Retour aux cérémonies commémoratives du 7 avril 2024 à Paris

Discours de Marcel Kabanda au Jardin de la Mémoire (Parc de Choisy)

J.Brueder/Ville de Paris

Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Il y a trente ans, commençait au Rwanda une entreprise de destruction des Tutsi. Les premiers ont été tués le 7 avril à l’aube, à coups d’armes automatiques par les éléments de la Garde présidentielle qui, liste et adresses en mains avaient commencé à sillonner la capitale de Kigali avant le lever du jour ou par des escadrons de la mort appuyés par les militaires dans le reste du pays. La violence est aussi brutale qu’elle est organisée. La cible est le Tutsi, quel que soit son âge, son sexe, sa situation ou position sociales. Ainsi , au centre Christus à Kigali, les tueurs font un tri entre religieux hutu et Tutsi. Ils feront de même le 8 avril parmi les réfugiés du centre paroissial de Gikondo. La Radio, la RTLM est mobilisée, accusant les Tutsi d’avoir tué le Président. En quelques heures, les milices avaient mis le feu et à sang, chassant les Tutsi de leurs foyers. Poussés par les cris, les incendies, les coups de massues et de machettes, les Tutsi crurent trouver refuge dans les églises ou les centres où ils pensant que l’administration territoriale leur assureraient protection. C’est dans ces refuges devenus des pièges que nombre d’entre eux ont été massacrés.

En moins de trois mois, près d’un million de personnes avaient été tuées, dans des souffrances sans nom, coupés à la machette, violées, mutilées, jetées dans des latrines, blessées, laissées et abandonnées avant de mourir de soif ou de faim…humiliées, jetées dans des fosses communes comme de sales déchets, dévorées par des chiens. L’attentat dans lequel le Président Habyarimana a péri le 6 avril n’y est pour rien. C’était l’exécution de la sentence prononcée dès novembre 90 contre celles et ceux qui « avaient commis le faute » de naître d’un père portant une carte d’identité sur laquelle l’administration avait biffé les mentions hutu et twa, en leur assignant par conséquent, à leur insu mais à leur dépens l’identité tutsi. En novembre 90, l’hebdomadaire, porte-voix des extrémistes de la galaxie du parti présidentiel, le MRND, avait en dix commandements, rappelant ceux que Dieu avait donnés à moïse pour indiquer leur caractère obligatoire, donné aux Hutu de détester les Tutsi, de s’en écarter et de ne plus éprouver à leur égard aucune espèce de pitié. Une année plus tard, il avait indiqué que le recours à la machette était la solution définitive au problème que leur existence pose, les enfants étaient compris, car un cancrelat ne peut donner naissance à un papillon.

Précisons. Un million de morts, c’est un chiffre. Aussi important qu’il soit, il n’est pas significatif de ce qui s’est passé. Il ne dit rien des victimes, de leurs noms et de leur personnalité. L’anonymat est une autre forme de mort. Il ne dit rien non plus de l’étendue du désastre. Chaque jour on découvre à l’occasion des travaux des champs ou des bâtiments de nouvelles fosses communes. On sait enfin que des fichiers d’état civil ont été détruits. Combien de Tutsi ont été ? Il y en avait combien au Rwanda ? Il y aurait une enquête à faire à ce sujet.

Notre présence ici, comme nous le faisons tous les ans a pour but de rendre hommage aux victimes. Nous tenons ici à remercier tous ceux qui nous ont portés pendant tout ce temps. Ils sont d’autant plus à remercier qu’ils ont dû, pour le faire, braver l’indifférence, l’hostilité, les sarcasmes, affichés jusqu’au sommet de la République. Je veux citer ici, la FMS, le Mémorial de la Shoah, Peuples d’ici et d’ailleurs, SOS Racisme, UEJF, les Associations arméniennes (toutes), l’association Survie, ainsi que les chercheurs et les journalistes qui ont travaillé à l’élucidation du génocide et à l’information du public. Je tiens à particulièrement, et au nom de vous tous ici, remercier la Marie de Paris et notamment Mme Anne Hidalgo. Grâce à elle, cette cérémonie peut se tenir en ce lieu. Nous avons cessé de nomadiser. En même temps que nous partageons cet espace avec les parisiennes et les parisiens du 13ème arrondissement, nous partageons avec eux la mémoire et l’espérance que nous virons demain dans un monde où les enfants ne mourront pas au nom de l’identité de leur père.

Mme la Maire, avec le Président de la République vous avez pris l’engagement devant les Français, d’ériger un monument en mémoire du génocide des Tutsi à Paris. C’est très important. Qui sauve Paris sauve Paris, sauve le monde. Permettez-moi de faire un corollaire un peu forcé : qui parle à Paris parle au monde. La France a le devoir de donner l’exemple. Non à cause de ses lourdes et accablantes responsabilités, mais à cause l’idée qu’elle se fait d’elle-même. Nous tenons à voir érigé ce monument.

C’est pour les générations de demain que nous sommes ici. C’est pour nous le rappeler qu’ils sont là aujourd’hui. Je salue leur présence. A eux et à leurs camarades que j’ai rencontrés et pour lesquels j’ai une affectueuse pensée, je voudrais dire que le combat pour savoir et se souvenir que je leur demande de mener avec nous a un seul et unique but : qu’ils n’aient pas à vivre dans la peur ou dans la honte de ce qu’ils sont. Bien au contraire, je voudrais leur dire que la meilleure place pour eux est au premier rang du combat pour la dignité de l’autre.  Vous vivez un monde particulier. Les crises grossissent le flot d’information. Prenez le temps de comprendre. Défendez les enfants de la bande de Gaza mais ne vous laissez pas submerger par les eaux boueuses de l’antisémitisme. L’est du Congo mérite notre attention. Mais est-ce une raison de fermer les yeux devant la réémergence du racisme anti tutsi, celui-là même qui a été à l’origine du génocide dont nous faisons aujourd’hui mémoire ?

Enfin, trente ans, c’est peu ou c’est beaucoup. C’est le temps d’une génération. C’est donc beaucoup. Mais c’est aussi peu pour guérir les blessures. Pour les rescapés, c’est comme si c’était hier. Ne les oublions pas.  C’est enfin très peu car le travail d’élucidation de ce qui s’est passé et de justice prend du temps. Le génocide des Tutsi n’est pas le premier du XXème siècle mais il est clair que les gens continuent de confondre génocide et massacre de masse. Le travail n’est pas terminé. Nous devons faire encore un peu plus auprès des élèves et vis-à-vis des politiques pour qu’ils s’engagent davantage dans le travail de l’éducation et de la justice.

Notre engagement à perpétuer la mémoire du génocide des Tutsis est ancré dans la conviction que l’histoire est notre plus puissant outil dans la lutte contre l’oubli et l’injustice. Nous avons travaillé sans relâche pour éduquer, sensibiliser et mobiliser les consciences . Et pour quel objectif ? afin que cette tragédie ne soit jamais reléguée aux oubliettes de l’histoire, pour transmettre le message que le devoir de mémoire est un impératif moral, une responsabilité collective !

Mais notre travail n’est pas terminé. Alors que nous commémorons aujourd’hui ces trente années de douleur et de lutte, nous devons nous rappeler que la justice et la réconciliation restent des objectifs à atteindre. Nous devons continuer à demander des comptes aux responsables du génocide, soutenir les survivants dans leur quête de guérison et de justice, promouvoir la tolérance et le respect mutuel. En cette journée de commémoration, je vous appelle à vous joindre à nous dans notre engagement renouvelé à ne jamais oublier. Ne pas oublier les victimes, ne pas oublier les leçons de l’histoire, ne pas oublier notre responsabilité envers l’humanité.

Avec votre soutien et votre engagement, nous pouvons continuer à faire en sorte que la mémoire du génocide des Tutsis reste vivante, que les voix des victimes continuent à résonner et que la justice prévale sur l’oubli. Comme le disait un grand rappeur Tupac Amaru Shakur : « La mort n’est pas la plus grande perte dans la vie. La plus grande perte est ce qui meurt en nous pendant que nous vivons ».

Aux jeunes générations, vous êtes les gardiens de l’avenir, et c’est en vous informant, en vous impliquant et en vous souvenant que vous contribuerez à construire un monde meilleur pour tous.

Je vous remercie.

Marcel Kabanda

Les vidéos de personnalités ayant pris de paroles dont les élèves du Lycée Victor Duruy, Paris 7ème, sont consignées: ICI

En soirée, la vidéo de la veillée commémorative au siège de Médecins du Monde est postée: ICI