Compte-rendu du 25 septembre 2025 , Jour 8 , Après-midi

Début d’audience: Des quatre personnes prévues, seules trois passeront : le témoignage de Mme épouse Patureau est reportée à 11h le vendredi 26 septembre 2025.

  1. Prise de parole de la partie civile Mr Bigirande Jean de Dieu en kinyarwanda, 48 ans, informaticien à Kigali (RWANDA).

Déclaration spontanée : « J’avais 17 ans au moment des faits (avril 1994). Je viens ici vous dire que j’ai vu Sosthène Munyemana rendre possible le génocide des Tutsi dans la commune de Tumba. Je suis né à Tumba, tout comme mes parents. Toutes les personnes étrangères (au sens non originaire de la commune) qui s’installaient, nous, villageois, les connaissions. Des personnes de haut rang, médecins ou professeurs venaient à s’installer. Sosthène MUNYEMANA, gynécologue, est venu s’installer, tout comme M. RUGANZU, qui a construit une maison et a créé un bar. J’ai connu Sosthène MUNYEMANA dans le bar de M. RUGANZU, quand j’étais enfant. M. RUGANZU était sympathique, il nous laissait regarder la télévision. Je savais que M. RUGANZU aimait les enfants. Il avait cependant des problèmes quant à la conception d’un enfant. Je regardais la télévision directement chez M. RUGANZU avant qu’il ne l’installât dans le bar. Nous (NB : les amis de M. BIGIRANDE et lui-même) devions cependant payer des consommations quand nous voulions regarder la télé quand nous étions plus grands. Je venais regarder des matchs de football dans le bar de M. RUGANZU avec mes amis. M. Sosthène MUNYEMANA venait régulièrement au bar. C’était un modèle pour moi. Mr RUGANZU a, à la suite de l’introduction du multipartisme en 1991, rejoint le MDR. M. MUNYEMANA était également membre du MDR (NB : Mouvement démocratique républicain, parti fondé en 1991, considéré comme à droite avec des factions d’extrême droite, dissous en 2003). M. Siméon REMERA était quant à lui à la CDR (NB : Coalition pour la défense de la République, dissoute en 1994 pour son implication dans le génocide des Tutsi).   A Tumba, il y avait une bonne entente entre Hutu et Tutsi quand la CDR s’y est implantée. Je ne pensais pas que la CDR allait être si influente. Tout a changé lorsque s’est implanté le mouvement Power (NB : Hutu Power). En effet, à Butare, auparavant, alors que le PSD, le MDR et le PL étaient déjà implantés, il n’y avait pas tant de division. Mais dès 1993, avec l’arrivée de la mouvance Power, il y a eu un changement radical et de nombreuses scissions dans l’ensemble des partis politique. Il y a eu une radicalisation. Les vues de M. REMERA Siméon et M. MUNYEMANA Sosthène convergeaient. Nous fûmes au courant de l’attentat qui a tué le président Juvénal HABYARIMANA le 7 avril au matin sur la Radio Rwanda, qui émettait de 5h du matin à 23h du soir. Nous écoutions Radio Rwanda surtout pour la bonne musique qu’elle jouait, de la musique classique. Nous écoutions également la Radio de la CDR, laquelle émettait 24h/24. J’ai appris la mort du président à 7h du matin. Je m’apprêtais à aller à Kigali, car j’y étudiais et étais hébergé par ma sœur, laquelle y était installée avec son mari et ses enfants. Je ne plus guère me rendre à Kigali étant donné qu’instructions étaient passées, via Radio Rwanda, par les autorités de ne pas sortir de chez soi. Je suis donc resté à Tumba. En l’espace de deux jours (7-9 avril 1994) l’intégralité de la famille de ma sœur fut assassinée.  Nous avions peur mais nous ne pensions pas que les massacres pussent se répandre à Butare et ses environs étant donné qu’il y avait une bonne entente et un calme dans notre région. Dans des communes environnantes, lorsqu’il y a commencé à y avoir des incendies de maisons, nous sommes allés en groupe allés à la frontière (NB : limite administrative et non frontière à proprement parler) pour empêcher que des tueurs n’entrassent dans la commune. C’est ainsi que le 16 avril 1994, alors que nous étions en groupe pour barrer la route aux potentiels tueurs, nous avons croisé un convoi de militaires, lesquels ne portaient pas d’uniformes. Ils étaient munis de bidons d’essence et de fusils. Ces militaires nous ont d’abord félicités, pensant que nous « travaillions », c’est-à-dire que nous participions aux massacres. Cependant, ils ont remarqué James, un homme de grande taille de notre groupe et lui ont demandé s’il n’était pas Tutsi. James a répondu que si, il était bien Tutsi. Ils ont également posé la question à Jean, un membre de notre groupe, lequel a nié être Tutsi. Dès lors, ils ont pris leurs fusils et nous ont dit qu’ils allaient nous tuer. Ce fut ainsi que nous nous prîmes la fuite en courant chacun dans de son côté.

Depuis ce jour-là, les Tutsi et les Hutu du village se sont séparés. Le 17 avril (le lendemain), il y avait une réunion dans le village. Je n’y ai pas assisté, j’étais occupé. Montaient en voiture pour y assister, je les ai vus, Siméon REMERA, un responsable dénommé Mambo. Ils étaient accompagnés des deux enfants de M. RUHUNYAMUHETO. Il y avait également Venant, MANYENERI  et autres qui étaient toujours là à ce genre de réunions. Enfin, il y avait M. MUNYEMANA Sosthène.

Siméon REMERA et moi avions des propriétés « mitoyennes » (NB : elles ne l’étaient pas, ce point sera éclairci plus tard, elles sont voisines). Il avait deux garçons qui avaient à peu près mon âge. Un d’eux s’appelait Ritegu et était métis dont la mère était Russe. Il venait à la maison boire du lait caillé. Il nous a raconté le contenu des discussions qui étaient tenus chez lui : des listes de Tutsis à assassiner étaient dressées dans lesquelles figuraient les noms des membres de ma famille. On a donc pris soin de lui pour qu’il nous racontât tout. Ritegu nous a conseillés de fuir. Les femmes de notre famille (mères, grand-mère, etc.) se sont cachées dans les buissons, alors que nous étions chargés de vérifier s’il n’y avait pas de pillage. Les Hutu nous surveillaient aussi. Quand les Hutu se sont rendu compte que nous dormions plus chez nous, le responsable Mambo a convoqué tonton Raphaël car il pensait que c’était lui qui nous avait prévenus. Il l’a engueulé.

Pendant les quatre jours suivants, Sosthène se rendait chez Siméon REMERA. Ils préparaient le génocide à Tumba. Les Tutsi ne pensaient pas que leurs voisins pouvaient les tuer. Ritegu nous a prévenus que le 20 avril 1994 était la date à laquelle le génocide commencerait à Tumba. Toutefois, faute d’avoir pu récupérer des armes à la gendarmerie ce jour-là, les génocidaires recrutés ont dû attendre le 21 avril avant de commencer le génocide. Ils sont venus dans des véhicules pour nous attaquer. Nous étions à ce moment-là cacher dans les champs de sorgho derrière notre maison. Ritegu a poussé une clameur pour nous prévenir. Dès lors, nous sommes partis en courant dans une forêt en contrebas et les avons semés. Nous sommes revenus à la maison et avons vu ma mère, ma grand-mère et mes sœurs, en vie. Elles nous ont dit de quitter les lieux et avaient peur, sachant que M. KARANGANWA (un villageois Tutsi) avait été assassiné. Les tueurs ont en outre pillé les vaches et les ont ramenées au bureau de secteur. Nous (NB : les hommes de la famille, les femmes sont restées), sommes partis et avions pour but de fuir vers le Burundi. Avant de partir, nous voulions aller voir si les vaches se trouvaient au bureau de secteur. Sur le chemin, nous sommes passés devant le bar de M. RUGANZU. Nous y avons vu Sosthène et le reste de son groupe, armés en train de festoyer et boire. Ils tiraient des coups de feu en l’air. Nous avons continué notre chemin par peur d’être remarqués. En arrivant au Bureau de Secteur, nous avons vu les vaches mais impossible de les récupérer. Dès lors, nous avons fui et pris la route, à pied, jusqu’au Burundi. Le périple a duré deux semaines. Ce que je peux conclure, c’est que s’il n’y avait pas eu Siméon REMERA et Sosthène MUNYEMANA et l’équipe recrutée par leurs soins, il n’y aurait pas eu de génocide (NB : à Tumba). Ils ont eu un rôle actif et déterminant. »

Séance de questions-réponses :

Président de la Cour : Combien de temps avez-vous vécu à Tumba avant le génocide ? Y êtes-vous né ?

 M. Bigirande : Je ne suis pas né à Tumba mais au Burundi.

Président de la Cour : Quand y avez-vous emménagé ?

M. Bigirande : En fait, ma mère a accouché lorsqu’elle visitait des proches au Burundi, mais sinon j’ai toujours vécu à Tumba.

Président : Bien que ces assignations soient aujourd’hui contestées, au moment des faits, étiez-vous considéré Hutu ou Tutsi ?

M. Bigirande : J’étais Tutsi.

Président : À l’heure actuelle, vous revendiquez-vous Tutsi ?

M. Bigirande : Non, je ne suis pas Tutsi. La politique actuelle du gouvernement est de rejeter ces catégories. Nous sommes tous rwandais. Par ailleurs, Batutsi, Bahutu, c’étaient surtout des classes sociales.

Président : Avez-vous vu à un moment des faits vu l’accusé ?

M. Bigirande : Oui, j’ai vu M. MUNYEMANA chez Siméon.

Président : L’avez-vous entendu dire des propos indiquant la préparation du génocide ?

M. Bigirande : Non.

Président : Qui vous a donc informé de tels propos ?

M. Bigirande : Ritegu dont le vrai nom était KAMENYERA Eric. C’était un métis russo-rwandais.

Président : Qu’est-ce qui vous fait dire que Ritegu disait la vérité ?

M. Bigirande : Siméon REMERA était connu dans le village comme ayant des idées génocidaires. De plus, Sosthène MUNYEMANA avait des sympathies pour la mouvance Power. En outre, des gens (NB : des Tutsi) étaient tués partout dans le pays.

Président : Vous dites que vous aviez la radio. Étiez-vous au courant des évènements qui se déroulaient dans le reste du pays ?

M. Bigirande : Les Rwandais écoutaient au quotidien la radio. C’est une habitude.

Président : la Radio Rwanda et la RTLM (NB : Radio-Télévision Libre des Mille collines) fonctionnaient-elles ?  M. Bigirande : Radio Rwanda était présente dans quelque chose comme 98% du pays. Concernant RTLM, elle était également présente partout où Radio Rwanda était diffusée.

Président : Sur un autre sujet, quand avez-vous quitté Tumba pour aller au Burundi ?

M. Bigirande : Le 21 avril 1994 au soir.

Président : Vous étiez donc du 7 au 21 avril 1994 au soir à Tumba. Était-ce bien la nuit du 21 au 22 avril et non du 20 au 21 avril, que vous avez quitté la ville ?

M. Bigirande : Je confirme, le 21 au soir.

Président : Avez-vous assisté ou entendu parler de rondes, de barrières ou de clé du bureau de secteur ?

M. Bigirande : L’attaque était intervenue le 21 avril 1994, et ayant quitté la ville le soir même, je n’ai pas assisté à ces faits. J’ai vu Sosthène MUNYEMANA dans les réunions mais rien de ce qu’il s’est passé après le 21.

Président : et le 7 (NB : probablement la réunion du 17 avril, à vérifier), lorsque des barrières, censément pour protéger le village des attaques extérieures, sont mises en place. La réunion du bureau de secteur était-elle pour protéger ?

M. Bigirande : Non et c’est à ce moment que des meurtres ont commencé à avoir lieu. Des participants ont dit que les mots étaient durs et qu’il fallait fuir et nous ont dit de fuir. Mon frère a assisté à la réunion et en a été choqué. Mais je ne lui ai pas demandé de détails. Je ne sais pas.

Président : Qui est mort dans votre famille ?

M. Bigirande : Toutes les personnes restées au village. Seuls mon grand-frère et moi avons survécu. Ma grand-mère, ma mère, mes sœurs, mon oncle paternel ont été assassinés. Concernant les enfants de mon oncle paternel, un seul de ses cinq enfants n’a pas été tué lors du génocide. Presque toutes les personnes que je vous ai citées sont des femmes. Mon oncle Gaspard (NB : compléter avec son nom de famille) a tenté de se suicider.

Avocat de M. Bigirande  : du 7 au 21 avril, où se déroulaient les évènements dont vous parliez, concernant les personnes qui mettaient le feu à des maisons

M. Bigirande : à Mukoni, Sinikogabo se trouve à proximité, et à l’université. À Tumba, c’était calme.

*Est projetée la carte satellite D3403/5 de Tumba pour que M. Bigirande situe le bureau de secteur*

M. Bigirande : Moi j’habitais en bas à gauche (NB : de la carte), celle qui jouxte la maison de Remera Siméon (NB : lequel possédait deux propriétés, les maisons aux toits ocre et rouge)

Avocat de M. Bigirande  : Je veux faire remarquer à la Cour que Ritegu est mentionné dans le témoignage de Rukinga, un tueur incarcéré, qui est au dossier, D2315 et D2083. Je voulais par ailleurs demander à M. Bigirande ce qu’il attendait du procès.

M. Bigirande : C’est la première fois que je témoigne. Je souhaite mettre un terme à l’impunité des cerveaux du génocide, qui sont pour beaucoup libres et vivent tranquillement. Je veux dénoncer les gens importants que j’ai vues, comme Siméon et Sosthène.

Président : avez-vous des questions à poser M. l’avocat général ?

Avocat général : Oui, je voulais lui demander si son intérêt pour la politique est né avant ou après le 7 avril 1994.

M. Bigirande : Quand j’avais 11 ans, il y avait des meetings dans la commune. Mais ça ne m’intéressait pas, j’étais jeune. Mais étaient organisés des danses, des jeux en marge des meetings donc j’y allais. Après la naissance de la CDR et la tenue de meetings dans la région, en tant que Tutsi, je faisais plus attention. Nous prenions nos précautions, donc j’ai commencé à m’intéresser à la politique.

Avocat général : Vous dites que la mouvance Power a radicalisé le MRD, le PR et le PSD, pouvez-vous en dire plus ?

M. Bigirande : Avec les accords d’Arusha (NB : donc à partir de juillet 1992), nous pensions que la paix adviendrait. Lorsque, à partir de 1993, la mouvance Power émerge, on comprend qu’en réalité, la situation n’allait qu’en s’empirant.

Avocat général : Pourquoi datez-vous cette dégradation en 1993 ?

M. Bigirande : J’étais dans le secondaire, en 1993, donc à partir de 1993, j’étais à Kigali où je vivais chez ma sœur. Dès lors, j’ai remarqué la situation intenable dans la capitale. Nous recevions d’incessantes menaces, il y avait une véritable ségrégation. Je m’intéressais donc beaucoup plus à la politique.

Avocat général : en octobre 1993, M. KARAMIRA tient un meeting politique (NB : dans la région, le lieu précis n’est pas mentionné, probablement au dossier) qui visait unir les Hutu entre eux pour affronter les Tutsi. Avez-vous eu connaissance de ce rassemblement et de ses fins ?

M. Bigirande : J’étais dans le secondaire avec le fils de Karamira. Les enfants diffusaient, à l’école, les discours de leurs parents. J’étais donc au courant.

Avocat général : Vous avez parlé de Radio Rwanda. Diffusait-elle des informations concernant le génocide ? Des appels au génocide ?

M. Bigirande : Radio Rwanda ne diffusait pas sur le génocide. Seule la RTLM diffusait et pointait du doigt où se cachaient les gens (NB : les Tutsi persécutés). Ils donnaient les poisitions des personnes qui se cachaient de façon claire et identifiable.

Avocat général : Comment sûtes-vous la mort de la famille de votre sœur ?

M. Bigirande : Nous n’avions pas le téléphone à la maison à Tumba. J’ai voulu la contacter car il y avait régulièrement des menaces qui la visaient. Vincent Murekezi, notre voisin, avait le téléphone. Il nous a permis de l’utiliser, c’est comme ça que j’ai appris qu’on avait frappé à la machette ma sœur mais qu’elle n’était pas décédée et était alitée chez son voisin médecin, et que le reste de la famille avait déjà succombé. Ils n’ont pas pu se réfugier avant l’arrivée des tueurs.

Avocat général : Vous avez donc anticipé la gravité des conséquences à venir de l’attentat, n’est-ce pas ?

M. Bigirande : Comme j’ai vécu à Kigali, je savais.

Avocat général : Vous avez évoqué la réunion du 7 avril 1994 (sic : il s’agit toutefois probablement de celle du 17 avril). Y en avait-il aussi fréquemment auparavant ?

M. Bigirande : Des réunions pouvaient être convoquées mais c’était lorsqu’il y avait un évènement.

Avocat général : Le conseiller de secteur François M., sa femme était Hutu ou Tutsi ?

M. Bigirande : Je le connaissais bien. Il passait même chez nous. Mais son é- (la suite n’a pas été retranscrite).

Avocat Lévy (la défense) : C’est votre premier témoignage. Vous n’avez pas témoigné en première instance. Étiez-vous informé de l’enquête à l’encontre de Sosthène MUNYEMANA ?

M. Bigirande : je n’ai pas su à l’époque. C’est quand j’ai lu dans la presse qu’il était surnommé le Boucher de Tumba, je l’ai reconnu, mais je ne savais pas qu’il y avait une enquête sur lui.

Avocat Lévy : En quelle année avez-vous lu ?

M. Bigirande : En 2010.

Avocat Lévy : Quand les enquêteurs sont passés à Tumba, vous n’avez pas demandé à être entendu ?

M. Bigirande : J’ai quitté Tumba après mon retour au Rwanda. Je n’y suis jamais retourné. Je n’y ai plus aucun lien. Tous mes proches sont morts. J’ai appris qu’il y avait une enquête quand j’ai été contacté.

Avocat Lévy : Vous rendez-vous compte que vos propos interviennent 30 ans plus tard, sans enquête pour en éprouver la véracité ?

M. Bigirande : C’est ce que j’ai vécu. J’ai voulu le déclarer à la Cour. C’est à elle d’en apprécier la crédibilité.

Avocat Lévy : la veille du 17 avril, le préfet Jean-Baptiste Habyarimana a-t-il demandé qu’on tienne des réunions pour ériger des barrières et diligenter des rondes ?

M. Bigirande : Le préfet était Tutsi. On pensait que rien ne nous arriverait. Je n’étais pas aux réunions. Je n’en connais pas le contenu.

Avocat Lévy : Avez-vous vu Sosthène Munyemana tenir une réunion ?

M. Bigirande : Non, je n’ai pas dit ça. J’ai dit que j’avais vu Sosthène Munyemana plusieurs fois avec des personnes mal intentionnées.

Avocat Lévy : Où étiez-vous quand vous l’avez vu ? A la fenêtre de chez vous ?

M. Bigirande : M. Siméon REMERA n’avait pas d’accès à la route depuis chez lui. Ça a été nous qui lui avons donné l’accès. L’accès était donc notre terrain. Nous pouvions aller à proximité et voir jusque dans son salon.

Avocat Lévy : Vos maisons n’étaient donc pas mitoyennes ?

M. Bigirande : Le terrain était un champ de sorgho. On peut voir et passer.

Avocat Lévy : Les maisons étaient-elles mitoyennes ?

M. Bigirande : Je ne comprends pas le terme « mitoyen » (NB : problème de traduction).

Avocat Lévy : Étaient-elles « collées » ?

M. Bigirande : Non, elles étaient reliées par le champ.

*La carte est projetée D3403/5*

Avocat Lévy : Identifiez-vous le chemin ?

M. Bigirande : Le chemin n’est pas visible (NB : sur la première photo).
Avocat Lévy : Et les propriétés ?

M. Bigirande : La maisonnette, oui. Le chemin passe entre les deux maisons.

Avocat Duval (défense) : Le 16 avril, il y a des incendies. Vous croisez des militaires et partez en courant, n’est-ce pas ?

M. Bigirande : Oui.

Avocat Duval : Il y a des massacres à Kigali depuis quelques jours.

M. Bigirande : Oui.

Avocat Duval : Pour les réunions après le 17 avril, comment le savez-vous ? Grâce au fils de Remera Siméon ?

M. Bigirande : Non, ce n’était pas son fils mais le neveu de sa femme.

Avocat Duval : Il y avait des listes de gens à tuer et votre famille en faisant partie ?

M. Bigirande : Oui.

Avocat Duval : Où étiez-vous quand il vous l’a dit ?

M. Bigirande : J’étais à la maison, il venait boire du lait caillé.

Avocat Duval : *répète la chronologie des évènements* et avec tous ces évènements, vous n’allez pas vous cacher ?

M. Bigirande : David était le fils de Siméon Remera, qui était mon ami. On passait les vacances à jouer au ping-pong. Il m’a donné aucune nouvelle. C’est Ritegu qui m’a informé. Depuis ce moment, nous avions commencé à le soigner particulièrement pour avoir plus d’informations. Nous n’avions pas fui car c’était dans tout le pays. Beaucoup de gens, dans la société rwandaise, ont posé la question (NB : pourquoi n’ont-ils pas fui ?), après coup, aux survivants et plus généralement par rapport à ceux qui n’ont pas survécu. Le problème c’est qu’on pensait que nos voisins ne nous massacreraient pas.

Avocat Duval : Qui vous a donné l’information selon laquelle le génocide à Tumba devait commencer le 20 avril 1994 mais a été reporté au lendemain faute d’armes ?

M. Bigirande : Toujours Ritegu. Il m’a dit qu’il ferait partie des attaquants. Je lui ai d’ailleurs donné mes chaussures (NB : pour l’attaque).

Avocat Duval : Vous étiez toujours à Tumba ?

M. Bigirande : le 21 avril, on n’était pas à la maison, on attendait.

Avocat Duval : Vous attendiez l’attaque ?

M. Bigirande : Oui mais prêts à fuir.

Avocat Duval : Et les jours avant, vous êtes restés là près de là où se tenaient les réunions ?

M. Bigirande : Oui, nulle part où aller.

Avocat Duval : Vous étiez à la maison ou dans les champs de sorgho.

M. Bigirande : La nuit dans les champs, le jour chez nous.

Avocat Duval : Et donc en allant au Bureau de Secteur, vous passez à côté du bar de RUGANZU, vous voyez des gens festoyer et tirer en l’air, dont Sosthène MUNYEMANA ?

M. Bigirande : Oui, on est allé au Bureau de secteur pour voir s’il y avait les vaches, et on est passé par le chemin proche de la fosse de Karanganwa.

Avocat Duval : Si je vous dis que vous vous êtes cachés et n’avez pas pu le voir. Qu’est-ce que vous me dites ?M. Bigirande : Que ce n’est pas la vérité, que vous vous trompez.

Avocat Duval : Qui vous a contacté pour être partie civile ?

M. Bigirande : L’information sur ce qu’on a vécu à Tumba a été transmise par une de mes sœurs, qui elle-même a été mise au courant par Ritegu lorsqu’il cherchait des documents d’identité pour nous aider à fuir. Les avocats des parties civiles ont appris de cette manière, via ma demi-sœur au Rwanda.

Avocat Bernardi (de M. Bigirande) : Je vais donc éclairer la défense.

Président : Vous n’êtes pas obligés, certaines informations sont couvertes par le secret de l’instruction ainsi que par le secret professionnel.

Avocat Bernardi : Nous sommes allés à Tumba. Nous avons appris pour le bureau de secteur, Ruganzu, Sosthène MUNYEMANA, après avoir posé des questions à la population et à l’association Ibuka locale de Jean-Marie Vianney (pas le nom de famille). Nous rencontrons Jacqueline Mukamari qui raconte les évènements et nous permet de rencontrer Jeanne d’arc (nom de famille pas retranscrit), qui nous livre son témoignage et nous parle de son demi-frère vivant à Kigali. Ce demi-frère était BIGIRANDE Jean de Dieu.

*Clameur d’exaspération dans les rangs de la défense*

Avocat Duval (défense) : Si on avait autant de moyens d’enquête à la défense

Avocat Bernardi (parties civiles) : Vous pouviez, si vous vous en étiez donné les moyens.

Président : Merci aux parties civiles d’avoir accepté d’éclairer la Cour avec de telles informations.

2. Prise de parole de la partie civile Jean-Baptiste Rwibasira, 56 ans, résident à Kigali (RWANDA).

Déclaration spontanée

« Je vais vous raconter ce que j’ai vécu pendant le génocide des Tutsis au Rwanda de 1994. J’avais 24 ans pendant le génocide. Après l’attentat contre l’avion du président Habyarimana le 6 avril, nous apprenons la mort du président le 7 avril au matin via Radio Rwanda. La radio diffusait un ordre des autorités : il faut rester chez soi. Il est interdit de se réunir à plus de deux hors de chez soi.

La population vivait en harmonie auparavant (NB : à Tumba). Il y avait des mariages entre Hutu et Tutsi. Les uns étaient parrains et marraines des enfants des autres. Mon oncle maternel était marié à une Hutu, comme ma demi-sœur à un Hutu. Mais après la mort de Habyarimana, les gens venus d’ailleurs ont commencé à porter des divisions dans la population de Tumba.

Concernant Sosthène MUNYEMANA, il faisait partie des gens intelligents et des businessmen, comme Aristote ou Bill Gates. Je le considérais intelligent et instruit. Nous étions contents d’avoir un médecin dans le secteur, particulièrement un gynécologue, parce qu’on pensait qu’il permettrait de mettre un terme aux décès en couche. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme cela. On le pensait sauveur de la population, il a manqué à toutes les obligations du serment d’Hippocrate. Il a divisé la population de Tumba, de concert avec Siméon REMERA, président de la CDR-Imuza Migambi, RUGANZU et Philippe.

La population de Tumba avait pourtant essayé de rester solidaire. En effet, nous tentions de repousser les tueurs venus d’ailleurs. Nous avons été à la limite avec la commune de Gishamvu pour que les tueurs de Gishamvu n’entrassent pas à Tumba. Nous nous défendions nous-mêmes, Hutu et Tutsi ensemble. Nous avons vu une camionnette. Elle s’est arrêtée. Les occupants pensaient que nous étions des tueurs. Ils nous ont félicités pour « le travail ». Ils ont remarqué parmi nous un homme grand, dénommé James, et ils lui ont demandé s’il était Tutsi. James a confirmé être Tutsi. L’homme dans la camionnette s’est fâché et a menacé de nous tuer. Nous avons pris la fuite. Les gens ont commencé à se méfier les uns des autres après cet évènement.

Le 17 avril 1994, il y eut une réunion, dirigée par le conseiller de secteur, aux côtés de Sosthène Munyemana, Ruganzu, Philippe et Siméon REMERA. Ils ont essayé de nous rassurer. Mais c’était une ruse pour que les Tutsi restent dans le village. Sosthène a dit, pendant cette réunion : « les Tutsi tuent les Hutu ». Il affirmait que des proches de la famille de sa femme qui étaient chez lui et disaient que dans la localité voisine, qu’ils avaient fuie, les Tutsi tuaient les Hutu. Ce propos visait clairement à inciter au génocide des Tutsis à Tumba.

Puis, par la suite, il y a eu des réunions avec les responsables de cellules auxquelles Sosthène Munyemana a participé.

J’étais à proximité, je suis allé voir. Ces réunions se passaient chez Siméon REMERA. Ritegu, de son vrai nom Kanyemera Eric, neveu de la femme de REMERA Siméon, nous a mis au courant. C’était un camarade de classe de mon petit frère. Il venait chez nous pour de la nourriture et du lait à boire. Nous nous sommes rapprochés de lui pour avoir plus d’informations. Il nous a raconté les réunions des gens de la cellule, dont Munyemana Sosthène, avec Bwamakeye François et Philippe (pas de nom de famille). En étaient exclus les responsables Tutsi ou ceux avec des femmes Tutsi.

On a demandé pourquoi, ils craignaient que les Tutsi fussent prévenus et fuissent. Il m’a dit que nous étions sur la liste. Il nous a dit de fuir. Sosthène Munyemana a dit qu’il fallait tuer au bureau de secteur et non dans la rue ou chez eux, aux fins de centralisation de l’information et d’efficacité meurtrière : pour savoir qui est mort, qui doit encore être pourchassé. De plus, étaient évoquées des raisons sanitaires, puisque c’était la saison des pluies, le risque de transmission de maladie par des corps en décomposition et l’humidité était important. En outre, il était plus simple de tuer tout le monde au même endroit, et puis les jeter dans une fosse commune.

Le 21 avril, vers 9h du matin, les gendarmes du camp de Tumba passent dans un véhicule. Ritegu a poussé une clameur pour nous avertir et a couru en faisant semblant de nous chercher, puis il a dit aux tueurs qu’il nous avait tués. On s’est caché dans la forêt et on est rentré voir les femmes, ma mère, ma grand-mère, mes sœurs. Nos vaches avaient été pillées. Elles étaient au bureau de secteur. Les femmes de notre famille nous ont déconseillé d’y aller. Elles ont dit que Karanganwa avait été tué. Il avait été jeté dans la fosse située entre un petit sentier et la maison de Ruganzu (NB : cette fosse est surnommée fosse de Karanganwa). Sur le chemin vers le bureau de secteur, on est tombé sur les génocidaires en train de festoyer. Puis on a fui vers le Burundi.

Notre oncle Gaspard a survécu car sa femme était Hutu. Il m’a raconté par la suite sa tentative de suicide. Ses frères et sœurs et neveux ont été conduits au bureau de secteur et ont été assassinés. Il a tenté de se suicider pour cette raison.

C’est ce que j’ai vu. ».

Séance de questions-réponses :

Président : Vous êtes le grand-frère de M. Bigirande qui a témoigné avant vous. Vous n’avez rien à modifier, rien à préciser de ce qu’il a dit ? Êtes-vous d’accord avec ce qu’il a dit ?

M. Rwibasira : Oui, je suis d’accord avec ce qu’il a dit.

Président : Vous aviez 24 ans au moment des faits et étiez son aîné de sept ans ?

M. Rwibasira : C’est bien cela.

Président : Quand vous avez voulu repousser les tueurs, était-ce avec des Hutus parmi vous ?

M. Rwibasira : Oui.

Président : S’agissait-il d’une décision formelle ou d’une initiative spontanée ?

M. Rwibasira : Il s’agissait d’une initiative spontanée.

Président : Y avait-il de l’harmonie dans le village avant le génocide ?

M. Rwibasira : Oui.

Président : Vous avez vu ou entendu Ritegu ?

M.Rwibasira : Oui.

Président : Vous arriviez à voir chez Remera Siméon depuis chez vous ?

M. Rwibasira : Oui, pas d’obstacles.

Président : A la réunion où vous vous êtes rendu, le 17 avril, dirigée par Kubwimana et Bwanakeye Eric, qu’y a dit Munyemana ? A-t-il explicitement appelé au meurtre de Tutsi ?

M Rwibasira : Non, il a dit que les Tutsi tuaient les Hutu, en disant que les proches de la famille de sa femme qu’il héberge chez lui avaient fui la localité voisine pour cette raison.

Président : Tutsi ou Hutu les proches ?

M. Rwibasira : Hutu.

Président : Étiez-vous informé que Munyemana Sosthène a hébergé des Tutsi ?

M. Rwibasira : Je ne connais que Senkure Evariste. C’étaitun voisin d’Évariste. Il était pauvre. Munyemana était un notable. Il pouvait sauver ou tuer quiconque. Il ne l’a pas fait de bon cœur. Il voulait s’accaparer les terrains de M. Senkure. Munyemana n’a pas sauvé les enfants de M. Senkure, qui ont été tués.

Président : M. Senkure dit avoir été sauvé. Lors de cette réunion, Munyemana indique que quelqu’un lui a dit d’être « plus actif » et d’arrêter de jouer les sages, sous-entendant que Munyemana n’était pas actif dans le génocide.

M. Rwibasira : Je ne connais personne qui aurait dit ça.

Président : D’accord, mais avez-vous entendu quelqu’un dire ça ?

M. Rwibasira : M. Sosthène Munyemana ment. Il a pris la direction de la réunion. Il ne faisait pas confiance à M. Bwanakeye car sa femme était Tutsi qui a (été) remplacé (par) Kubwimana (préciser chronologie).

Président : Qui dirigeait la réunion ?

M. Rwiwbasira : Bwanakeye, de façade. Mais ceux qui parlaient le plus, c’étaient Munyemana, Ruganzu et Remera Siméon.

Président : Lors de cette réunion, l’installation de barrières et la mise en place de rondes dans le village, censément « pour protéger les Tutsi » ont-elles été évoquées ?

M. Rwibasira : Oui, mais c’était pour les empêcher de s’enfuir.

Président : D’accord, mais qu’était le but affiché, que vous saviez à ce moment-là ?

M. Rwibasira : Ils nous ont dit de rester calmes. J’ai eu les informations de Ritegu comme quoi c’était une ruse.

Président : Était-ce rassurant pour un Tutsi qui n’avait pas ces informations ?
M. Rwibasira : oui, ils ont cru et ont fait confiance.

Président : Votre départ pour le Burundi était-il dans la nuit du 21 au 22 avril 1994 ?

M. Rwibasira : Oui.

Président : Vous êtes rentrés au Rwanda après le génocide ?

M. Rwibasira : Oui.

Président : Gaspard ne voulait pas aller au Bureau de secteur car il avait peur de mourir ?

M. Rwibasira : Oui, il ne voulait pas mourir d’une « mort atroce », car ses frères et sœurs y ont été conduits. Il a donc tenté de mettre fin à ses jours.

Président : Gaspard s’est confié à vous, ou à votre petit frère aussi ?

M. Rwibasira : Il ne s’est confié qu’à moi.

Président : Gaspard vous a dit concernant le Bureau de secteur ou avez-vous fait vos conclusions après consultation du dossier de l’accusation ?

M. Rwibasira : Je l’ai appris lors de mon entretien. Il habitait à 50 mètres du Bureau de secteur. Sa femme était Hutu et toujours en vie. Elle assurait la sécurité de son mari et voyait les personnes conduites, ma grand-mère et mes sœurs notamment. C’est pour cela que Gaspard a fait une tentative de suicide.

Président : Gaspard est-il toujours en vie ?

M. Rwibasira : Il est décédé récemment.

Président, relatant une question d’un juré : Votre père est-il décédé avant le génocide ou pendant ?

M. Rwibasira : Mon père est décédé avant le génocide.

Président : Et votre demi-sœur, a-t-elle survécu ?

M. Rwibasira : Oui, et elle est là (NB : dans le public de l’audience). Elle a survécu car son mari était Hutu.

Avocat Bernardi (des parties civiles) : Le témoignage de Gaspard est dans le dossier (D1874). Il dit que sa mère et ses frères ont été tués et jetés dans la fosse de Karanganwa, lequel avait déjà été assassiné. Gaspard a survécu mais a tenté de se suicider par pendaison.

M. Rwibasira : Ce que dit Gaspard est juste.

Avocat Bernardi : Les pièces D1 à B6 montrent que Gaspard et Jacqueline ont été les premiers à déposer, avant que Jacqueline ne se rétractât.

Avocat général : Ce type de réunion, comme celle du 17 avril 1994, était-il fréquent.
M. Rwibasira : Je ne sais pas.

Avocat général : Quelles étaient les modalités d’organisation de la réunion ?

M. Rwibasira : Elle était organisée dans la grande cour du bureau de secteur. Le conseiller de secteur donnait l’information aux responsables civils qui la transmettaient au reste de la population.

Avocat général : Qui a ouvert la réunion
M. Rwibasira : Elle était convoquée et dirigée par Bwanakeye.

Avocat général : Étant donné qu’il était critiqué car sa femme était Tutsi, qu’en a-t-il été de son limogeage ?

M. Rwibasira : Je ne sais pas, pendant le génocide, je n’étais plus là. Concernant Munyemana, il avait autorité en tant qu’intellectuel.

Avocat général : Disait-il de mettre en œuvre les directives du préfet JB Habyarimana ?
M. Rwibasira : Non, il donnait des idées et lignes directrices. On ne pouvait pas l’empêcher de s’exprimer.

Avocat général : Quelles idées ?

M. Rwibasira : J’ai surtout retenu son affirmation selon laquelle les Tutsi allaient tuer les Hutu.

Avocat général : Après le génocide, quand vous êtes rentrés, avez-vous eu des informations concernant le bureau de secteur, notamment le nombre de Tutsi amenés ou le nombre de convois ?

M. Rwibasira : Je ne sais pas. Je sais pour les nombreux membres de ma famille jetés dans la fosse de Karanganwa.

Avocat général : Connaissez-vous les dimension approximatives de cette fosse, située entre chez RUGANZU et chez KARANGANWA ?

M. Rwibasira : Je ne connais pas ses dimensions.

Président : Quand on parle de limogeage du conseiller de secteur, aux fins de compréhension, je tenais à préciser pour tous qu’il ne s’agissait pas d’un limogeage formel issu d’une décision formalisée, c’était un état de fait.

Avocat Lévy (défense) : Aux autres réunions après le 12 (à préciser, peut-être retranscription erronée). Vous avez vu des personnes passées, comme REMERA et BWANAKEYE

M. Rwibasira : Oui.

Avocat Lévy : Les hommes et femmes Tutsi étaient interdits ?

M. Rwibasira : Toutes les personnes avec des liens avec des Tutsi étaient interdites d’y assister. Kubwimana y allait car il était l’autorité.

Avocat Lévy : Alors pourquoi Bwanakeye, lequel était marié à une Tutsi, y assistait-il ?

M. Rwibasira : En tant que conseiller de secteur, il recevait les directives de ses supérieurs. Sa présence était nécessaire.

Avocat Lévy : Le 21 avril, les premiers à attaquer étaient-ils des militaires ? Y avait-il la garde présidentielle ?

M. Rwibasira : Des militaires, oui, la garde présidentielle, je ne sais pas.

Avocat Lévy : Fidèle Murera habitait-il à côté de chez Siméon Remera. Il évoque, après le 21 avril 1994, « des réunions chez Remera », alors que vous-mêmes aviez déjà fui. Etiez-vous au courant ?

M. Rwibasira : Non, je n’ai pas vu de réunions après le 21 avril.

Avocat Lévy : Vous n’avez donc pas assisté aux réunions chez Siméon Remera, où était présent Sosthène MUNYEMANA ?

M. Rwibasira : Avant le 20 avril, j’ai vu les réunions, après le 20, je ne sais pas je n’étais pas là.

Avocat Lévy : Vous dites que Sosthène Munyemana emmenait des Tutsis au bureau de secteur. Cette information vous vient de votre oncle Gaspard, lui-même la tenant de Jacqueline Uwimana.

M. Rwibasira : C’est bien cela.

Avocat Lévy : La plainte initiale contenait un faux rapport des Nations Unies et un témoignage de Jacqueline Uwimana, savez-vous ce qu’elle dit ?

M. Rwibasira : *semble ne pas savoir*

Avocat Lévy : D1943 et suivants. Elle ne confirme pas ce que vous dites et affirme « il a même sauvé des hommes ». Qu’en dites-vous ?

M. Rwibasira : Je ne sais pas ce qu’elle dit. Je sais de Gaspard.

Avocat Lévy : Elle ne confirme absolument pas.

M. Rwibasira : C’est Jacqueline et non Gaspard.

Avocat défense 2 (nom pas retranscrit) : Vous parlez d’actions communes entre Huntu et Tutsi avant le 17 avril 1994.

M. Rwibasira : Oui, le basculement m’a étonné. Mais ça doit venir des gens de l’extérieur venus.

Avocat défense 2 : Quand a eu lieu l’action ?

M. Rwibasira : Il y avait l’umuganda, en commun, régulièrement avant le génocide (NB : il semble qu’il y ait un quiproquo lié à la traduction).

M. Rwibasira : A partir du 10 avril 1994, dans les communes limitrophes, comme Gishamvu, des gens fuyaient et venaient dans notre commune.

Avocat défense 2 : Étiez-vous au courant du discours Théodore Sindikubwabo dans la commune de Butare, le 19 avril 1994 ?

M. Rwibasira : Je n’y ai pas été, je n’étais pas au courant.

Avocat défense 2 : Comment se fait-il que vous n’étiez pas au courant du président de la République par intérim Théodore Sindikubwabo dans la commune voisine ?

M. Rwibasira : Je n’étais pas au courant.

Avocat défense 3 : Concernant les personnes proches de sa femme que M. Munyemana hébergeait, était-elle de la famille ou bien seulement de la même localité que sa femme ?

M. Rwibasira : Ces propos sont ceux de Sosthène lui-même, et il s’agissait de personnes de la même localité.

Avocat parties civile Bernardi : L’attestation de Jacqueline Uwimana (D11) « j‘ai vu Munyemana ouvrir le bureau de secteur. C’était lui qui avait les clés du bureau de secteur ». Elle se rétracte par la suite, en disant qu’elle n’avait jamais dit ça. Toutefois, ces éléments ne figurent pas dans le jugement de première instance comme suffisants à mettre en accusation.

Avocat de la défense : ce sont des faux documents. Il s’agit d’une fausse attestation. Elle n’est pas de la main de Jacqueline UWIMANA.

3. Prise de parole du témoin Régine WAINTRATER, psychologue née en 1948, domiciliée à Paris

Déclaration spontanée

« Je viens pour vous parler des violences de masse. En ce qui concerne le génocide, il se caractérise par l’exclusion des victimes de l’humanité. Le corps des victimes de génocide est disponible. Leur vie est disponible.

Les survivants attendent donc l’heure du procès, qui leur permet d’être réintégrés au sein de l’humanité. Le procès permet d’affirmer le refus solennel du meurtre, ainsi que l’égalité et la justice, alors que le rescapé de génocide était auparavant « tuable ». Il ne s’agit donc ni de vengeance ni d’enjeu indemnitaire, dites indemnisations qui ne seront toujours que dérisoires par rapport au préjudice subi. Il s’agit avant tout de considération en tant qu’être humain.

Les victimes veulent donc participer à ce moment. C’est un moment où elles devront fournir un effort de mémoire et de clarté, formuler un récit clair, alors même que ces évènements ne présentent aucune clarté ni organisation. Lors du génocide, il n’y a plus d’école, plus de travail. Il n’y a plus de rythme de vie, mais un rythme de survie, où chaque minute est une conquête. La succession du temps apparaît comme un magma. Le temps calendaire disparaît.

Au moment du procès, il faut donc retrouver une cohérence pour des évènements incohérents et imprévisibles. C’est une difficile mise en cohérence du chaos. Certains souvenirs sont d’une grande précision, d’autres d’un grand flou. C’est une mémoire traumatique. C’est une contrainte peu aisée. J’ai l’habitude en tant que psychologue d’avoir à faire à la variabilité de la mémoire. J’ai l’habitude des phénomènes comme le refoulement, la transformation, qui sont des phénomènes communs.

Cette variabilité de la mémoire est admise, mais lors du procès, c’est critique, puisque les rescapés risquent de ne pas être crus. De plus, la mémoire traumatique ne fonctionne pas par refoulement par des retours ou des oublis, mais par des clivages, des coupures. Cette mémoire des évènements est à part, car sinon elle envahit la vie. Elle revient toutefois très souvent par cauchemars, hypervigilance, et flashs (NB : des images intempestives au niveau de l’entendement).

Quand les survivants de génocide viennent témoigner, ils doivent retourner dans une mémoire qu’ils essaient d’écarter. La remémoration est en elle-même traumatisante. Ils doivent retrouver la cohérence. C’est un moment de crainte. Ils craignent de fournir un mauvais témoignage. Le survivant veut être cru et veut apporter la preuve. La figure du juge est à distinguer de celle du psychologue. Le psychologue n’en a que faire de la vérité. Pour le juge, la vérité est fondamentale. De plus, c’est d’autant plus un moment de crainte puisque les survivants témoignent souvent pour ceux qui ne peuvent plus témoigner. Lorsque l’on dit « Plus jamais ça », il s’agit d’une mission dans l’humanité, pour leurs familles, pour leurs proches.

La peur de ne pas être cru n’est pas nouvelle. Pendant la guerre de 1914, les vétérans avaient le sentiment de ne pas être crus. On leur disait qu’ils exagéraient. Cela les amenait à se terrer dans le silence. C’était similaire pour la Shoah. Parfois, les survivants vont s’emmêler dans leurs propos, se contredire. Dans l’effroi, on ne voit pas les choses. Parfois, on se souvient de détails incroyablement précis, comme parfois faux. Dans un travail réalisé pour Yale et Spielberg (pas sûr), un survivant de la Shoah affirmait avoir vu « trois cheminées à Auschwitz ». C’était faux, il n’y en avait qu’une. Cela a servi aux négationnistes pour affirmer qu’il n’était pas vraiment survivant. Pourtant, ce n’était pas un mensonge. L’état d’effroi et de panique pendant tout le génocide a pour effet de brouiller les souvenirs.

Vous (NB : les juges et jurés) allez devoir démêler le vrai du faux et aller au-delà des témoignages erratiques. Croire est important face au négationniste. Les témoignages de gens de bonne foi peuvent être problématiques. Il n’est pas simple de témoigner même si on désire la véracité et on craint de dire faux. La guérison passe aussi par l’étape de la justice. Cela fait depuis 1915 que les Arméniens, générations après générations, souhaitent que la Turquie reconnaissance le génocide commis pendant la première guerre mondiale, ce qu’elle ne fait toujours pas, pour des raisons siennes.

Le passage de la justice est la première étape pour l’individu comme pour le groupe. Cela les réintègre dans l’humanité. Ils ont affronté leur propre mort, ce qui indique par ailleurs l’échec du projet génocidaire, qui les souhaitait tous morts. Ils ont côtoyé la mort. Si l’on sait communément que l’on va mourir, on le met de côté. Les rescapés, souvent par hasard, ont échappé à la mort qu’ils ont touchée. La chance les a sauvés, et la majorité d’entre eux le sait. Certains se disent « je suis le plus fort », mais en réalité, c’est la chance. Côtoyer la mort est traumatisant, même dans des conditions moins horrifiantes. Chacun qui a déjà connu la maladie ou un accident le sait. « Je me suis vu mort ». Ils doivent raconter la période où ils ont vu la mort. Ils devaient gagner chaque heure. Il s’agissait de trouver à manger. C’est un magma. Souvent, ils n’ont pas de suivi psychologique et doivent affronter tous seuls le trauma. Le passage à la barre est une retraumatisation.

Je souhaitais également vous parler de vous, magistrats. Vous ne me paraissez pas assez soutenus, pas assez préparés. Qui s’occupe de vous ? Il vous arrive, comme les humanitaires, les chercheurs qui réalisent des études de terrain, confrontés à des choses auxquelles on n’est pas préparé. Il a été démontré que les personnes peuvent vivre un traumatisme dit vicarien, c’est-à-dire un traumatisme secondaire, issu de l’exposition aux traumatismes d’autrui. Porté à des extrêmes, ce traumatisme peut donner lieu à des cauchemars. En règle générale, on se dit « ce n’est pas mon traumatisme, donc je ne devrais pas être si affecté ». Ça provoque une remise en question qui peut être humiliante. Face à cela, il faut que vous sachiez qu’il est normal d’être affecté. Il faut savoir cependant distinguer empathie et sympathie. Nous ne pouvons pas ressentir ce qu’ils ressentent. Il faut donc garder une forme d’hygiène mentale et déceler les signes que l’on ne reconnaît parfois pas : on devient insensible, on perd espoir. Il faut donc faire attention, et potentiellement aller à un groupe de parole. Nous, les psychologues, allons parfois voir d’autres psychologues. »

Séance de questions-réponses :

Président : La barrière de la langue introduit-elle un biais pour la partie civile ?

Mme Waintrater : Il faut tout d’abord considérer que la barrière de la langue exerce nécessairement une influence. Il n’est pas possible, à travers un interprète, de saisir intonations. Il y a des codes particuliers à toute langue. Les témoins peuvent se demander s’ils sont bien interprétés. Parfois, c’est l’inverse, le medium peut permettre de réaffirmer, en ce que l’on a tout mis en œuvre pour recueillir sa parole. Pour vous, il faut redoubler d’attention. La barrière de la langue prive d’intuition et de la communication non verbale. La limite entre la langue et l’émotion est indistincte. Lorsque le propos original est long et la traduction, pour des raisons linguistiques, courte, le témoin peut se demander « on ne m’a peut-être pas compris ».

Président : Les circonvolutions, c’est-à-dire le fait de ne pas répondre directement à la question, mais passer par des détours et des détails, sont-elles d’origine culturelle ou liées au trauma du génocide.

Mme Waintrater : En premier lieu, dans la culture rwandaise, il est mal vu de répondre directement par oui ou non. Cela ne veut pas dire que les témoins veulent mentir. C’est aussi une question de pudeur, comme en France, on peut parfois tourner autour du pot sur les questions pécuniaires, contrairement aux États-Unis d’Amérique. De plus, plus généralement, les personnes qui témoignent ne sont pas des gens habitués à témoigner, ce sont des gens ordinaires.

Au Rwanda, il y a une culture très pudique, on ne pleure pas. Il est commun que des rescapés racontent des horreurs avec le sourire. Cela paraît être une discrepancy (NB : anglais pour discrépance, décalage). Cela me rappelle un proverbe rwandais « Ce que tu as dans le vendre, un chien ne te le mangera pas ».

Président : Est-ce que le fait que les corps n’aient pas été retrouvés peut avoir un impact sur les témoins ?

Mme Waintrater : Pendant, la Shoah, les juifs ont été réduits en cendres. On sait où les cendres ont été dispersées mais il n’y a pas la possibilité de retrouver les cendres. Les proches se recueillent donc sur les lieux où les anciens camps d’extermination ont répandu les cendres.

Au Rwanda, la plupart des corps a été jetée dans des fleuves ou des latrines, ce qui rendait difficile de retrouver et identifier les corps. Pendant les procédures judiciaires, par exemple lors des Gacaca, les parties civiles demandaient aux accusés « Dites-nous où vous avez jeté les corps ». Concernant le Rwanda, j’ai pu voir des femmes qui lavaient les ossements de leurs défunts dans des bassines. Il s’agit de leur rendre les derniers honneurs. Les proches veulent récupérer, réassembler les dépouilles de leurs défunts. Même quand on ne sait pas quel corps est celui du membre, on se recueille sur le lieu de la fosse.

Président : Je tiens à préciser qu’il y a eu l’intervention d’une psychologue clinicienne de l’APHP, qui est disponible pour les jurés. Ils sont donc accompagnés.

Juge 2 : Concernant la mémoire traumatique et la « mission » qu’ont les survivants, cela influe-t-il sur la restitution, est-ce que cela peut brouiller les personnes impliquées, amener à confondre les personnes ?

Mme Waintrater : Les survivants se souviennent généralement de personnes qui les ont marqués. Par exemple, concernant la Shoah, tout le monde se souvient de l’image de Mengele sur la rampe. Pourtant, tout le monde ne se souvient pas forcément des SS auxquels ils ont eu à faire. C’était pareil pour le procès Barbie. En général, le survivant s’accroche à quelque chose, à un souvenir. Évidemment, ce n’est pas infaillible. S’il y avait plusieurs gens qui donnaient des ordres, on peut les confondre.

Avocat parties civiles 4 : Dans quelles circonstances avez-vous travaillé en lien avec des personnes victimes du génocide contre les Tutsis du Rwanda de 1994 ?

Mme Waintrater : Au début, je n’y connaissais pas grand-chose. Je travaillais surtout sur la Shoah. C’est en 2003 que j’ai lu un livre-témoignage sur le génocide des Tutsis du Rwanda. Puis j’ai été en contact avec Ibuka pour le 10ème anniversaire du génocide. Ils m’ont dit qu’ils se reconnaissaient dans les témoignages de mon livre sur la Shoah. Puis j’ai été envoyée par mon université au Rwanda, pour travailler sur la question des survivants et de la transmission générationnelle. J’étais surtout accompagnée d’historiens, dont Stéphane Audoin-Rouzeau. J’étais la seule psychologue. De plus, c’est le génocide qui ressemble le plus à la Shoah, non pas tant eu égard au modus operandi, mais par rapport au pourcentage de personnes exterminées. A cet égard, le génocide des Tutsis du Rwanda a même mieux marché que la Shoah. Je suis de plus moi-même petite-fille de persécuté tué dans la Shoah par balles en RSS d’Ukraine. Pour les Tutsis, j’ai fait un ou deux groupes dans une association juive. Je participais en tant que psychologue. J’ai également travaillé avec le Mémorial de la Shoah qui avait créé le premier lieu pour commémorer. J’ai donc surtout faire du travail de cabinet et de commémoration. Je n’ai pas fait d’enquête au Rwanda. Doit-on faire témoigner les gens ? Contribue-t-il à la restauration des victimes.

*Question sur les violences sexuelles en temps de génocide*

La question des violences sexuelles est complexe en toute civilisation. On y a beaucoup été confronté en ex-Yougoslavie. C’est moins vrai pour la Shoah. En effet, le racialisme extrême des Allemands prohibait en principe les relations sexuelles entre un Allemand et un-e Juif-ve. Ce n’était toutefois pas systématique. Il y avait des bordels dans les camps de concentration, à disposition des soldats allemands. Au Rwanda, on en a beaucoup parlé. Toutefois, du fait de la pudeur, il y a eu peu de témoignages publics. En effet, témoigner de violences sexuelles, c’est mettre son avenir en danger. La personne violée est stigmatisée, comme en ex-Yougoslavie. Elle est considérée comme immariable, comme celle qui n’a pas su résister. Les femmes peuvent en parler mais généralement entre femmes, dans des groupes de femmes. Je me rappelle d’une femme rwandaise à qui j’avais parlé. Elle était enceinte pendant sa cavale. Elle m’a fait comprendre qu’elle avait été violée. Elle ne l’a pas dit à son mari. Son mari ne croyait pas que c’était son enfant, il l’a frappée. Les femmes victimes sont souvent victimes en plus de violences intrafamiliales. L’homme lui en veut parce qu’elle n’a pas résisté et a été souillée par un autre. L’homme s’en veut à lui-même parce qu’il n’a pas su la protéger. Ajoutez à ça l’alcoolisme de beaucoup d’hommes, et la situation est très propice aux violences conjugales. C’est pour ça que les femmes se confient dans des groupes de femmes.

Je ne veux pas faire de politique. Mais on peut également penser aux viols du 7 octobre (NB : les attaques du 7 octobre 2023). On sait qu’il y a eu des viols, mais les femmes victimes, celles qui ont survécu, ont mis du temps pour en parler, alors même qu’on disait de la société israélienne qu’elle était plutôt avancée sur ce sujet.

Depuis le viol de Lucrèce à Rome, celle qui a été violée est assimilée à celle qui n’a pas su résister. Les rôles de genre sont comme suit : l’homme protège, la femme résiste. Là, c’est la faillite des deux.

Avocat parties civiles 5 : Quelle attitude doit-on adopter quand on échange avec les parties civiles ?

Mme Waintrater : En tant que professionnels du droit, vous devez poser des questions que les psys ne peuvent pas, et ne doivent pas poser la plupart du temps. Il faut être courtois, empathique, non brutal, voire parfois s’excuser. Il faut demander des choses pas faciles. Il faut souligner que l’on sait l’effet que ça fait.

Avocat partie civiles : Vous avez parlé du mandat de ceux qui ne peuvent lus parler, comment pensez-vous que cela se traduit dans le cas où des personnes doivent faire 8.000km pour parler, à un peuple par ailleurs qu’ils ne connaissent pas ?

Mme Waintrater : Je pense que je ne peux rien dire de vraiment différent de ce que j’ai dit auparavant. Mais c’est particulièrement important que justice passe. C’est important de montrer que la République française mobilise des ressources à cette fin. Ça permet de pleinement se réintégrer.

Avocat Duval (défense) : Je voulais évoquer un point. Personne ne nie le génocide des Tutsis du Rwanda de 1994. Ni mon client, ni aucun avocat de la défense ne le nient. Nous contestons la responsabilité individuelle de Sosthène Munyemana. C’est la question de l’implication et non de la réalité qui est en cause. Prenons une hypothèse d’enquête. Un enquêteur mandaté par la justice française, qui s’est rendu dans ce cadre 11 fois et a interrogé des centaines de victimes et les a confrontés avec ceux d’anciens perpétrateurs et aux faits. Il en est arrivé à la conclusion que dans certains cas, les témoignages étaient faux. Même de bonne foi, c’est la mauvaise personne qui est mise en cause. Quelle est la raison de nommer le mauvais bourreau ?

Mme Waintrater : Il convient d’évoquer le mécanisme psychologique à l’œuvre. L’hypothèse où quelqu’un qui a vraiment vécu le génocide met en cause la mauvaise personne. Parfois on se souvient d’un perpétrateur, parfois on parle en groupe et les souvenirs reviennent de cette manière. Ainsi, il peut parfois y avoir contamination des souvenirs. En 30 ans, on parle et peut-être on peut donner un mauvais témoignage. Ce n’est pas forcément conscient. Je me souviens d’un entretien que j’avais mené d’un survivant de la Shoah qui me dit « En vous regardant, je sais que ce que je dis est vrai ». Il doutait. Le témoin peut douter ou se forger une conviction erronée. Des gens peuvent être persuadés que telle personne était là. Dès lors, le témoignage est faux mais il n’y avait pas d’intention dolosive.

Avocat défense 2 : J’ai deux conseils à vous demander. Vous avez dit que le trauma remontait, et que le décor était reconstruit, en matière de crules de déshumanisation ou de crimes sexuels. Le problème, c’est que nous, en tant qu’avocats, parfois « on n’ose pas ». On essaie de juger le trauma, mais ce n’est pas notre mission.

Mme Waintrater : Je dois dire que je pense que vous avez de l’expérience. *Des rires dans la salle d’audience*

Mme Waintrater : Je vous fais confiance. Les témoins le savent et l’attendent. Je pense que vous savez où porter le fer et le faites.

Avocat défense 2 : Vous avez dit qu’ils témoignaient pour d’autres, comme un « mandat », mais pour quoi ? Pour le génocide et la déshumanisation, alors le problème qui se pose, c’est que si on acquitte l’homme, on condamne le génocide.

Mme Waintrater : Vous me faites penser. Je n’avais pas pensé à inclure les avocats de la défense. Mais sérieusement, il peut y avoir des injonctions internes. On pourrait avoir l’impression que c’est une insulte ou une injure que de démontrer qu’untel n’est pas coupable. Honnêtes ou pas honnêtes. Il faut « faire le boulot ». Ne pas hésiter à poser des questions. Ainsi, on doute de l’implication et pas de la réalité.

KAREGE Aimé-Céleste, Étudiant en droit

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