. Il écrivait également un manuel sur la médecine obstétrique. Pendant cette période, il n’écoutait pas la radio puisqu’il captait seulement Radio Rwanda mais pas la Radio des mille collines. Il avait connaissance que c’était une radio raciste mais ne souhaitait pas l’écouter. Il dit avoir vu des réfugiés arriver de Kigali fuyant « la guerre ». Selon l’accusé, ces réfugiés étaient autant des Hutu que des Tutsi. L’accusé prétend enfin que d’avril à juillet, il n’a vu qu’un seul cadavre lors d’une ronde, mais rien de plus. A l’hôpital, il savait qu’il y avait des massacres mais n’a remarqué qu’une seule patiente Tutsi ayant disparu. Pendant ses trajets pour rendre visite à la famille de sa femme près de la frontière du Burundi, il voyait des barrières, mais pas de corps ou de tueries. Un commerçant Hutu, Bonaventure, connu comme un tueur très actif pendant le génocide, l’a aidé à traverser les barrières, mais Monsieur Munyemana n’avait pas connaissance de sa participation aux tueries. Il est 20h45, l’audience est levée.

Margaux Gicquel, stagiaire à Ibuka France

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