Le Conseil d’Etat vient d’autoriser François Graner, membre de l’association Survie, à consulter les archives de l’Élysée relatives au Rwanda entre 1990 et 1995

Dans un arrêt rendu le 12 juin 2020 dans sa formation la plus solennelle[2], le Conseil d’Etat a autorisé le chercheur François Graner, membre de l’association Survie et co-auteur du « Dossier noir » L’Etat français et le génocide des Tutsis au Rwanda (édition Agone-Survie, février 2020), à consulter de manière anticipée les archives publiques constituées de notes, comptes rendus, télégrammes diplomatiques, lettres reçues ou envoyées par le président de la République, discours officiels, coupures de presse, relatifs notamment à la politique étrangère et militaire de la France au Rwanda au cours des années 1990 à 1995. S’y trouvent en particulier des prises de position personnelles du président François Mitterrand, de ministres en exercice, de hauts fonctionnaires français et de personnalités françaises et étrangères

Rappel du cadre juridique 

Afin d’inciter les responsables politiques à opérer un versement de l’intégralité de leurs archives, des « protocoles de remises » ont été mis en place en dehors de tout cadre législatif au début des années 1980. Ces protocoles permettaient au président de la République de conserver la maîtrise totale de l’accès aux documents versés pendant un délai de 60 ans. Aucun de ces documents ne pouvait ainsi être divulgué à des tiers sans son accord exprès ou celui du mandataire qu’il avait désigné. Par une loi du 15 juillet 2008, le législateur a entendu conférer une base légale à cette pratique : il a ainsi reconnu la validité des protocoles déjà en vigueur, en précisant seulement que « les clauses de ces protocoles relatives au mandataire désigné par l’autorité signataire cessent d’être applicables vingt-cinq ans après le décès du signataire ».

Procédure suivie par François Graner

En juillet 2015 puis juillet 2016, François Graner a demandé aux Archives nationales la communication anticipée de documents issus des archives de la présidence de François Mitterrand, dont certains avaient fait l’objet d’une déclassification intervenue le 7 avril 2015.  Conformément à la procédure, les Archives nationales ont alors saisi de ces demandes la mandataire des archives du Président Mitterrand, qui a opposé des refus partiels à François Graner[3]. En conséquence, François Graner a été contraint d’entamer un long bras de fer contentieux qui l’a emmené devant les plus hautes juridictions. 

Le détail de la procédure suivie par François Graner est consultable ICI

Position du Conseil d’Etat

Dans sa décision du 12 juin 2020 précitée, le Conseil d’Etat a rappelé que l’intérêt du demandeur en la matière repose sur le droit des citoyens de demander compte à tout agent public (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 15) et sur la liberté de recevoir et de communiquer des informations (Convention européenne des droits de l’homme, art. 10). Cet intérêt légitime s’apprécie au vu de la démarche qu’il entreprend et du but poursuivi, de la nature des documents sollicités et des informations qu’ils comportent. Il est tenu compte de l’écoulement du temps, mais aussi, le cas échéant, du fait que les documents ont déjà été consultés par anticipation ou rendus publics. En l’espèce, après avoir mis en balance les intérêts en présence, le Conseil d’Etat a estimé qu’« il apparaît, à la date de la présente décision, que l’intérêt légitime du demandeur est de nature à justifier, sans que soit portée une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger, l’accès aux archives litigieuses ». Il s’ensuit que les différents refus qui ont été opposés aux demandes de François Graner sont entachés d’illégalité.

Faut-il attendre des révélations dans ces archives ? 

Comme l’a résumé François Graner dans une récente interview, « Je n’attends pas de révélations explosives, ce qui est avéré est déjà explosif. Mais plutôt des confirmations ou des nuances sur la manière dont les décideurs ont pris le parti des génocidaires ». Il faut également tenir compte du fait que certaines décisions n’ont jamais été écrites, que des archives n’ont jamais été versées, que d’autres sont toujours classifiées dans d’autres fonds que les Archives nationales et qu’il y a pu avoir des destructions d’archives.

Par Aymeric Givord, responsable de la Commission « Justice et Lutte contre le négationnisme » au sein de l’association Ibuka-France.


[1]  Phrase prononcée le 12 juin 2020 par Maître Spinosi, avocat de François Graner devant la Haute juridiction administrative.

[ 2] Décision consultable sur le site du Conseil d’Etat à l’adresse suivante : https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/le-conseil-d-etat-autorise-un-chercheur-a-consulter-les-archives-du-president-mitterrand-sur-le-rwanda

[3] Le ministère de la Culture (dont dépendent les Archives nationales) n’a eu d’autres choix que de rendre des décisions conformes à ces avis.


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