Procès de RWAMUCYO à la Cour d’Assises de Paris – 16ème jour

Compte rendu de laudience de mardi 22 octobre 2024, Jour 16

            L’audience de ce mardi 22 octobre a débuté par l’audition de Angélique UWAMAHORO. Etant donné qu’elle a déposé une demande de constitution de partie civile au début du procès, elle n’a pas prêté le serment des témoins. Âgée de 13 ans au moment du génocide, elle a fui avec sa famille vers le 20 avril 1994. Elle s’est réfugiée avec ses cousins au couvent de Rango où elle y a passé trois jours. Elle raconte que le lendemain de leur arrivée, le couvent a été attaqué et ils se sont fait tirer dessus puis attaqués par des armes traditionnelles. Ils auraient visé principalement les hommes. Elle a perdu dans cette attaque ses deux cousins. Le lendemain, alors qu’elle parlait avec sa cousine (qu’elle appelle sa grande soeur), elle a vu arriver des militaires avec deux bus suivis d’un véhicule pick-up double cabine avec à son bord Eugène RWAMUCYO et des Interahamwe. Les militaires ont abattu les jeunes hommes encore en vie tandis que les Interahamwe ont appelé sa soeur et quatre autres filles pour être emmenées dans le pick up. Lorsqu’elle a tenté de les suivre, Angélique Uwamahoro raconte que RWAMUCYO a dit aux Interahamwe qu’elle était encore une enfant et qu’elle n’allait pas pouvoir « balayer ». Il lui aurait dit ensuite qu’il allait soigner ces jeunes filles et les ramener plus tard. La nuit, elle a fui le couvent pour se rendre au centre-ville de Butare. Arrivée près de l’église protestante, elle y a trouvé une barrière mise en place par Pauline Nyiramasuhuko. Il y avait beaucoup de Tutsi assis près de la barrière, notamment des femmes et des enfants. Le chef de la barrière l’a prise pour un petit garçon avant de lui toucher les seins. Elle est très émue en racontant cet épisode. Elle a continué en racontant qu’elle a vu arrivé un chauffeur qu’elle connaissait de Ngoma dans un camion transportant de l’essence du nom de Mathias Ndindabahizi, suivi par Eugène Rwamucyo en voiture. Ce dernier s’est arrêté pour demander au chef de la barrière d’où venait tous ces Tutsi. Il aurait ensuite juré que « ça n’en est pas fini avec les Tutsi. Il s’est ensuite adressé aux Interahamwe et leur a dit qu’ils ne devaient pas se comporter comme des enfants et qu’il fallait tous les tuer. Elle raconte qu’ils s’en sont alors pris à eux à coups de machettes et de gourdins. Elle s’est alors enfuie avec une femme vers l’église épiscopale où elles y ont retrouvé beaucoup de Tutsi. Apercevant plus haut que la situation à la préfecture était critique, elles sont parties direction le stade où elles sont restées environ un mois. Un jour, entre 15h et 15h30, des militaires de l’Ecole des sous-officiers sont arrivés accompagnés d’Eugène Rwamucyo et les ont regroupés pour leur annoncer que la paix était revenue. Ils les ont alors incités à cuisiner un grand repas avant de repartir aussitôt. Au moment où le repas allait être prêt, les Interahamwe sont entrés dans le stade avec des machettes. En tentant de s’enfuir, elle raconte avoir été touchée d’une balle au niveau du pli de l’aine. Elle montre à la Cour l’endroit de sa blessure. Elle est restée assise là pendant trois jours, avant d’être secourue par des militaires du FPR.

Le Président lui a ensuite demandé comment elle connaissait l’accusé. Elle a expliqué qu’il avait été le médecin de sa mère au planning familial du CUSP vers 1992/1993. Lorsque le Président a commencé à poser des questions pour avoir plus de précisions sur ses différentes rencontres avec Eugène Rwamucyo, Me Mathe s’est levée pour affirmer que l’on cherchait à instruire des faits qui n’étaient pas reprochés à l’accusé. Le Président a répondu qu’il y avait tout de même un lien et a poursuivi.

Les parties civiles l’ont interrogé par la suite sur la signification du terme de « balayer » dans la culture rwandaise. Elle a déclaré que cela voulait dire qu’une fille avait déjà « grandi ». A la question de savoir ce que voulait dire Rwamucyo lorsqu’il a dit aux Interahamwe de ne pas se comporter comme des enfants, elle a répondu qu’il les avait incités à les tuer.

Pour la Défense, Me Mathe a commencé par réaffirmer que le témoignage d’Angélique UWAMAHORO n’était pas en lien avec les faits reprochés. Elle a ainsi demandé à ce que le témoignage soit retranscrit. Le Président a ainsi résumé le témoignage pour que la greffière puisse prendre des notes. Me Mathe a ensuite posé la question de savoir à quel moment elle avait décidé de se constituer partie civile. Elle lui a répondu qu’elle ne comprenait pas très bien la question mais que son avocat devait savoir. Me Mathe a reposé la question et elle a répondu la même chose. L’avocate de Rwamucyo lui a alors demandé si on lui avait conseillé de ne pas répondre à ce genre de question, insinuant qu’elle avait reçu des conseils sur ce qu’elle devait dire à la Cour. Son conseil s’est levé pour répondre à ces accusations. Mathe a fini par dire : « je comprends que vous êtes embarrassé ». Après ce témoignage, le Président a décidé de faire une lecture de certains passages du livre « Aucun témoin ne doit survivre » d’Alison DES FORGES qui concernent ce qu’il s’est passé dans la préfecture de Butare.

L’audience a ensuite repris vers 15h par l’audition de Claudette UMUHOZA. Elle a également déposé une demande de constitution de partie civile sur laquelle il y a un sursis à statuer. Elle est venue raconter ce qu’elle a traversé pendant le génocide. Elle raconte ainsi avoir rencontré Eugène RWAMUCYO pour la première fois en 1993 chez le Dr. Bruno NGIRABATWARE, médecin au CHUB. Rwamucyo venait donner des cours de français aux enfants. Elle l’a également croisé plusieurs fois dans le restaurant où travaillait sa grande soeur Monique en Ville. Elle raconte que pendant le génocide, alors qu’elle avait 11 ans, un Interahamwe du nom de Célestin RUGEMIWAZA, l’a prise pour en faire une esclave sexuelle. C’était un voisin qui vivait à Tumba dans la propriété du mari de sa grande soeur Claudine KAYITESI. Son mari, Boniface, était aussi un Interahamwe important. Elle a donc vécu pendant le génocide dans une annexe avec Célestin. Un jour, vers 10h, elle a vu arrivé un véhicule double cabine avec à son bord un prénommé Faustin et son frère Fidèle, fils de Félicien Kubwimana, accompagnés d’un homme s’appelant Eugène Rwamucyo. Habillé d’un long manteau noir, Rwamucyo aurait dit à Célestin qu’il était à la recherche de Tutsi qui se cachaient dans sa maison. On lui aurait dit que la fratrie de Monique UWIZEYE s’y trouvait. Elle déclare être allée dans le salon rejoindre ces hommes. Rwamucyo l’aurait observée et dit qu’elle avait « un cou à recevoir des coups de machettes ». Ensuite, elle serait partie avec Celestin et ces hommes dans le véhicule double cabine direction la préfecture. Dans la voiture, Rwamucyo leur a dit : « faites le boulot qui vous incombe ». Arrivée à la préfecture, elle a reconnu parmi la foule immense de réfugiés des membres de sa fratrie et des cousins. Il y avait également beaucoup de cadavres. Eugène Rwamucyo a alors dit à Célestin qu’il voulait que la ville soit « débarrassée de la saleté ». Il l’a ensuite encouragé à tuer ses cousines présentes à la préfecture. Célestin leur a donc assené des coups de gourdin, à elle et leurs enfants. Elle est très émue en racontant cet épisode. Il les a ensuite trainés jusqu’à une fosse qui été déjà bien remplie. C’est là qu’un Caterpillar et des grands bus sont arrivés à la préfecture. Ils ont fait monter de force les réfugiés dans les bus. Ils sont donc tous partis direction Nyanza. Arrivés à l’école, ils ont mis les gens dans des salles de classe, les ont enfermés et ont cassé les fenêtres. Certains Interahamwe portaient des vêtements du MRND. Ils ont sorti des jerricans d’essence des bus et ont mis le feu aux salles de classe. Claudette UMUHOZA est très émue en se rappelant cette scène. Elle est ensuite retournée dans la voiture avec Célestin, Rwamucyo, Faustin et Fidèle. Ils sont allés vers Rango près d’une forêt. Rwamucyo leur a dit que s’ils n’étaient pas à même de faire le travail, il fallait le dire car il en appellerait d’autres. Il leur a dit également qu’avant de tuer les jeunes filles, il fallait avoir des rapports sexuels avec elles. C’est ce qu’ils ont fait dans la forêt. Après ces tueries, ils sont finalement rentrés chez Célestin et se sont partagé les biens qu’ils avaient pillés dans la journée. C’est la dernière fois qu’elle a vu Eugène Rwamucyo.

Le Président lui a demandé des précisions sur sa famille. Elle affirme être la dernière de six frères et soeurs, Monique UWIZEYE étant la plus âgée. Sur les réunions auxquelles elle a participé pendant le génocide, elle mentionne une vers le 26 avril au bureau de secteur ouvert par Sosthène MUNYEMANA. Celui-ci aurait affirmé que « celui qui plaine une graine retourne dans le champ pour la cultiver ». Le Président lui a également demandé pourquoi elle n’avait pas parlé plutôt de ce qu’elle avait vécu. Il est en effet surpris qu’elle ait attendu trente ans pour faire ce témoignage. Elle a répondu qu’on ne lui avait jamais demandé. Elle n’était pas non plus allée à la Gacaca contre Eugène Rwamucyo, car elle participait à celle de Tumba. Elle a ajouté également avoir eu honte de ce qu’il s’était passé, car on habite avec quelqu’un quand il y a eu un mariage. Me Karongozi a pris la parole et a précisé qu’elle avait refusé un huis clos. Elle a précisé qu’elle avait refusé car elle n’avait aucune raison de cacher ce qu’elle avait vécu.

Me Mathe s’est ensuite exprimé pour faire part de ses doutes quant à comment elle avait appris le procès en France d’Eugène Rwamucyo. Elle dit avoir vu sa photo sur Google. Me Mathe dit qu’elle n’a pas pu juste voir sa photo, elle l’a forcément cherché spécifiquement. Elle ne comprend également pas pourquoi elle a contacté le parquet de Kigali pour savoir comment avoir un avocat en France, alors qu’elle s’est constituée partie civile dans le procès de MUNYEMANA, représentée par Me Rachel Lindon. Claudette UMUHOZA n’a pas vraiment répondu donc Me Mathe a insisté. Le Président lui a dit que ça tournait en rond. Mais Me Mathe insiste en disant que rien n’est vérifiable et que le tribunal est en train d’instruire des faits dont ils n’ont jamais été mis au courant.

Vers 19h, le Président a appelé à la barre la représentante de l’association Survie, Laurence DAWIDOWICZ, qui a brièvement présenté l’association et les raisons pour lesquelles ils s’étaient constitués partie civile. La défense a concentré ses questions autour de l’ancien président Jean Carbonare et sa femme, considérés très proches du FPR. Me Mathe a notamment fait une lecture de la déposition de Alison Des Forges en 1997 dans le cadre du procès Akayesu devant le TPIR, dans laquelle elle a affirmé qu’il y avait eu un cas où la partialité avait été remise en cause dans la Commission internationale des droits de l’Homme en 1993. Me Mathe lit la phrase où elle dit que si elle avait su, elle n’aurait pas souhaité que Jean Carbonare fasse parti de la Commission. Laurence Davidowicz a répondu qu’Alison Des Forges avait bien précisé dans sa déposition que le rapport était bien issu d’un consensus et que Jean Carbonare n’avait pas manipulé la Commission.

La soirée s’est terminée par le visionnage d’un documentaire d’Eugène RWAMUCYO composé d’images qu’il a lui-même filmées en février 1993. Il a déclaré à la barre avoir filmé ces images en revenant d’un week-end à Kigali au moment où il faisait une étude de satisfaction de l’intégration des programmes de planification familiale dans le programme élargi de vaccination. C’est à la suite de cela qu’il va proposer à son service d’étudier les conditions sanitaires et environnementales dans les camps de réfugiés. Il s’est dit bouleversé par ce qu’il a vu. Ce documentaire montre des images de réfugiés, de personnes exilées après les attaques du FPR et de la NRA ougandaise au début des années 1990. Sur un fond de musique dramatique, le documentaire alterne témoignages de réfugiés et images de personnes blessées, malades ou décédées, accompagné de commentaire d’Eugène RWAMUCYO en voix off qui dénonce les exactions et les liens entre le FPR et la NRA. Les images s’attardent longuement sur des corps, certains en décomposition et couverts d’insectes, certains avec les mains attachées dans le dos. Rwamucyo appelle les défenseurs des droits de l’Homme à « se tourner vers le Rwanda ». Une dame âgée témoigne de soldats du FPR qui les ont attaqués et ont pillé leurs bien. Elle affirme que les soldats tiraient sur tous ceux qui essayaient de fuir. Rwamucyo montre ensuite longuement des images d’un homme blessé et extrêmement maigre. Il dit : « voilà ces innocents qui crient au secours du monde entier ».

Par Léna Jaouen , Stagiaire Commission Justice Ibuka France